Alors que l’épidémie de la Covid-19 a occasionné presque 800 000 morts aux Etats-Unis, la crise liée aux opioïdes a dépassé pour la première fois le seuil symbolique des 100 000 décès sur une année (sur une période allant d’avril 2020 à avril 2021) en augmentation de près de 30 % par rapport à l’année précédente. C’est ce qu’indique le National Center for Health Statistics dans une statistique un peu macabre. Une des différences avec la Covid-19 est ce que cette crise touche plutôt les jeunes.
La crise des opioïdes – substance psychotrope de synthèse ou naturelle dont les effets sont similaires à ceux de l’opium – qui fait des ravages dans de nombreuses familles remonte à une vingtaine d’années et constitue une véritable catastrophe nationale qui est sans doute passée en arrière-plan, derrière la Covid-19. En 2017, on évaluait à plus de 70 000 morts par overdose de ces substances. C’est vingt fois plus que la mortalité due à l’alcoolisme. A titre de comparaison, la catastrophe naturelle occasionnée par l’ouragan Katrina avait causé environ 2 000 morts.
La crise des opioïdes est un phénomène spécifique aux États-Unis. Avec 5 % de la population mondiale, les États-Unis en consommeraient 80 %. Certes la consommation de type de produits n’est pas nouvelle, mais elle a connu un net regain il y a une vingtaine d’années. Ce type de produits est utilisé depuis bien longtemps, notamment pendant les conflits militaires. Ils furent largement consommés pendant la guerre de Sécession et l’on évalue à 400 000 le nombre de soldats présentant une addiction à la morphine après la guerre. Un phénomène comparable s’est produit après la guerre du Vietnam à l’issue de laquelle entre 10 à 15 % des soldats revenus au pays étaient devenus dépendants.
Le grand tournant dans cette crise remonte aux années 90 avec l’arrivée d’un nouveau produit antalgique, l’OxyContin, créé et fabriqué par Purdue Pharma. En mettant ce nouveau médicament sur le marché, le laboratoire pharmaceutique a lancé alors une campagne promotionnelle auprès des médecins et du public en laissant croire que l’OxyContin était moins addictif que tous les autres produits et que son usage restait sous contrôle. Des affirmations avancées sans aucune preuve scientifique conduisant à des prescriptions massives par les médecins pour calmer la douleur, même dans des cas où d’autres traitements moins intrusifs auraient pu être tout aussi efficaces.
Les premiers accords faisant suite à des poursuites juridiques sont déjà intervenus. En juillet dernier, le laboratoire pharmaceutique Johnson & Johnson et les trois sociétés de distribution de médicaments Cardinal Health, AmerisourceBergen et McKesson ont conclu un accord avec les villes et les états pour liquider le différend qui les oppose depuis plus de deux ans de procédure sur la crise des opioïdes (Accords en vue sur la crise des opioïdes ?). Selon cet accord, les distributeurs verseront 21 milliards de dollars sur 18 ans et Johnson & Johnson 5 milliards sur 9 ans. Sur les 26 milliards de dollars, 2 seront utilisés pour payer les frais de procédure et des cabinets d’avocats. Certains états et localités ont fait appel à leurs avocats salariés mais d’autres ont contracté avec des cabinets privés. Parmi les autres affaires en cours, il y celle entre une quinzaine d’états et le laboratoire Purdue Pharma, le fabricant de l’Oxycontin avec lequel le scandale et le désastre est arrivé. Et le sujet est loin d’être soldé.
A l’occasion de la publication de cette statistique, l’administration a indiqué qu’elle élargirait l’accès à des médicaments comme la naloxone, qui peut inverser une surdose d’opioïdes, en encourageant les États à adopter des lois qui le rendront plus largement disponible et en promouvant son utilisation par les Américains. Maintenant, il faut savoir si cette question de santé publique va être happé par la politique ce qui réduirait ses chances de succès : les républicains mettant l’accent sur la liberté et la responsabilité de chacun et accusant les démocrates d’être trop laxistes. On a pu constater la toxicité des ces réflexes partisans à l’occasion de la crise de la Covid-19.
L’augmentation des décès – la grande majorité causée par les opioïdes synthétiques – a été alimentée par l’utilisation généralisée du fentanyl, un médicament à action rapide qui est 100 fois plus puissant que la morphine. De plus en plus de fentanyl est ajouté subrepticement à d’autres drogues fabriquées illégalement pour augmenter leur puissance. Les décès par overdose liés à l’utilisation de stimulants comme la méthamphétamine, la cocaïne et les opioïdes naturels et semi-synthétiques, tels que les analgésiques sur ordonnance, ont également augmenté au cours de la période de 12 mois.
Dans cette catastrophe sanitaire, on observe de fortes disparités régionales. La Californie, le Tennessee, la Louisiane, le Mississippi, la Virginie occidentale et le Kentucky sont les états où l’augmentation a été la plus forte dépassant 50 % sur l’année précédente.