Le Covid avait sans doute coûté la victoire à Donald Trump en 2020. Sa gestion de l’épidémie a été assez catastrophique. Le livre de Bob Woodward, dont il avait publié les enregistrements des entretiens avec l’ex-président, était éloquent. On se souvient aussi des conférences de presse, sous le regard médusé des docteurs Fauci et Birx, où le docteur Trump proposait aux malades d’avaler de l’eau de Javel ou de subir quelques rayons ultra-violets, juste quelques secondes.
Le Covid lui a sans doute donné la victoire en 2024. D’abord en déclenchant une vague inflationniste, dont les États-Unis se sont sortis plutôt mieux que les autres pays. Ensuite, en réactivant une vague immigrationniste qui s’était tarie pendant l’épidémie. C’est principalement sur ces deux thèmes que Donald Trump a fait campagne, éviscéré l’administration Biden et gagné.
D’abord, les sondages. Ils se sont largement trompés, surtout au niveau national. Un comble ! Tous les instituts ayant pignon sur rue donnaient une légère avance à Kamala Harris : 49 % contre 46/47 ou 48 à son opposant. Finalement, Donald Trump boucle sa victoire avec 51 % et Kamala Harris 47%. Les raisons de cet échec ? Peut-être la difficulté à sonder les électeurs de Donald Trump dont certains (les nouveaux votants qui n’ont pas osé déclarer voter pour le candidat MAGA).
Si Joe Biden ne s’était pas entête à se représenter alors qu’il avait dit lui-même qu’il ne ferait qu’un mandat ? Il aurait ainsi créé les conditions d’une véritable primaire démocrate pour faire émerger le vrai leader de son parti. C’est ce que déclare Nancy Pelosi sans ambages dans une interview au New York Times : “Had the president gotten out sooner, there may have been other candidates in the race. And as I say, Kamala may have, I think she would have done well in that and been stronger going forward. But we don’t know that. That didn’t happen. We live with what happened (…) And because the president endorsed Kamala Harris immediately, that really made it almost impossible to have a primary at that time,” Pelosi said. “If it had been much earlier, it would have been different.”
Si Gretchen Whitmer ou Josh Shapiro avait été candidat, ils auraient écrasé Donald Trump (c’est ce que prétend Bret Stephens dans un éditorial du New York Times To Whom It May Concern). Si Kamala Harris avait fait une bonne campagne… elle a fait une bonne campagne, reprenant le flambeau avec dynamisme, mais les Américains l’ont clairement rejetée.
Autant de raisons inefficaces ou incomplètes pour expliquer cette défaite des démocrates et par voie de conséquence cette victoire, non du parti républicain, celui de Ronald Reagan, mais le parti qui devrait désormais changer de nom et se rebaptiser MAGA. Trump a sans doute gagné parce qu’il a fait du Trump, s’il avait suivi les conseils de son entourage de campagne et était devenu plus respectable, il n’aurait sans doute pas été élu. Il a été élu grâce à ses excès et malgré ses excès, tous ces excès. Ceux ont amusé ses supporters qui ont aimé le
Si Donald Trump a été élu c’est tout simplement parce que les Américains ont voté en majorité pour lui partagent ses valeurs et ses idées. On ne traitera pas ici du système électoral américain (qui est une anomalie). Malgré une victoire incontestable, l’Amérique reste plus divisée que jamais en deux moitiés qui ont de plus en plus de mal à se comprendre et apparemment à se supporter.
Quelles sont les raisons profondes de cette victoire incontestable de Donald Trump ?
Kamala Harris n’a pas été élue parce qu’elle a été une mauvaise candidate (The blame game) ou parce qu’elle est une femme, de surcroît de couleur ? Certains ajouteront que les deux caractéristiques, lorsqu’elles se combinent, augmentent la difficulté. Toutefois la première est très subjective alors que la seconde est purement objective. On pourrait rétorquer que les États-Unis ont élu un président noir, oui, mais un homme. Au passage si Barack Obama s’était présenté (ce qu’il ne pouvait pas), il aurait peut-être été élu.
Toute analyse dénuée de tout a priori peut poser cette question fondamentale qui expliquerait la victoire de Donald Trump.
D’abord les chiffres globaux
On voit donc que Donald Trump n’a pas gagné plus de voix qu’en 2020. En revanche, Kamala Harris a collecté près de 10 millions de moins de voix que Joe Biden. Une analyse selon les trois communautés, blanche, noire et hispanique, montre que le biais homme/femme est nettement plus élevé chez les deux dernières. La raison ? Est-ce le côté alphamale et machiste du candidat MAGA qui les a séduits ? On peut poser la question.
Est-ce le personnage ?
