Tout le monde a en tête le livre de Bob Woodward et Carl Bernstein, puis le film Alan J. Pakula Les Hommes du président (All the President’s Men). Les deux journalistes du Washington Post, devenus légendaires, ont enquêté sur le scandale du Watergate ce qui a eu pour conséquences la démission du président américain Richard Nixon.
La presse par l’intermédiaire du quotidien méritait bien son titre de quatrième pouvoir aux côtés de trois pouvoirs traditionnels exécutif, législatif et judiciaire.
En mai 2013, le fondateur et CEO d’Amazon décide de racheter (à titre personnel) le Washington Post pour 250 millions de dollars. Le quotidien s’est taillé une réputation de recherche intransigeante de la vérité depuis la publication des rapports secrets du Pentagone sur la guerre du Viêt Nam en 1971 ou les révélations sur le scandale du Watergate (1972-1974).
Jeff Bezos avait déjà fait parler de lui à l’occasion de la campagne électorale de 2024 en interdisant la publication d’un éditorial de la rédaction apportant son soutien à Kamala Harris. Le propriétaire du Los Angeles Times, un autre milliardaire, faisait de même. Rappelons que lors de son premier mandat, Donald Trump avait fustigé Jeff Bezos et Amazon, notamment en raison des conditions contractuelles avec la Poste et menacé à plusieurs reprises d’augmenter les tarifs postaux. Jeff Bezos est aussi impliqué avec le gouvernement avec sa société Blue Origin et concurrent de SpaceX.
Et puis, le jour de l’investiture, aux côtés de ses collègues milliardaires, Elon Musk, Mark Zuckerberg et du CEO de Google Sundar Pichai (on ne sait pas si lui est milliardaire, mais il représente les deux fondateurs de Google Larry Page et Sergueï Brin, eux multimilliardaires) étaient tout près du président et prêts à s’allier au nouveau pouvoir et à instaurer ce que l’ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis a baptisé Technofeudalism.
Pour plaire encore plus à son nouveau maître, Jeff Bezos a annoncé par le biais d’un message sur X (devenu le nouveau journal officiel) que son journal ne publierait plus dans les pages opinions que des tribunes dédiées à la défense des « libertés personnelles » et de l’économie de « marchés libres ». Pour libertés personnelles, il faut traduire par aucune censure d’aucune sorte (pour ceux qui ont la parole, s’entend) et pour l’économie de « marchés libres », il faut comprendre par abolition de toutes réglementations. Le rédacteur en chef des pages opinion a donné sa démission.
De son côté, l’administration Trump a pris le contrôle du pool de presse de la Maison-Blanche, une responsabilité qui incombait depuis les années 1950 à la White House Correspondents’ Association (WHCA). Cette décision permet à Trump de sélectionner les médias et les journalistes autorisés à le couvrir, écartant ainsi des organisations telles que Reuters, AP et HuffPost, tout en favorisant des médias pro-Trump comme Newsmax et The Blaze.
Donald Trump a intensifié les poursuites judiciaires contre les médias, les auteurs et les éditeurs de livres qu’il accuse de diffuser des informations mensongères. Il a exprimé son intention de créer de nouvelles lois sur la diffamation pour renforcer la responsabilité des journalistes. Bien que ses précédentes actions en justice contre les médias aient souvent échoué, il a récemment obtenu des règlements à l’amiable, notamment de Disney et ABC (qui a accepté de payer 15 M$), et est en négociation avec CBS et Paramount pour des affaires similaires.
La WHCA a fermement condamné les actions de l’administration Trump, les qualifiant de menaces pour l’indépendance de la presse aux États-Unis. Eugene Daniels, président de la WHCA, a déclaré que l’organisation n’appuierait aucune tentative visant à saper la couverture indépendante de la Maison-Blanche. En réponse à la prise de contrôle du pool de presse par l’administration, la WHCA a cessé de diffuser les rapports du pool via son système habituel, affirmant qu’elle ne pouvait plus garantir les normes journalistiques établies.
WHCA files motion in federal ap case
WHCA on “attempted government censorship of a free press”
Statement on White House Excluding AP from News Coverage
“This move tears at the independence of a free press in the United States. It suggests the government will choose the journalists who cover the president. In a free country, leaders must not be able to choose their own press corps”, explique dans un communiqué Eugene Daniels, White House Correspondents’ Association president. “For generations, the working journalists elected to lead the White House Correspondents’ Association board have consistently expanded the WHCA’s membership and its pool rotations to facilitate the inclusion of new and emerging outlets”.
Ces actions reflètent une tendance inquiétante vers un contrôle gouvernemental accru des médias, rappelant les pratiques des régimes autoritaires, et posent des questions cruciales sur l’avenir de la liberté de la presse aux États-Unis.
Tout ceci ne doit surprendre personne puisque Donald Trump a qualifié de manière répétitive que la presse était l’ennemi du peuple. Intimidations, actions devant la justice, enquêtes sur les médias publics, menace de suspension de licences d’exploitation des chaînes de TV, autant de cordes à l’arc de la réduction, voire à la suppression de la liberté de la presse qu’est prêt à utiliser.
“Democracy Dies in Darkness” nous dit le slogan officiel du quotidien depuis 2017. Et « le Washington Post » avec pourrait-on ajouter.