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L’ombre portée du droit américain

« Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable », selon la phrase attribuée à Joseph Staline. La souveraineté des Etats commence là où celle des Etats-Unis finit pour paraphraser la phrase bien connue sur la liberté. Telle est la nouvelle situation dans laquelle se trouvent les pays du monde face au dictat de l’Amérique. Ce n’est pas tout à fait nouveau, mais s’est singulièrement accentué depuis que Donald Trump est entré à la Maison-Blanche. C’est ce que Pascal Boniface, décrit dans une récente Tribune : « Trump réinvente la souveraineté limitée ». « Son slogan “America first” cache mal sa volonté d’“America only”. Le problème n’est pas tant qu’il soit en désaccord avec les autres nations et qu’il souhaite agir unilatéralement. Le problème est de vouloir sanctionner ceux qui sont en désaccord avec lui » écrit le président de l’IRIS.

« En 1968, lors de l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, Léonid Brejnev avait développé le concept de « souveraineté limitée », oxymore qui venait masquer la réalité, conclut-il. Aucun pays du pacte de Varsovie ne pouvait exercer de droits souverains contraires à la politique définie par l’Union soviétique. D. Trump est en train de réinventer, notamment à l’intérieur du monde occidental, ce concept ».

Dans leur rapport L’extraterritorialité des sanctions américaines : quelles réponses de l’Union européenne ? publié cette semaine, la commission des affaires européennes, présidée par Jean Bizet (Les républicains – Manche) étudie les différentes parades possibles à cette politique pour le moins insupportable.

Les auteurs rappellent que cette politique n’est pas nouvelle et que « l’effet délibérément extraterritorial donné à ces sanctions reste cependant la spécificité de la démarche américaine en la matière depuis l’adoption, en 1996, des lois Helms-Burton et d’Amato, visant les transactions commerciales réalisées respectivement avec Cuba, la Libye et l’Iran ».

Les lois Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) Act et Iran and Libya Sanctions Act – plus connues sous le nom de leurs promoteurs Helms-Burton et d’Amato-Kennedy – furent votés par un Congrès républicain le 12 mars 1996 et votées par le président démocrate Bill Clinton.

Il s’agit, d’une part, d’« aider le peuple cubain à [recouvrer] sa liberté et sa prospérité », de «renforcer les sanctions internationales contre le gouvernement castriste », d’« encourager l’organisation d’élections démocratiques libres et régulières à Cuba» et de «protéger les ressortissants américains contre les confiscations et le trafic illégal de biens confisqués par le régime castriste » rappelle le professeur de droit Michel Cosnard dans un article (LES LOIS HELMS-BURTON ET D’AMATO-KENNEDY, INTERDICTION DE COMMERCER AVEC ET D’INVESTIR DANS CERTAINS PAYS) ; d’autre part, de « priver l’Iran [et la Libye] des moyens de soutenir des actes de terrorisme international et de financer la mise au point ou l’acquisition d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs » et « d’exiger le respect intégral par la Libye des obligations qui lui incombent aux termes des résolutions 731, 748 et 883 du Conseil de sécurité des Nations Unies ».

Ce faisant, les États-Unis projettent sur la scène internationale non seulement leur politique étrangère, mais aussi leur politique interne. Une position extrêmement problématique dont certaines entreprises françaises ont largement payé les frais. Faut-il rappeler les 9 milliards de dollars que BNP-Paribas a choisi de payer afin de pouvoir continuer ses activités aux Etats-Unis (La BNP paiera une amende de près de 9 milliards de dollars aux États unis). Cette position intolérable que s’arrogent les Etats-Unis sont largement lié à la place centrale du dollar dans les échanges mondiaux. Et il n’est sans doute pas improbable que cette situation dure éternellement. Pour l’heure, les Etats-Unis en tirent tous les bénéfices possibles.

Car pour l’heure, la conclusion du rapport du Sénat n’est pas très volontariste et semble s’adapter un peu trop de l’environnement actuel. Pour preuve : « Le présent rapport s’est attaché à décrire les nombreuses pistes souvent évoquées pour neutraliser les sanctions extraterritoriales américaines sur les opérateurs économiques et financiers. Plusieurs de ces pistes s’avèrent à l’examen peu opérationnelles ». On ne peut que déplorer en passant que l’Euro n’ait même pas réussi à jouer ce rôle de monnaie des échanges internationaux, laissant le dollar régner en maître.

Sur la base de ce rapport, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution européenne sur les moyens de contrer l’effet extraterritorial des sanctions économiques édictées par les États-Unis contre un pays tiers, nous explique le Sénat dans son communiqué. Cette proposition est-elle à la hauteur des enjeux ? On ne peut qu’en douter.


Pour des réponses politiques et financières de l’Union européenne et de ses États membres

La proposition de résolution européenne préconise différentes actions que l’Union européenne et ses États membres devraient engager, ou poursuivre, afin de neutraliser une pratique juridique exorbitante des règles internationales, affectant leur autonomie de décision économique et leur souveraineté diplomatique.

Une première étape a été franchie avec la mise en œuvre, dès le 7 août dernier, du règlement dit de blocage permettant de neutraliser, en Europe, les effets extraterritoriaux de ces sanctions sur les opérateurs européens.

L’Union européenne et ses États membres doivent maintenant faire converger leurs efforts, en particulier afin de :

– mettre en place une plateforme comptable autonome, permettant d’enregistrer le produit des échanges commerciaux avec l’Iran sans recourir au dollar ni aux canaux financiers américains ;

– préserver dans le système SWIFT un « canal humanitaire » permettant de poursuivre les échanges dans les secteurs non soumis à sanctions : produits agro-alimentaires et médicaments en particulier ;

– finaliser l’Union économique et monétaire et en particulier l’Union bancaire et l’Union des marchés de capitaux, afin renforcer la place de l’euro dans les règlements internationaux ;

– demander l’inscription de la pratique américaine des sanctions économiques extraterritoriales à l’ordre du jour des prochains forums du G7 et du G20 et de l’évoquer clairement, dans le cadre des négociations commerciales bilatérales avec les États-Unis, comme un obstacle à tout partenariat loyal et équilibré.


 

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