Beaucoup d’électeurs considèrent Donald Trump comme un être peu recommandable sur le plan moral. Cela ne les a pas empêcher de voter pour lui. Les évangéliques le considèrent comme l’envoyé de Dieu pour régler les problèmes de l’Amérique et peu importe qu’il ne soit pas un parangon de vertu. C’est évidemment une vision radicale, mais qui est sans doute partiellement partagée par beaucoup d’Américains. Tombé à de multiples reprises (faillites, impeachment, condamnations…), il a toujours réussi à se relever. N’est-ce pas là un signe ?
L’intéressé lui-même en est désormais convaincu. La notion de démocratie ou d’équilibre des pouvoirs pèse bien peu par rapport au fait que Dieu ait envoyé Trump sur Terre, ou plutôt sur la Terre promise, l’Amérique, pour la sauver.
Sont les outrances ?
Au lieu de les considérer comme des incongruités ou des atrocités, les Américains qui les ont entendu, les ont appréciés en tant que remontrances des élites, personnifiées par les démocrates, qu’ils honnnissent de plus en plus. “I am your retribution”
Sont-ce les thèmes de campagne qu’il a mis en avant : principalement l’immigration, l’économie et la position de l’Amérique dans le monde. L’immigration est le sujet de prédilection que Donald Trump avait annoncé en descendant l’escalier mécanique pour annoncer sa candidature en juin 2015. Les Mexicains, voleurs et violeurs. Mais apparemment, les Hispaniques ne lui en tiennent pas rigueur. Peut-être à l’instar des convertis, ce sont les plus extrêmes sur ce sujet. Une fois arrivés dans l’Eldorado, ils ne souhaitent plus que d’autres tentent leur chance. Certes, l’administration Biden a négligé cette question pendant la moitié de son mandat. Elle voulait engager une réforme complètement de l’immigration, là où les républicains voulaient juste arrêter les migrants d’entrer grâce à un “beautiful wall”. Et Donald Trump a tactiquement et cyniquement bien joué en tuant ce projet de loi sur l’immigration (la loi sur l’immigration mort-née)pour en faire une question pour sa campagne plutôt qu’un problème en voie d’être résolu.
L’inflation, pas de problème, il utilisera sa méthode déjà bien rodée, “I alone can fix it”. Alors qu’elle a retrouvé son niveau quasi normal. Que pourra-t-il faire de plus ?
La concurrence avec les entreprises étrangères, notamment chinoises. La mise en place de droits de douane de 100%, 200% voire 1000% (tariffs est le plus beau mot de la langue anglaise) réglera le problème et permettra aux entreprises américaines de relocaliser aux États-Unis. Et ce n’est pas grave puisque, selon Donald Trump, ce sont les entreprises étrangères qui payent ces droits. Et bon nombre d’Américains le croient.
La simplicité des solutions
Barack Obama avait été le premier président a utiliser les réseaux sociaux et les technologies numériques pour gagner. Donald Trump est le premier président Tik Tok en présentant sans nuances des solutions simples, qui s’expliquent en deux phrases, à tous les problèmes. Comme l’explique un lecteur du New York Times :
– We have a problem with immigrants? Deport them.
– Insurrections at home? The enemi within? Bring in the police, the national guaurd.
– Wars around the globe? I’ll negociate peace.
– Inflation? Stop government spending.
La répétition des choses
Une des forces de Donald Trump est de répéter, over and over, les mêmes messages – peu importe qu’ils soient faux ou vrais – mais seulement qu’ils servent sa cause. À tel point que ceux qui reçoivent ces messages finissent par abdiquer leur propre jugement ou leurs propres faits et céder à la pression.
– Quand il était à la Maison-Blanche,
L’économie était la meilleure du monde :
Le monde était en paix ;
Le monde respectait les États-Unis ;
– Depuis que Biden et Kamala Harris y sont :
Les États-Unis sont en ruine ;
Le crime n’a jamais été aussi élevé ;
Des dizaines de millions d’immigrants déferlent ;
Kamala Harris is dumb as a rock, weak and low IQ person.
America First.
Le premier test de ce slogan sera appliqué à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. L’arrêt du soutien américain aux forces ukrainiennes obligera peut-être Volodymyr Zelinski à accepter un Accor de paix favorable aux Russes. Fort de ce compromis arrangeant, Vladimir Poutine se sentira peut-être des forces pour s’intéresser aux pays voisins qui hébergent des peuples russophones. Pour le maître du Kremlin, les russophones, ce qui veut dire Russes, doivent bénéficier de la « protection de la Russie ».
Maintenant, quelle dynamique a autorisé cette victoire ?
– Le gender gap
Le déficit de soutien chez les femmes (54%/44%) est rigoureusement compensé par l’excès de soutien chez les hommes (54%/44%).
– L’age gap
Donald Trump a été très performant chez les jeunes : 55%/42% dans la classe d’âge des 18-29 ans. Une bonne partie d’entre eux n’avaient pas voté en 2016. Leur participation a donc été un élément majeur de la victoire de Donald Trump.
