« Jamais un plus immense pouvoir judiciaire n’a été constitué chez aucun peuple » écrit Alexis de Tocqueville en parlant de la Cour suprême cité par Elisabeth Zoller dans son ouvrage sur les grands arrêts de la Cour Suprême[1]. « Consolidé en 1803 dans l’arrêt Marbury v. Madison, l’immense pouvoir parvient au stade de la suprématie judiciaire en moins d’un siècle. Mais sous la présidence de Franklin Roosevelt, le gouvernement des juges s’effondre et la Cour suprême opère un changement radical des méthodes et des buts du contrôle judiciaires de constitutionnalité. Depuis ce tournant historique, la Cour se consacre à défendre le droit de chacun à l’égalité des droits (discriminations raciales et sexistes) et en devant la protectrice des libertés de l’esprit, la liberté d’opinion ou d’expression »
On observe un nouveau changement en profondeur depuis une quarantaine d’années avec la révolution conservatrice lancée par Ronald Reagan. La Cour semble utiliser de plus en plus le droit comme un instrument pour s’immiscer dans le vie politique et prendre du pouvoir sur l’Exécutif et le Législatif. Et elle a été aidée par les présidents ont usé de ce pouvoir en nommant des juges libéraux ou conservateurs. Mais les conservateurs ont franchi une nouvelle étape ces dernières années en détournant le processus et en bloquant ou en accélérant des nominations aboutissant à une Cour aujourd’hui largement déséquilibrée.
Cette situation est l’œuvre combinée du sénateur Mitch McConnell et du président Donald Trump. Sans aucune retenue ou honte, le leader de l’ex-majorité républicaine au Sénat pendant le deuxième mandat a bloqué la nomination de Merrick Garland pour remplacer Antonin Scalia (un modéré pour remplacer un conservateur) au motif fallacieux que cette nomination intervenait dans la dernière année du second mandat de Barack Obama. Résultat, ce poste a été attribué par Donald Trump à Neil Gorsuch, un Juge conservateur. A l’inverse, il a précipité la nomination d’un Juge pour remplacer Ruth Bader Ginsburg dans les derniers du mandat de Donald Trump. C’est ainsi que la très conservatrice Amy Coney Barrett a été confirmée huit avant l’élection de 2020 alors des millions d’Américains avaient déjà envoyé leur bulletin de vote par la poste. Ce qui donne une Cour Suprême à 6 Juges conservateurs contre 3 Juges modérés ou progressistes (au lieu de 5-4).
Cette anomalie avait mis la question de la réforme de la Cour Suprême au cœur des sujets de la campagne. Avec plusieurs options : limite d’âge imposé aux Juges – jusqu’ici ils sont nommés à vie -, élargissement de la Cour Suprême. L’option qui avait circulé était de passer la Cour de 9 à 13 juges. La question – piège – avait été posée plusieurs fois au candidat Joe Biden qui l’avait éludé. Car répondre à cette question était hautement inflammable.
Mais cette question revient régulièrement d’actualité, en particulier en fonction des sujets que la Cour traite et de l’influence qu’elle peut avoir sur la société américaine. Actuellement, le sujet du jour est l’avortement et la mise en cause de l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Ou selon que des hommes ou femmes politiques en parle à nouveau. C’est le cas d’Elizabeth Warren, la sénatrice du Massachusetts, qui a endossé l’idée d’ajouter de nouveaux juges. Il faut rappeler que l’ex-candidate à la primaire démocrate est progressiste mais aussi professeur de droit.
Le nombre de Juges n’a pas toujours été de neuf comme actuellement. La Constitution ne donne aucune indication sur ce nombre et délègue au Congrès cette responsabilité. Et de fait, la taille de la Cour a fluctué avec le temps.
Le Congrès a initialement établi une Cour suprême de six membres par le biais de la loi judiciaire de 1789. La taille de la Cour a été modifiée pour la première fois par la loi sur les juges de minuit de 1801 qui aurait réduit la taille de la cour à cinq membres, mais la loi judiciaire de 1802 a rapidement annulé la loi de 1801, rétablissant légalement la taille de la cour à six membres. Alors que les frontières de la nation se développaient à travers le continent et que les juges de la Cour suprême de l’époque devaient parcourir le circuit, un processus ardu nécessitant de longs déplacements à cheval ou en calèche sur un terrain accidenté qui entraînait des séjours prolongés de plusieurs mois loin de chez eux, le Congrès a ajouté des juges pour correspondre à la croissance : sept en 1807, neuf en 1837 et dix en 1863.
À la demande du juge en chef Chase et dans une tentative du Congrès républicain de limiter le pouvoir du démocrate Andrew Johnson, le Congrès a adopté la loi sur les circuits judiciaires de 1866, prévoyant que les trois prochains juges à la retraite ne seraient pas remplacés, ce qui réduirait à sept juges. Par conséquent, un siège a été supprimé en 1866 et un second en 1867. Peu de temps après que Johnson a quitté ses fonctions, le nouveau président Ulysses Grant, un républicain, a promulgué la loi sur la justice de 1869. Cela a ramené le nombre de juges à neuf où il est resté depuis.
Franklin Roosevelt a tenté d’élargir la Cour en 1937. Sa proposition prévoyait la nomination d’un juge supplémentaire pour chaque juge en exercice ayant atteint l’âge de 70 ans et 6 mois et refusé la retraite, jusqu’à un banc maximum de 15 juges. La proposition visait apparemment à alléger le fardeau du rôle des juges âgés, mais le but réel était largement compris comme un effort pour « emballer » la Cour avec des juges qui soutiendraient le New Deal de Roosevelt. Le projet a échoué au Congrès après que des membres du propre Parti démocrate de Roosevelt l’aient jugé inconstitutionnel, il a été défait 70-20 au Sénat des États-Unis.
Longévité des 9 Juges actuels
[1] « Les grands arrêts de la Cour suprême des Etats-Unis », Elisabeth Zoller