Près de 6 Américains sur 10 pensent que la prise de contrôle de l’Afghanistan par les Talibans accentue la menace du terrorisme pour les Etats-Unis. C’est ce qu’indique un sondage publié par Rasmussen le 25 août dernier. A bien y réfléchir, n’est-ce pas là une évidence car au mieux elle ne peut pas l’améliorer. Mais la question est-elle là ? Du point de vue Américain, elle consiste à savoir si la situation de l’Afghanistan est plus ou moins dangereuse qu’il y a vingt ans, avant le début de la guerre, concernant la sécurité et le développement de foyers terroristes sur le sol afghan capables de frapper n’importe où ? Du point de vue afghan, la situation est-elle plus satisfaisante sous le contrôle d’un gouvernement sorti des urnes mais avec un taux de participation extrêmement faible ou sous celui des Talibans ?
Globalement, les Américains sont plutôt favorables aux retraits des troupes de l’Afghanistan et plus généralement d’accord avec l’idée que les Etats-Unis ne doivent plus jouer le rôle de gendarme du monde.
Fallait-il envoyer des troupes en Afghanistan ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir les objectifs qui étaient définis pour cette mission. Dans le document What we need to learn: lessons from twenty years of Afghanistan reconstruction qu’il a publié début août, le Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction explique que ces objectifs ont largement évolué avec le temps. Il s’est agi d’abord d’éliminer Al Qaeda, de décimer les Talibans qui les ont hébergés, d’empêcher l’Afghanistan de devenir un refuge pour les groupes terroristes, d’aider à construire des forces de sécurité afghanes empêchant les groupes terroristes de se développer, d’aider à la formation d’un gouvernement civil qui devienne légitime et capable de gagner la confiance des Afghans. Les premiers objectifs répondent à des questions de sécurité, les seconds s’inscrivent dans l’idée de « nation-building », chère aux néoconservateurs. Graduellement, les Etats-Unis ont glissé des premiers pour aller vers les seconds.
Les Américains sont assez partagés sur le bien-fondé d’envoyer des troupes sur le sol agfhan : en juillet dernier alors que le principe du retrait était connu mais pas son exécution, 47 % pensait que c’était une erreur contre 46 % qui pensaient le contraire. C’est là le niveau le plus élevé à considérer l’expédition afghane comme une erreur, avec une seule exception en février 2014.
Assez clairement, les Américains étaient las d’une guerre se situant à des milliers de kilomètres et dont ils ne comprenaient plus vraiment l’intérêt ou la nécessité. Il est vrai que depuis l’attentat du 11 septembre 2001, les Etats-Unis n’ont pas connu d’opération terroriste majeure sur leur sol. De telle sorte qu’un sondage réalisé par NBC News montrait que 61 % des Américains pensaient que cette guerre n’en valait pas la peine (When it comes to Afghanistan, do you think the war was worth it or not worth it?). Un sondage confirmé par un autre réalisé par AP-NORC à peu près à la même date.
Juste après la décision de Joe Biden, le 14 avril dernier, de retirer les troupes d’Afghanistan avant le 11 septembre 2021, la moitié des Américains soutenaient cette décision contre 27 % qui s’y opposaient. Un sentiment qui s’est renforcé avec le temps puisqu’en août, cette adhésion était montée à 70 %. Et tous les sondages réalisés pendant cette période confirment ce point de vue avec des différences qui peuvent tenir à la formulation de la question. Par exemple, intégrer la nom de Donald Trump ou Joe Biden dans la question : Etes-vous favorable au retrait des troupes d’Afghanistan comme l’avait décidé Donald Trump ? ou Etes-vous favorable au retrait des troupes d’Afghanistan comme décidé par Joe Bien ? peut un rôle non négligeable étant donné la polarisation actuelle. Très souvent, il est difficile pour un républicain de soutenir une décision prise par un démocrate ? L’inverse est aussi vrai mais sans doute dans des proportions moins marquées.
A la suite de ce départ, l’Afghanistan va-t-il devenir un foyer du terrorisme mondial et sera-t-il plus en capacité de conduire des attaques contre les Etats-Unis ? Avant de répondre à cette question, Joe Biden, dans son dernier discours sur l’Afghanistan rappelait l’objectif initial de cette guerre : « To those asking for a third decade of war in Afghanistan, I ask: “What is the vital national interest?” In my view, we only have one: To make sure Afghanistan can never be used again to launch an attack on our homeland ». Et pour lui, le terrorisme a évolué depuis vingt ans et demande des réponses nouvelles.
Il pose alors la question : « If we’d been attacked on September 11, 2001 from Yemen instead of Afghanistan, would we have ever gone to war in Afghanistan even though the Taliban controlled Afghanistan in the year 2001? I believe the honest answer is no. That’s because we have no vital interest in Afghanistan other than to prevent an attack on America’s homeland and our friends. And that’s true today ».
Pour Joe Biden, le terrorisme n’est plus centralisé ou centré sur l’Afghanistan mais au contraire diffus dans de nombreuses régions du monde : «This is a new world. The terror threat has metastasised across the world well beyond Afghanistan. We face threats from al-Shabab in Somalia, al-Qaeda affiliates in Syria in the Arabian Peninsula, and ISIS attempting to create a caliphate in Syria and Iraq, and establishing affiliates across Africa and Asia». Cette situation nouvelle appelle une nouvelle réponse de la part des Etats-Unis et ne fait que justifier le départ des troupes. Sur ce point («Do you believe the U.S. should still withdraw its military presence in Afghanistan if it means it creates an opening for al Qaeda and other terrorist groups to establish operations in Afghanistan?»), les Américains sont également assez partagés puisque, en fonction de ce sujet, 45 % pensent soutiennent le départ des troupes contre 40 % qui pensent le contraire.
Maintenant sur l’organisation du départ des troupes, le jugement des Américains est sévère. Selon un sondage réalisé par CBS News, 74 % estiment que ce pont aérien a été mal organisé et 67 % pensent que Joe Biden n’avait pas un plan clair pour évacuer les civils Américains. S’il est sûr que l’administration américaine a été très surprise et prise de court de l’effondrement du gouvernement afghan et de la prise de contrôle par les talibans (comment les agences de renseignement ont pu passer au travers de cette question ?), il s’est plutôt bien rattrapé ensuite en évacuant plus de 120 000 personnes dont plus de 5000 Américains en deux semaines. Evidemment, il y a eu cet attentat qui a causé la mort de plus de 160 personnes dont 13 soldats américains qui a masqué complètement l’opération et l’a marqué de manière indélébile.
D’un point de vue politique, il est difficile d’évaluer les conséquences sur les élections de mi-mandat. D’abord parce qu’elles se tiennent dans 14 mois, autant dire une éternité et aussi parce que même aujourd’hui, la question afghane ne figure pas parmi les plus importantes dans l’esprit des Américains. Selon un sondage de l’institut Gallup réalisé dans la première quinzaine d’août, 1 % des Américains ne considèrent pas cette question parmi les plus importantes, en tous cas loin derrière le gouvernement, l’immigration, l’économie ou la Covid.
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