On connaissait la jurisprudence Balladur qui voulait que tout ministre impliqué dans une affaire judiciaire démissionne. En fait, cette règle remonte au gouvernement Bérégovoy. Plusieurs ministres en ont « fait les frais » : Bernard Tapie, mis en cause dans un dossier Toshiba, Alain Carignon, Gérard Longuet, Michel Roussin, Dominique Strauss-Kahn. Sur ces 5 ministres, seul Alain Carignon avait été condamné. Dominique Strauss-Kahn a été, lui, rattrapé par un scandale lié à des comportements sexuels déviants. L’affaire rocambolesque avec Nafissatou Diallo avait ouvert la boîte de Pandore et délié les langues de plusieurs femmes qui avaient subi les assauts de DSK.
Avec l’affaire Moore, Mitt Romney a transposé dans un tweet cette jurisprudence en faisant le distinguo entre les niveaux juridique et politique. Alors que sur le premier point, tout personne est innocente jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable, sur le second, les exigences sont plus élevées dans la mesure où la personne qui se présente à des élections ou qui a un mandat publique a une charge qui l’engage bien plus.
L’affaire Roy Moore est en train de se transformer en véritable scandale politique national sur lequel tous les politiques sont censés, voire sommés, de se positionner. C’est là le degré zéro de la politique et c’est plutôt une affaire de mœurs. Tout est sorti d’un article du Washington Post (Woman says Roy Moore initiated sexual encounter when she was 14, he was 32) qui s’appuie sur les histoires de 4 femmes victimes (à l’époque des jeunes filles dont l’une avait 14 ans alors que l’âge légal du consentement dans l’Alabama est de 14 ans) et une trentaine de témoignages qui corroborent les faits.
La primaire républicaine pour le poste de sénateur des Etats-Unis pour l’état de l’Alabama avait déjà fait lourdement fait parlé mettant en lice un républicain de l’establishment, Lester Strange, soutenu mollement par Donald Trump qui avait déclaré que dans l’hypothèse de la victoire de son concurrent il le soutiendrait et Roy Moore, une figure de la politique locale depuis des décennies soutenue activement par Steve Bannon. L’ancien conseiller de Donald Trump s’est donné comme objectif de détruire le parti républicain existant et de le reconstruire à l’image de Donald Trump. Steve Bannon présume un peu trop de ses forces mais il est vrai qu’il a su transformer sa lettre Breitbart News en arme politique assez puissante.
Roy Moore avait gagné cette primaire contre le candidat de l’establishment Lester Strange et s’engageait donc doucement dans une victoire certaine. La dernière victoire démocrate dans cet état ultraconservateur remonte aux années 80 et Donald Trump a gagné avec 28 % d’avance sur Hillary Clinton. C’était donc une promenade de santé. Et puis, patatras, l’article du Washington remet tout en question.
La cartographie électorale de l’Alabama est loin d’être uniforme et presque tout aussi polarisé que l’ensemble du pays. Lors des dernières élections de 2016, les zones urbaines autour de Birmingham et Montgomery avaient voté assez largement en faveur de Hillary Clinton et le reste de l’Etat pour Donald Trump a une écrasante majorité, parfois dépassant les 80 %, voire approchant les 90 %. Comme l’avait déclaré en son temps Arnaud Montebourg, dans certains comtés, une chèvre avec l’étiquette républicain serait certaine de l’emporter.
Les Républicains se sont alors organisés en plusieurs groupes. Les soutiens indéfectibles – beaucoup sont dans l’état de l’Alabama – de Roy Moore avec comme principal argument : il est étrange que cette information sorte juste quatre semaines avant les élections alors que Roy Moore est un homme public de l’état depuis une quarantaine d’années. Certains allant même jusqu’à dire qu’il y a prescription. Et les plus radicaux soutiennent Roy Moore en pleine connaissance de cause. La déclaration la plus stupide étant celle de l’auditeur d’état Jim Ziegler n’hésitant pas à faire la comparaison avec Marie et Joseph. Il fallait y penser. S’il y avait un prix de l’absurdité, il serait hors concours. Une cinquantaine de pasteurs de l’Etat ont publié une lettre de soutien à Roy Moore sur leur page Facebook (pour lire la lettre) dont la lecture est édifiante.
Le deuxième camp est celui des « Si c’est vrai alors il faut qu’il se retire ». Et le troisième est constitué de quelques pionniers dont John McCain qui n’ont pas hésité à déclarer que Roy Moore devait se retirer étant donné les charges qui pesaient sur lui. Au fur et à mesure que l’affaire prend de l’ampleur, en particulier avec les déclarations d’une cinquième victime, les membres du deuxième groupe ont tendance à déserter pour adhérer au troisième. Evidemment, les enjeux sont très importants car les bulletins de vote sur lequel le nom de Roy Moore est imprimé ont déjà été envoyés pour les votes anticipés, il est donc impossible de modifier que ce soit.
Que Roy Moore se retire ou non, il est possible d’ajouter un « write-in » candidat. L’électeur écrit le nom du candidat (ou pose un autocollant) choisi par le parti sur le bulletin. Mais à ce jour, que Roy Moore se retire ou non, le candidat républicain sera en position très délicate pour cette élection spéciale destinée à remplir le siège vacant depuis la nomination de Jeff Sessions au poste de ministre de la Justice. Ce qui ramènerait la majorité pour les républicains au Sénat à 51 sièges. Réduisant encore plus les chances de voter quoi que ce soit, en particulier la loi sur la réforme fiscale.
L’autre affaire en filigrane de cette histoire est celle de Donald Trump, accusé par une douzaine de femmes pour harcèlement sexuel, une accusation balayée d’un revers de main par le président mais qui n’est en rien hors du champ des possibles. L’épisode de l’Hollywood Tape donnant un certain crédit à ces allégations. Mais Donald Trump est président alors que Roy Moore n’est que candidat au Sénat des Etats-Unis pour l’état de l’Alabama.
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