On attribue généralement à Henry Ford l’idée que l’échelle acceptable des salaires entre les salariés et le patron des entreprises est de 1 à 20. Un peu plus tard, il aurait révisé son jugement en portant ce ratio raisonnable à 40. Peu importe la véracité de ces propos, la réalité est que dans les années 1960 qui constituait peut-être l’âge d’or du capitalisme américain, ce ratio était effectivement de 1 à 20. Peu de voix à l’époque se seraient élevés pour s’insurger sur une telle situation et considérer que les patrons des grandes entreprises étaient les laissés pour compte de la prospérité américaine.
Puis Ronald Reagan est arrivé avec des idées de dérégulation et de mise en retrait du gouvernement fédéral qui n’était plus la solution mais le problème. Pour être précis, ce mouvement de hausse des revenus des grands patrons avait commencé un peu plus tôt, dans les années 70 mais il s’est largement accéléré à partir des années 80 (voir graphique ci-dessous).
En 2021, la rémunération moyenne d’un Pdg de l’une des 350 plus grandes entreprises aux États-Unis était de 27,8 millions de dollars en moyenne (en utilisant une mesure « réalisée » de la rémunération du PDG qui tient compte des attributions d’actions lorsqu’elles sont acquises et des options d’achat d’actions lorsqu’elles sont encaissées). Cette augmentation de 11,1 % par rapport à 2020 s’explique par la croissance rapide des attributions d’actions acquises. C’est ce qu’indique une récente étude du Think Tank Economic Policy Institute (CEO pay has skyrocketed 1,460% since 1978).
En 2021, le ratio de la rémunération Pdg par rapport à celle du salarié moyen était de 399 pour 1. En 1965, elle était de 20 à 1. Les PDG gagnent même beaucoup plus que les autres très hauts salariés (salariés du top 0,1%), soit près de sept fois plus. De 1978 à 2021, la rémunération des PDG basée sur la rémunération réalisée a augmenté de 1 460%, dépassant de loin la croissance du marché boursier S & P (1 063%) et la croissance des bénéfices de 0,1% (qui était de 385% entre 1978 et 2020, selon les dernières données disponibles). En revanche, la rémunération du travailleur type n’a augmenté que de 18,1% de 1978 à 2021.
L’étude met en avant l’augmentation spectaculaire de la rémunération des PDG pendant la pandémie. Alors que des millions de personnes ont perdu leur emploi au cours de la première année de la pandémie et ont subi des baisses de salaires réels en raison de l’inflation au cours de la deuxième année, la rémunération réalisée par les PDG a bondi de 30,3 % entre 2019 et 2021. La rémunération typique des travailleurs qui ont conservé un emploi a augmenté de 3,9 % au cours de la même période.
La rémunération exorbitante des Pdg contribue à l’augmentation des inégalités. Selon les auteurs de l’étude, ils reçoivent une rémunération de plus en plus élevée au fil du temps en raison de leur pouvoir de fixer les salaires et parce qu’une grande partie de leur rémunération (plus de 80%) est liée aux actions. Ils ne reçoivent pas un salaire plus élevé parce qu’ils deviennent plus productifs ou plus qualifiés que les autres travailleurs, ou en raison d’une pénurie d’excellents candidats au poste de Pdg. Cette escalade de la rémunération des Pdg et de la rémunération des dirigeants en général a alimenté la croissance des revenus des 1% et 0,1% les plus riches, laissant moins de gains de croissance économique pour les travailleurs ordinaires et élargissant l’écart entre les très hauts revenus et les 90% les plus pauvres. L’économie ne subirait aucun préjudice si les Pdg étaient moins payés (ou taxés davantage).
Comment résoudre le problème
Pour l’Economic Policy Institute, les solutions sont des mesures qui réduiraient à la fois les incitations pour les Pdg à obtenir des concessions économiques et limiteraient leur capacité à le faire. Ces politiques pourraient inclure le rétablissement de taux marginaux d’imposition sur le revenu plus élevés au sommet ; l’établissement de taux d’imposition des sociétés plus élevés pour les entreprises qui ont des ratios plus élevés de rémunération des membres de la direction par rapport aux travailleurs ; Appliquer la réglementation antitrust pour limiter le pouvoir de marché excessif des entreprises et, par extension, des Pdg ; et permettre une plus grande utilisation du « say on pay », qui permet aux actionnaires d’une entreprise de voter sur la rémunération des cadres supérieurs.