La période qui va du jour de l’élection – cette année le 3 novembre – au 8 décembre, est assez flottante et semble laisser la porte ouverte à des tentatives susceptibles de changer le cours des élections. En général, il ne se passe rien, car le lendemain du scrutin, la situation est assez claire avec un gagnant et un perdant, même si tous les bulletins ne sont pas comptés. Mais avec Donald Trump nous ne sommes pas « en général », mais bien dans une situation inédite qui met en tension le système de checks and balances. Depuis le vendredi 6 novembre, date à laquelle, l’élection a été déclarée gagnée par Joe Biden, Donald Trump n’a eu de cesse de remettre en cause les résultats et de hurler à la fraude et de lancer des dizaines de recours juridiques missionnant Rudy Giuliani, devenue son âme damnée (triste évolution pour celui qui avait fait la couverture de Time Magazine en 2001, mais la vieillesse est un naufrage avait prévenu le général de Gaulle) et son aéropage de clowns juristes Sydney Powell et Joe Digenova. Autant d’initiatives qui se sont fracassées les uns après les autres devant le mur de la justice. Donald Trump devenu adepte de Nicolas Boileau – « Vingt sur le métier remettez votre ouvrage » – en demandant aux législatures de certains états de compter et recompter les bulletins. Pour un résultat à chaque fois conforme au précédent.
Mardi dernier marquait une date importante dans le long processus qui mène à l’investiture du 20 janvier, celle du Safe Harbor selon laquelle tous les litiges ont été déclarés résolus permettant ainsi aux grands électeurs de chaque état de déposer leur bulletin une semaine plus tard, le lundi 14 décembre en suivant les volontés du suffrage populaire (sauf dans le cas des faithless electors). Mais il semble que plus les possibilités de retourner le résultat des élections se réduisent et plus les ardeurs de Donald Trump et de ses supporters se multiplient. Le dernier recours le plus extravagant est celui du ministre de la Justice du Texas Ken Paxton demandant à la Cour Suprême d’invalider quelque 10 millions de bulletins dans les quatre états qui pourraient faire basculer l’élection en faveur de Donald Trump : Géorgie, Wisconsin, Michigan et Pennsylvanie. Au motif que cette élection « had suffered from significant and unconstitutional irregularities in the four states at issue, making it impossible to know who legitimately won the 2020 election. »
Une démarche en soi délirante, mais qui devient vraiment problématique quand elle reçoit le soutien des ministres de la justice de 17 états – tous républicains, ça va sans dire – et de 125 élus de la Chambre des représentants dont le chef de la minorité Kevin McCarthy et du Minority Whip (le père Fouettard) Steve Scalise. Parmi ces représentants, il y a aussi des élus des quatre états en question qui viennent eux-mêmes d’être élus, mais ne remettent pas en cause leur propre élection. La logique demanderait qu’ils démissionnent puisque les élections ont été truquées.
Ces élus doivent se partager en deux groupes. Ceux qui sont intimement convaincus de leur démarche et considèrent, contre toute évidence, que les élections ont été faussées. Et ceux, totalement hypocrites, qui soutiennent l’initiative de l’état du Texas par peur de s’attirer les foudres du maître la Maison-Blanche. On ne sait pas trop lequel de ces deux groupes est le pire.
Mercredi, Donald Trump a salué l’initiative et soutenu une motion pour l’appuyer en demandant à Ted Cruz de la défendre au cas la Cour Suprême examinerait la demande. Il l’a qualifié de Big One. Tout ceci ne tombe pas du ciel et voilà des semaines que Donald Trump mentionne la Cour Suprême comme arbitre ultime de l’élection. Avec l’idée qui relève plus des pratiques mafieuses que du droit selon laquelle les trois juges qu’il a nommés doivent l’assurer en retour de leur loyauté et renvoyer l’ascenseur. Une étrange conception de l’état de droit qui ne surprendra que ceux qui veulent bien l’être. Avec sa boîte à tweet, il a bien sûr fait pression sur la Cour en l’appelant à avoir du « courage et de la sagesse » et en utilisant un argument pour le moins suspect selon lequel il faudrait agir parce que 78 % de la population pense que les élections ont été truquées. Autre argument de « poids », Donald Trump fait valoir qu’il a gagné l’Ohio et la Floride et qu’aucun candidat n’a perdu les élections après avoir gagné ces deux états. Ou encore qu’il a gagné 74 millions de voix sans mentionner que son concurrent en a récolté 81 millions.
Dans une motion séparée, les ministres de la Justice – trois démocrates et un républicain – des quatre états concernés ont expressément demandé à la Cour Suprême de ne pas considérer cette requête. C’est le ministre de la Justice de la Pennsylvanie Josh Shapiro qui a été le plus agressif en demandant à la Cour de « not abide this seditious abuse of the judicial process, and should send a clear and unmistakable signal that such abuse must never be replicated ».
L’arrêt de la Cour Suprême
TEXAS V. PENNSYLVANIA, ET AL.
The State of Texas’s motion for leave to file a bill of complaint is denied for lack of standing under Article III of the Constitution. Texas has not demonstrated a judicially cognizable interest in the manner in which another State conducts its elections. All other pending motions are dismissed as moot.Statement of Justice Alito, with whom Justice Thomas joins:
In my view, we do not have discretion to deny the filing of a bill of complaint in a case that falls within our original jurisdiction. See Arizona v. California, 589 U. S. (Feb. 24, 2020) (Thomas, J., dissenting). I would therefore grant the motion to file the bill of complaint but would not grant other relief, and I express no view on any other issue.
Le résultat est tombé vendredi soir par un arrêt bien laconique rejetant sans ambiguïté la requête du Texas. Donald Trump n’a pas mis longtemps à réagir par une série de tweets déplorant notamment le manque de courage et de sagesse de la Cour Suprême.
La partie juridique semble être définitivement terminée. Que peut faire Donald Trump d’ici le 20 janvier ? Continuer à mobiliser ses supporters, sa base, et éventuellement les encourager à différentes démonstrations. Une période troublée qui pourrait devenir dangereuse.