– Le race gap
Les démocrates avaient joué cette carte en se faisant le porte-voix des minorités. Jusqu’ici, les Hispaniques étaient quasi inconditionnellement arrimés aux démocrates. Plus avec Trump. 45 % des Hispaniques ont voté pour lui et 14 % des Noirs. Trump n’est plus seulement le président des Blancs (qui ont voté pour lui à 55% et les hommes blancs à un niveau encore plus élevé). Les insultes à leur égard n’ont eu aucun impact.
– L’éducation gap
Clairement, les démocrates sont les représentants des diplômés du supérieur (57%/41%) tandis que les diplômés du secondaire sont favorables à Trump (54%/44%).
Et les États-Unis n’ont pas échappé au mouvement global observé dans tous les pays où se tiennent des élections libres.
“The American people have made a disastrous choice. And they have done so decisively, and with their eyes wide open”, commence William Kristol dans son éditorial The People’s Choice. Peut-être, mais c’est leur choix et maintenant il va falloir faire avec. Et Donald Trump a bien expliqué dans son premier discours de victoire encore non officielle que cela lui donnait un « mandat sans précédent ». Il est désormais en mesure d’exercer son pouvoir comme bon lui semble, sans limites, sans garde-fous. Faire tirer sur la foule par l’armée ou la garde nationale, mettre des millions de migrants dans des camps de rétention avant de les expulser, instaurer des droits de douane de 100 % sur les produits provenant de tous les pays du monde. Confier à un antivax, la responsabilité de toutes les agences de santé (lors de son premier mandat, il avait bien confié la direction de l’EPA à un lobbyiste du secteur pétrolier).
Bref, il peut reprendre la phrase de Louis XIV à son compte : « l’État c’est moi ». L’équilibre des pouvoirs est désormais dans les mains d’un seul homme. D’autant plus que la Cour Suprême lui a garanti toute immunité pour tous ses actes officiels. Il va pouvoir agir à sa guise pour utiliser l’armée contre ses opposants politiques, licencier des milliers de fonctionnaires (le spoils system on steroid), déporter des millions de migrants, utiliser le ministère de Justice à des fins personnelles, utiliser les agences de santé pour déployer des théories complotistes, accorder son pardon présidentiel à ceux qui ont attaqué le Capitole le 6 janvier, abandonner ses alliés, punir ceux qui oseront le critiquer…
Les deux seuls contre-pouvoirs qui resteront : les médias et les États fédérés sous influence démocrate. Les médias exercent une influence qui ne fait que diminuer. Il y a dix ans, Jeff Bezos avait racheté le Washington Post pour 250 millions. Sans doute par couardise de son propriétaire, le quotidien n’a pas souhaité soutenir Kamala Harris. Cela a fait scandale dans les autres médias. Elon Musk a racheté Twitter rebaptisé X pour 44 milliards de dollars. Il a pu déverser des flots de désinformation exactement là où il faut pour une influence maximale. Les jeunes qui ont voté en majorité pour Donald Trump ne lisent plus les journaux et ne regardent plus la TV, ils sont nourris aux réseaux sociaux et d’abreuvent aux podcasts. Donald Trump a passé trois avec Joe Rogan.
Les États gouvernés par des démocrates vont rappeler au bon souvenir du nouvel exécutif que les États-Unis sont un pays fédéral. Certains grands États comme la Californie ont déjà lancé l’alerte. Son gouverneur, Gavin Newsom, a appelé jeudi les législateurs à convoquer une session spéciale avant l’investiture de Donald Trump pour protéger les politiques de l’État. Pendant ce temps, les procureurs généraux des États bleus du pays ont annoncé qu’ils se préparaient également à une bataille juridique.
“The freedoms we hold dear in California are under attack – and we won’t sit idle. California has faced this challenge before, and we know how to respond. We are prepared, and we will do everything necessary to ensure Californians have the support and resources they need to thrive.
Governor Gavin Newsom
Donald Trump a immédiatement réagi par un billet sur le fil de son réseau social. Dans cette bataille qui s’annonce entre le gouvernement fédéral et les États fédérés, la Californie et l’état de New York pourraient les deux fers de lance de cette résistance.
Donald Trump a donc gagné les élections. Curieusement, les fraudes ont disparu, comme par enchantement.
Tout ceci a été possible grâce aux concours de trois autres forces.
– Les élus républicains l’ont d’abord repoussé pour ensuite l’accepter en espérant pouvoir en faire un « idiot utile » pour baisser les impôts et les réglementations. Ils ont progressivement disparu pour laisser aux MAGA.
– Les affidés qui partagent ses valeurs et espèrent bien grappiller une parcelle de pouvoir. Les J.D. Vance, les Elon Musk, les Tucker Carlson, les Stephen Miller…
– La base, qui est désormais comme envoûtée, prête à le suivre là où il décidera de l’emmener et qui considère prendre sa revanche contre les élites, alias les démocrates.
On se posait la question de savoir si le Trumpisme subsisterait après Trump. Pour l’heure, il faut faire avec les deux.