Au diable les analyses politiques et géopolitiques fines, la colère de l’homme blanc de la classe moyenne de la Rust Belt par exemple, Donald Trump n’a-t-il pas été élu tout simplement parce qu’il est un « crook » ? Une question dont la formulation est radicale, mais qui ne fait que traduire quarante ans de pratiques dans les 5 boroughs de New York, Atlantic City, Las Vegas et bien d’autres lieux encore. Rappelons d’ailleurs – on ne le répétera jamais assez -, il a été élu avec 3 millions de voix populaires qu’Hillary Clinton. Une distorsion liée au système électoral présidentiel américain inadapté que E.J. Dionne, Norman Orstein et Thomas Mann analysent avec précision dans leur livre « One Nation after Trump ».
Tony Soprano transformé en Richard Nixon
Hier soir, Donald Trump parlait à un meeting en Virginie-Occidentale où il annonçait la réduction des normes environnementales pour les producteurs de charbon qu’il considère comme le nouvel or noir de l’Amérique, le clean coal. Un oxymore. Rappelons que l’industrie du charbon emploie quelque 50 000 personnes aux Etats-Unis et que son avenir n’est certainement pas devant elle. Mais le président n’en n’a cure et en partisan du « c’était mieux avant » avec sa formule magique « Make America Great Again » promeut activement cette industrie du 19e siècle. La propre administration Trump a indiqué que ces nouvelles régulations pourraient causer la mort prématurée de 1400 personnes d’ici à 2030 et causé des maladies respiratoires pour quelque 15 000 personnes.
Répondant aux questions de la presse sur les deux évènements de la soirée, le président n’a peut-être pas pris la mesure de la gravité de ce qui venait de se passait. Alors que Paul Manafort venait d’être condamné sur huit chefs d’accusation sur les 18 retenues, Donald Trump a continué à répéter que c’était « a good man ». Un homme de bien accusé de 5 chefs de fraude fiscale, 2 de fraudes bancaires et un lié à la non-déclaration d’un compte en banque à l’étranger. Évidemment, Donald Trump a rappelé que Paul Manafort avait travaillé pour beaucoup de monde dont Ronald Reagan et Bob Dole… sans redire qu’il avait été son directeur de campagne soulignant par là qu’il n’était en rien concerné par ce verdict.
Mais si ce mardi noir n’était pas un jour faste pour le président Trump, ce n’est pas à cause de la couleur du charbon. Le plus important se passait bien ailleurs. Comme le disait Jacques Chirac, « les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». Ce mardi l’escadrille était emmenée par deux volatiles de choix : Michael Cohen, l’homme de main et exécuteur des basses œuvres – accessoirement avocat – pendant plus d’une décennie du businessman Donald Trump et Paul Manafort, directeur de campagne du candidat Trump pendant la période déterminante de la Convention républicaine où il était si important d’assurer la nomination dudit Donald.
Michael Cohen a décidé de plaider coupable pour 8 chefs d’accusation, dont 2 violations de campagne électorale. En la matière, il s’agit des deux paiements de respectivement 130 000 et 150 000 dollars pour réduire au silence deux possibles témoins : Directement, Stephanie Clifford alias Stormy Daniels, une actrice porno, et indirectement, Karen McDougal, via le paiement à AMI Inc, propriétaire du tabloïd National Enquirer.
Michael Cohen a avoué avoir agi « in coordination with and at the direction of a candidate for federal office » et qu’il avait « participated in this conduct, which on my part took place in Manhattan, for the principal purpose of influencing the election for president in 2016 ». On ne peut être plus clair. Il sera jugé le 12 décembre prochain après les élections.
Michael Cohen risque jusqu’à 65 ans de prison, une sentence qui sera réduite à quelques années seulement parce qu’il a plaidé coupable « mettant sa famille et son pays avant sa loyauté pour Donald Trump » selon la formule de son avocat Larry Davis. Cet accord sur le plaidé coupable n’inclut pas pour le moment de coopération avec les procureurs fédéraux de Manhattan. Mais rien n’empêche Michael Cohen de fournir plus d’informations dans les semaines à venir sur la dimension concernant la collusion avec le Russie.
Le cas Manafort est assez différent. Il n’a pour l’instant pas plaidé coupable et a été condamné par le jury sur 8 chefs d’accusation. Pour l’instant, les affaires jugées n’ont rien à voir avec le rôle de directeur de campagne de Donald Trump et sont intervenues bien avant. Néanmoins, le lien entre son rôle dans l’élection de Viktor Yanukonych, un candidat pro-russe, à la présidence ukrainienne, et les affaires russes qui ont pollué la campagne de Donald Trump est évidemment très troublant. Lui aussi risque de finir ses jours en prison sachant qu’un autre procès doit s’ouvrir dans les semaines à venir à Washington sur 7 autres chefs d’accusation dont entrave à la justice, manquement à s’être enregistré comme agent étranger, blanchiment d’argent.
Paul Manafort n’a pas plaidé coupable, mais la pression de la sentence potentielle, il pourra toujours changer d’avis et être beaucoup plus coopératif en apportant des informations sur la campagne pendant les mois où il a été impliqué.
Il détient sans doute moins d’informations que Michael Cohen, mais qui pourraient néanmoins être très précieuses à l’enquête menée par Bob Mueller.
Nick Akerman, ancien procureur lors de l’affaire du Watergate faisait remarquer comment l’histoire ne fait que se répéter : Herbert W. Kalmbach, qui était l’avocat personnel de Richard Nixon, a plaidé coupable, été inculpé et condamné à de la prison, et John N. Mitchell, directeur de campagne de Nixon et ensuite ministre de la Justice, a lui aussi été condamné et a fait 19 mois de prison.
La suite juridique de ce mardi n’est évidemment pas terminée, mais la suite politique non plus. À part quelques exceptions les représentants du parti républicain n’ont jamais élevé la voix pour dire qu’une ligne rouge avait été franchie et se sont montrés très conciliants et dociles. Vont-ils le rester dans la perspective des élections de midterms alors qu’un retournement de l’opinion n’est pas totalement exclu même si la base de Donald Trump s’est montrée jusqu’ici extrêmement loyal à son tonitruant héraut et son tremendous héros ? Est-ce pour toujours ? Cette base, désormais immunisée contre les faits et addict à la parole de son chef, est-elle prête à boire le calice jusqu’à la lie ? Ce n’est pas impossible, car jusqu’ici elle s’est montrée inamovible.
Donald Trump a toujours la possibilité de pardonner Michael Cohen et Paul Manafort et de révoquer Bob Mueller pour terminer l’enquête sur l’affaire russe, a total witch hunt. Ce n’est pas inenvisageable connaissant le personnage. Mais là on arriverait dans des zones de turbulences totalement inconnues.
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