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Les œufs ont-ils fait élire Donald Trump ?

C’est parfois difficile à admettre, mais les faits sont là. Même si l’indice de favorabilité était de Kamala Harris était supérieur à celui de son opposant et si ce dernier pouvait accumuler de nombreuses faiblesses, cela n’a pas pesé lourd dans les résultats des élections.

Les sujets qui préoccupent les électeurs républicains et démocrates sont totalement différents. Pour les premiers, l’économie et l’immigration viennent en tête alors que pour les démocrates, c’est la défense de la démocratie et les nominations à la Cour Suprême. Aucun thème de politique étrangère n’est mentionné dans le Top5 des deux camps. Finalement, l’économie et l’immigration ont surplombé les préoccupations des électeurs. Donald Trump s’en est emparé et les a répétés ad nauseam, comme il sait le fait c’est-à-dire de manière outrancière et excessive. Mais ça a bien fonctionné.

L’économie américaine se porte plutôt bien, mais il s’agit des indices macro-économiques qui n’intéressent pas trop monsieur et madame tout le monde. Ce qui a compté et a été retenu par les électeurs, c’est l’inflation et même encore plus simplement, le prix des œufs, du lait, de la viande hachée ou de l’essence. C’est ce qui marque les esprits.

En janvier 2021, date de la prise de fonction de Joe Biden, la douzaine d’œufs Grade A, Large était en moyenne de 1,50 dollar. Elle a atteint le record de 4,80 dollars deux ans plus tard.

Le lait Fresh, Whole, Fortifieda suivi la même trajectoire en passant de 3,47 le gallon (3,8 litres) en janvier 2021 à 4,2 dollars en janvier 2023.

De même pour la viande hachée (qui permet de concocter les hamburgers) qui est passée de 3,95 dollars la livre (453 grammes) à 4,8 dollars en janvier 2023. Le prix de certains produits a baissé un peu depuis, mais l’envolée des prix est restée dans les esprits.

Au produit majeur dans le quotidien des Américains, l’essence pour faire marcher les voitures. Produit d’autant plus sensible qu’après un certain retour aux modèles modestes, les constructeurs se sont déchaînés en proposant des voitures de plus en plus grosses qui consomment énormément. Rappelons que les trois modèles les plus vendus en 2023 étaient des pick-ups (Pick-up politics). En janvier 2021, il était de 2,54 dollars le gallon (Les Américains ne devraient pas se plaindre, car cela représente 0,67 dollar le litre) à 4,31 en janvier 2023, avec un pic à 5,8 dollars en juin 2022. Bien sûr, il n’y a beaucoup de disparités en fonction des États. Aujourd’hui, le prix est retombé à 3,30 dollars.

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Maintenant, la question est de savoir pourquoi le prix des œufs s’est envolé de cette manière ? Est-ce le résultat d’une baisse de la production liée au virus H5N1, d’augmentation des prix de produits qui sont utilisés pour que les poules produisent ou encore le résultat des accords entre les fabricants qui ont partiellement tiré profit de cette situation d’après Covid ?

Une partie de cette envolée des prix est liée à la grippe aviaire (H5N1) – une autre épidémie – qui a contribué à bouleverser la production. Le virus est apparu au début 2022 pour se développer rapidement et toucher plus de 100 millions de poules pondeuses selon le Center for Disease Control and Prevention. Sachant que les États-Unis comptent un peu plus de 300 millions de poules. Il est a noter que depuis 2002, le nombre moyen d’œufs pondu par poule et par an est passé de 264 à 300, cela grâce à l’amélioration de l’alimentation, de la prévention, de la génétique.

L’offre s’est donc largement contractée alors que la demande est restée toujours aussi forte, créant ainsi une hausse des prix. A noter dans ce phénomène, l’initiative de la Californie qui en 2018 avait voté une mesure imposant des règles élevées dans l’élevage des poules, imposant en particulier que les œufs vendus en Californie doivent provenir de poules élevées en plein air.

Mais la production des œufs aux États-Unis est assez largement concentrée. 5 firmes représentent 44 % de la production et peuvent donc influer sur les prix dans un marché qui n’est plus celui de la réelle concurrence. 56 % des œufs sont vendus par les entreprises de distribution aux consommateurs.

Du côté de la distribution, la situation est encore plus critique et le marché est contrôlé par quelques oligopoles. Le secteur de la distribution a été marqué ces derniers mois par la tentative de fusion entre les deux géants Kroger et Albertsons. L’ensemble emploierait 700 000 salariés, pèserait 200 milliards de chiffre d’affaires et détiendrait 13 % du marché du retail. Le marché s’est largement concentré et le Top4 contrôle plus de 30 % du marché. La Federal Trade Comission (FTC) n’a pas encore engagé d’action juridique, mais est opposée à cette fusion.

On s’éloigne un peu du sujet, pensez-vous. En fait, durant les auditions des responsables des deux entreprises, Andy Groff, Senior Director for Pricing de Kroger a confirmé que Kroger avait augmenté les prix des œufs et du lait, de manière significative au-delà des coûts de production (Corporate greed exposed: Kroger admits to price gouging on milk and eggs amid antitrust trial). Le service communication de Kroger a essayé de récupérer les déclarations du dit responsable, mais le mal était fait. C’est la notion du greed de Gordon Gecko ou plus récemment du price gouging (prix abusifs) que Kamala Harris avait promis de combattre. Cette notion est difficile à prouver même si elle existe bien. La candidate démocrate avait publié un document de synthèse de son programme économique intitulé A New Way Forward for the Middle Class[i] dans lequel elle abordait le sujet et promettait de faire voter une loi sur le sujet.

“Going after price gouging by bad actors who exploit crises is a bipartisan, common-sense solution that has been embraced by Republican and Democratic governors and state attorneys general to confront inflation and lower costs in their states”.

Son concurrent a évidemment repris la balle au bond en déclarant qu’il s’agissant là un plan communiste de contrôle des prix. Mais le document de synthèse de la démocrate prend comme exemple une loi votée par le Texas qui n’est pas un état particulièrement communiste. Le Texas n’est pas un cas isolé, 38 états ont voté des lois dans ce sens (Price Gouging Laws by State).

“Under the Texas Deceptive Trade Practices-Consumer Protection Act, it is unlawful to take advantage of a disaster declared by the Governor of Texas in order to: “[Sell] or leas[e] fuel, food, medicine, lodging, building materials, construction tools, or another necessity at an exorbitant or excessive price; or [Demand] an exorbitant or excessive price in connection with the sale or lease of fuel, food, medicine, lodging, building materials, construction tools, or another necessity.”

Clairement, le Covid a été l’occasion pour nombre d’entreprises de profiter de la crise et l’augmentation des prix pour en ajouter une petite couche. Comment le montrer ? Le cabinet Power Financial Group a mis en évidence le fait que “companies across multiple industries have been posting record profits since the COVID-19 crisis while consumers have faced the highest inflation in recent history. The math can only point to companies raising prices above the general level of inflation.” D’autres cabinets comme Oxfam ou Corporate Europe Observatory ont montré des résultats similaires.


[i] Ceux qui prétendent que Kamala Harris n’avait pas de programme peuvent comparer ce document avec ce qu’avait publié Donald Trump avec ses 20 mesures. À moins de reconnaître que Project 2025 est le vrai programme du candidat Trump. Et ceux qui prétendent qu’elle avait un discours communautaire, le document vise bien la middle class, celle que Joe Biden a essayé de revitalisée.

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