Les Etats-Unis sont-ils à l’aube d’une nouvelle guerre civile ? C’est le thème du livre du romancier et journaliste canadien Stephen Marche The Next Civil War : Dispatches From the American Future ? La question est grave et est le sujet de plusieurs livres publiés récemment. Si cette activité éditoriale ne constitue pas une preuve, elle pousse à s’interroger sur la situation actuelle.
La guerre de Sécession est l’événement le plus important de l’histoire des Etats-Unis. Elle a failli scinder le pays en deux. La cause – l’esclavage – était facilement identifiable et séparait le pays en deux fractions, les Etats du Nord et ceux du Sud. Certains historiens pensent qu’elle était en germe dès la rédaction de la Constitution en 1787 à Philadelphie. Depuis la création des Etats-Unis, la question de l’esclavage a été centrale, ne trouvant aucune solution satisfaisante au fil des années. Elle a donc causé un conflit armé qui a occasionné plus de 600 000 morts dans un pays qui comptait à l’époque 30 millions d’habitants. Alors les Etats-Unis sont-ils au bord d’une nouvelle guerre civile ? Si l’on appliquait ce ratio aujourd’hui, un conflit de même ampleur entraînerait la mort de plus de 6 millions d’habitants. Ce qui n’a évidemment pas de sens.
En quoi la situation d’aujourd’hui est-elle différente d’autres périodes de l’histoire des Etats-Unis, par exemple la période après la Reconstruction où le Sud a pu reprendre sa destinée en main ou les très violentes années 1960 et 1970 avec le conflit racial et la guerre du Vietnam qui a commencé avec l’assassinat de John Kennedy (1963) à celui de son frère Bob Kennedy, candidat démocrate, en 1968, en passant par Medgar Evers (1963), Malcom X (1965), Fred Hampton (1968), Martin Luther King (1968). Cette période a été émaillé d’agitations extrêmement violentes : Harlem (1964), Watts (1965), Newark (1967), Detroit (1967), la fusillade de l’université de Kent (1970)
Stephen Marche identifie plusieurs causes pouvant conduire à cette guerre civile d’un nouveau type : la polarisation politique et géographique extrême, la radicalisation de la droite et parti républicain, les évènements climatiques extrêmes, la question raciale (qui est toujours aussi présente), la création des bulles sociales avec les réseaux, l’effondrement de la confiance dans les institutions, le creusement des inégalités…
Dans un environnement aussi explosif, il suffirait d’un banal incident très localisé pour démarrer un embrasement social. Et il en arrive de nombreux chaque jour comme par exemple la fermeture d’un pont d’une petite commune par des inspecteurs fédéraux jugeant que l’infrastructure est dangereuse et dont l’auteur du livre imagine le déroulement. D’autres événements ne sont pas à exclure comme l’assassinat d’un haut responsable politique. La liste des tentatives d’assassinat de président est bien longue et quatre y ont succombé : Abraham Lincoln (1865, par John Wilkes Booth), James A. Garfield (1881, par Charles J. Guiteau), William McKinley (1901, par Leon Czolgosz), and John F. Kennedy (1963, par Lee Harvey Oswald). Et qui s’aventurer à affirmer que les émeutiers du 6 janvier 2021 n’auraient pas lynché Mike Pence à la potence préparée pour lui s’ils l’avaient attrapé ?
Ce climat de violence existait bien avant Donald Trump mais ce dernier a quasi systématiquement relayé ce sentiment chez ses supporters lors de ces meetings notamment le 6 janvier où il a clairement lancé, au vu et au su de tous, un appel à l’insurrection pour changer le résultat de l’élection. Et il continue sur son site à diffuser des messages destinés à inciter à l’affrontement. Poussant jusqu’au bout l’idée du Big Lie selon laquelle les élections de 2020 ont été volé, il nourrit ce ressentiment comme l’essence fait tourner un moteur. Les démocrates ne sont plus des opposants politiques qui ont des valeurs et une vision différente de la société, ce sont de ennemis. Et avec ses ennemis, on fait la guerre. Résultats, 60 % des républicains considèrent toujours que cette élection a été volé, que Joe Biden n’est pas légitime. Et près de 30 % pensent que la violence contre le gouvernement peut être légitime.
Même si une future guerre civile se déclarait, elle ne serait pas une répétition de la guerre de Sécession. Elle prendrait des formes différentes. Certains états comme la Californie ou le Texas pourraient demander de quitter l’Union (Calexit ou Texit) car ils ne supportent plus d’en faire partie. Exagéré ? Fiction ? Cinq comtés de l’Oregon – un état à forte majorité démocrate – ont lancé une initiative pour être rattachés à l’Idaho voisin largement républicain, version Trump (Their Own Private Idaho: Five Oregon Counties Back a Plan to Secede). Et ces fractures existent dans de très nombreux états, par exemple entre la ville de New York, on ne peut plus libérale, avec le reste de l’Etat, fortement conservateur.
Les Etats-Unis ont été fondés sur des idées et des valeurs. Ils ont mis en place un « gouvernement of laws not of men » selon l’expression de John Adams. Le défi posé par une nation définie par idées intervient lorsque les idées n’attirent plus et ne sont plus partagé par la population. “The great Enlightenment principles of modernity – liberalism, secularism, rationality, equality, free markets – do not provide the kind of tribal group identity that human beings crave,” explique Amy Chua, professeur de droit à l’université de Yale ” (The united hates of America – We’ll still be divided after Trump. But the fault lines will move). L’attachement des citoyens à la démocratie est nécessaire – sans être suffisant – à l’existence même de la démocratie.
Que s’est-il réellement passé le 6 janvier
Même sur un événement aussi grave que celui du 6 janvier, démocrates et républicains (presque tous) n’ont pas la même lecture. Dans un moment très court de sincérité, les leaders du Congrès (Mitch McConnell, Kevin McCarthy, Lindsey Graham pour ne citer qu’eux) l’ont clairement défini comme un assaut contre la démocratie pour lequel Donald Trump portait une lourde responsabilité. Ils ont complètement retourné leur veste en espérant que les Américains l’oublieraient mais ils accusent les démocrates d’exploiter cet événement à des fins uniquement politicienne. Suivant en cela l’avis de leur maître :
« The American People also see that January 6 has become the Democrats’ excuse and pretext for the most chilling assault on the civil liberties of American citizens in generations. It is being used to justify outrageous attacks on free speech, widespread censorship, de-platforming, calls for increased domestic surveillance, appalling abuse of political prisoners, labeling opponents of COVID lockdowns and mandates as national security threats, and even ordering the FBI to target parents who object to the radical indoctrination of their children in school ».
Donald Trump, 7 janvier 2022