Après la publication du rapport Mueller, pourtant accablant pour Donald Trump, l’opinion américaine est restée accrochée à ses certitudes : les pro-Trump ont renforcé leur jugement fondé sur l’idée que le deep state s’acharnait sur son champion et que cette enquête était un hoax, une witch hunt, les anti-Trump ont, à raison, renforcé aussi leur jugement même si aucune conspiration n’a été détectée. La publication a été habilement contrôlée par le ministre de la Justice Bill Barr, qui avant de sortir une publication expurgée, a eu le temps d’en publier une synthèse pour le moins très favorable à Trump et à son équipe. Face à ses éléments, la Speaker de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi a résisté aux sirènes de l’Impeachment, sans doute au terme d’un calcul politique selon lequel lancer une telle procédure se retournerait pour finir contre les démocrates dans les urnes en 2020. A ce moment-là, l’Impeachment ne recueillait pas le soutien de la majorité des Américains.
En quelques jours, tout semble avoir changé. L’affaire ukrainienne a renversé la table et mis les démocrates à l’offensive. L’initiative d’un lanceur l’alerte (qui lance des alertes dans des règles clairement établies, ce qui ne doit pas être confondus avec des fuites dans la presse) troublée par les agissements d’un président faisant appel à un président d’une puissance étrangère pour recueillir des informations compromettantes sur un opposant politique qui apparaît pour l’instant sont principal concurrent en 2020 les a poussés à lancer une enquête dans le cadre de la destitution prévue dans la Constitution. Et la Speaker a soudain changé d’avis et lancé la procédure d’enquête.
Ici, le choix entre ne rien faire et réagir était encore plus clair. Ne rien faire c’est créer une jurisprudence en banalisant une telle action et permettre à un futur président de faire pareil avec une certaine impunité. Ou lancer la procédure pour examiner en détail les faits. Nancy Pelosi a pris le bon choix de confier l’affaire à Adam Schiff plutôt qu’à Jerry Nadler, ce dernier étant déterminé à destituer le président depuis longtemps.
Donald Trump, qui d’habitude a l’art de reprendre la main, semble être un peu dépassé par les événements. Comme il s’est si bien le faire, pour un coup reçu, c’est dix coups envoyés sauf que cette fois, ils sont totalement disproportionnés et envoyés à tort. Le contenu de la conversation entre Trump et le président d’Ukraine a été finalement donné au Congrès. Et même s’il est reconstitué par les soins de la Maison-Blanche, il est déjà accablant. Il est probable qu’on n’aura jamais connaissant de la transcription exacte de la conversation qui a été placée dans un serveur ultra sécurisé accessible par quasiment personne. Et puis un deuxième lanceur d’alertes devrait fournir des informations encore plus probantes.
Dans ses différentes miniconférences de presse données par le président lui-même sur la pelouse de la Maison-Blanche en allant à son hélicoptère – ce qui permet d’entendre les réponses, mais pas les questions – Donald Trump a ouvertement appelé les Chinois a enquêté sur Joe Biden et son fils. Là c’est encore plus grave dans la mesure où les Etats-Unis sont dans une négociation commerciale depuis de longs mois. Et la notion de quid pro quo (échange ou chantage) prend tout son sens : Par exemple, donnez-moi des informations sur Joe Biden et je ne dirais rien sur les événements qui se passent actuellement à Hong-Kong. Sans parlé des attaques personnelles a répétition ou des déclarations déplacées selon lesquelles par exemple les démocrates préparent un coup d’état, là où il engage une démarche prévue par la Constitution.
Tout ceci est déjà suffisant probant, mais d’autres événements sont également intervenus : un échange avec le premier ministre australien pour obtenir des informations dénigrant Bon Mueller en particulier et les services de renseignements en général considérés par Donald Trump comme le deep state ; un autre lanceur d’alertes sur des initiatives après du service des impôts pour dissimuler des informations fiscales concernant le président et le vice-président.
Bref tout ceci fait beaucoup et intervient après deux ans et demi de controverses, de polémiques, de querelles, les Américains commencent un peu à être fatigués. L’image du président « disrupteur » et dur à cuire qui se bat pour les Américains (les vrais pas les « libéraux socialistes » qui veulent mettre à bas le pays) est peut-être en train de changer en celle de quelqu’un qui se moque éperdument de règles d’éthique et de bienséance et ne cherche qu’une chose : son bénéfice personnel et celui de sa famille.
Cette évolution est très lente et tout sauf assurée. Jusqu’ici, Donald Trump bénéficie de deux alliés indéfectibles : Fox News et les sénateurs et représentants républicains. Et nous n’en sommes pas encore au 7 août 1974 lorsqu’après la publication des bandes, les sénateurs Barry Goldwater et Hugh Scott et le représentant John Rhodes sont venus à la Maison-Blanche pour dire à Richard Nixon qu’il n’avait plus le soutien du Congrès. Loin de là. Pour les sénateurs qui au final seront ceux qui voteront sur la destitution soutiennent leur président et adopte même ses éléments de langage. Comme par exemple sur le coup d’état. Chez Fox, une bataille interne est ouverte entre certains journalistes – Shep Smith, Chris Wallace… – qui défendent leur métier et les commentateurs comme Sean Hannity, Jeannine Piro, prêts à suivre Donald Trump jusque dans sa tombe politique.
Three leading Capitol Hill Republicans – Senate Minority Leader Hugh Scott of Pennsylvania,
Barry Goldwater of Arizona and House Minority Leader John Rhodes of Arizona –
told embattled President Richard Nixon he did not have the support
to survive impeachment proceedings. (Photo: Republic file photo)
Dans la campagne qui est déjà ouverte et qui s’annonce encore plus brutale que la dernière, Donald Trump va devoir batailler sur les deux fronts : la procédure d’impeachment lancée contre lui et la campagne électorale. La gestion des affaires courantes sera sans doute réduite à des choses simples comme la construction du mur ou la chasse aux immigrants pour montrer à sa base qu’il se bat pour elle. Bref un agenda extrêmement chargé. Alors que du côté démocrate, les choses sont séparées : ceux qui s’occupent de la destitution et ceux qui font campagne.
La publication des faits autour de cette affaire ukrainienne sur laquelle Nancy Pelosi a souhaité limiter son investigation va sans doute pousser Donald Trump a faire ce que les chroniqueurs sportifs appellent : unforced errors.
En une semaine, l’opinion s’est complètement modifiée avec une majorité d’Américains devenus favorables à une procédure d’impeachment.