On se souvient que Donald Trump avait déclaré que le mot tariff était le plus beau de la langue anglaise.
Nous y sommes : Donald Trump a donc annoncé sous la forme de deux tweets séparés (le mot tweet est devenu une antonomase – n’en déplaise à Elon Musk qui a rebaptisé le réseau social X – (Par exemple le mot poubelle vient du nom de Eugène Poubelle, préfet de la Seine qui a imposé l’usage des récipients pour les déchets ménagers ; à terme on appellera peut-être les décisions du président des États-Unis présentées sous forme de messages sur un réseau social un Trump ?).
Dans un premier tweet, il annonce qu’il signera “all necessary documents » pour imposerle Mexique et le Canada 25 % de taxes sur tous les produits arrivant de ces deux pays. Mais il conditionne ces droits de douane à l’entrée des drogues (en particulier le Fentanyl) et des migrants illégaux sur le territoire américain. On pourrait donc penser qu’il s’agit de menaces plus que de mesures. C’est dans la logique du personnage.
Certains faisaient remarquer qu’il s’agissait plutôt là d’une menace ou même d’une gesticulation destinée à faire croire qu’il avait presque remporté une première victoire. Et que d’ici deux mois Donald Trump annoncerait – indépendamment de toute réalité – qu’il avait gagné et avait réussi à stopper l’immigration illégale et l’entrée de drogues aux États-Unis conformément à son slogan “I alone can fix it”. C’est ce que l’on pourrait appeler la méthode Sharpie. La vérité est dérangeante, changeons la vérité ou construisons une nouvelle vérité !
Peu après, il a commenté le contenu de la conversation téléphonique avec Claudia Sheinbaum expliquant qu’elle avait accepté de stopper l’immigration illégale. Mais ladite présidente a rectifié peut après indiquant « j’ai expliqué la stratégie globale que le Mexique a suivie pour faire face au phénomène migratoire. (…) Nous réitérons que la position du Mexique n’est pas de fermer les frontières, mais de construire des ponts entre les gouvernements et entre les peuples ».
Il n’est pas sûr que la diplomatie par tweets interposés soit la meilleure manière de régler les problèmes.
De son côté, Justin Trudeau a fait le déplacement à Mar-a-Lago sans doute pour expliquer au président-élu Trump les effets dévastateurs que ces droits de douane auraient sur l’économie canadienne, mais aussi sur l’économie américaine, tant les deux pays sont désormais très intégrés.
Jean Charest, ancien Premier ministre du Québec et ancien ministre canadien, explique dans le podcast Comprendre le monde les effets de ces droits de douane, mais aussi la position du Canada face aux États-Unis sous une administration Trump.
Dans un second tweet, il annonce des droits de douane de 10 % sur tous les produits chinois. Là encore, il reproche aux Chinois d’exporter de la drogue et de ne pas avoir institué la peine de drogue pour les trafiquants comme ils s’y étaient engagés. En passant, on se demande si les Bibles et les montres Trump qu’il fait fabriquer en Chine seront imposées par ces futures mesures ?
On remarque que, contrairement à ce qu’il avait annoncé, les montants des droits de douane sur les pays voisins, Mexique et Canada, sont plus élevés que les produits en provenance de Chine. Il y a seulement quelques semaines, il s’agissait de 10 % sur tous les pays et 60 % sur la Chine. C’est d’autant plus surprenant concernant le Mexique et le Canada, qu’il avait lui-même négocié un nouvel accord de libre-échange NAFTA 2, alias USMCA, qui a pris effet au 1er juillet 2020. Un accord qui ne changeait pas radicalement les termes des échanges définis dans NAFTA 1, mais qui lui permettait d’annoncer une grande victoire.
Certains analystes ont mis en évidence la contradiction (l’illégalité ?) entre droit de douanes et accord USMCA. En fait, il existe une clause dans l’accord qui permet de le faire à l’occasion de circonstances exceptionnelles où la sécurité nationale est en jeu. Dans cette première salve de menaces/mesures, il ne manque que l’Europe, mais elle ne devrait pas tarder à faire l’objet d’un tweet.
Depuis 1989, le déficit commercial des États-Unis n’a fait que s’amplifier, en passant de 109 milliards de dollars à 1160 milliards de dollars en 2024. Le seul moment où ce déficit a arrêté de se creuser est en 2009 en raison de la crise financière, et de manière beaucoup plus forte qu’en 2020 au moment de la crise du Covid. Quel a été l’effet des droits de douane imposés par Donald Trump pendant son premier mandat ? De manière presque mécanique et très rapide, les États-Unis ont reporté une partie de leur importation sur d’autres pays, notamment le Mexique ou d’autres pays d’Asie. En 1989, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine était de 6 % du déficit des États-Unis avec le reste du monde. Ce déficit avec la Chine a augmenté régulièrement pour atteindre 48 % du déficit mondial en 2018, il est retombé à 25 % en 2024.
Aujourd’hui, c’est l’Europe qui est le premier partenaire commercial des États-Unis avec un volume d’échange en 2023 de 843 milliards de dollars devant le Mexique (797), le Canada (763) et la Chine (573). Avec ces trois zones d’échanges, les États-Unis sont déficitaires ? C’est donc un problème structurel des États-Unis qui ne semble plus vouloir fabriquer des produits. C’est le syndrome du fabless industry – pour lesquels la France a eu aussi ses champions, on se souvient de Serge Tchuruk et de son idée d’entreprise sans usines – qui a atteint de nombreux esprits.
En confiant la production à des pays tiers, les entreprises américaines ont laissé partir le savoir-faire et donné ainsi les armes à ses sous-traitants pour développer leur propre production. Ce n’est peut-être pas trop grave lorsqu’il s’agit de chaussures de sport, mais plus préoccupant sur des produits stratégiques comme les semiconducteurs. L’entreprise taïwanaise TSMC représente environ 54 % de la capacité de production mondiale des semi-conducteurs de pointe (processeurs dont la gravure est inférieure à 16 nm). Nombre d’entreprises américaines sont dépendantes de TSMC. Dans le cadre de la stratégie de réindustrialisation, TSMC a annoncé un investissement de 12 milliards de dollars pour la construction d’une usine de fabrication de semi-conducteurs en Arizona.