Depuis Ronald Reagan, les impôts n’ont pas bonne presse aux Etats-Unis. Leur prélèvement crée une sorte de suspicion chez les contribuables qui pensent qu’ils sont trop ponctionnés (c’est toujours trop) et que l’argent prélevé est mal utilisé (ce qui n’est pas toujours faux). Ronald Reagan n’y pas allé par petites touches puisqu’il a abaissé le taux d’imposition marginal le plus élevé de 70 à 28 %.
Et aujourd’hui lorsqu’un candidat aux élections primaires démocrates ose avancer l’idée qu’il serait nécessaire d’augmenter les impôts, il se fait immédiatement critiquer par ses homologues républicains de socialiste. « Read my lips: no new taxes » avait déclaré imprudemment George H.W. Bush à l’occasion de la convention républicaine de 1988. Son échec de 1992 contre Bill Clinton a souvent été expliqué par le fait qu’il n’avait pas respecté sa parole. Et pourtant il sortait victorieux de la première guerre du Golfe (celle justifiée par l’invasion du Koweït par l’Irak et non la catastrophique guerre comme le même Irak au motif inventé des armes de destruction massive).
L’intérêt du livre de Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, The Triumph of injustice – How the Rich Dodge Taxes and How to Make Them Pay, tous deux français et professeurs d’économie à l’université de Berkeley, est de montrer qu’il n’en n’a pas toujours ainsi, loin de là.
Les auteurs commencent leur livre par l’échange entre Donald Trump et Hillary Clinton lors d’un des trois débats présidentiels :
« The only tax returns that anybody’s seen was when he was trying to get a casino licence and they showed he didn’t pay any federal income tax » avait déclaré la candidate.
« That makes me smart » avait répondu Donald Trump fier de lui de battre le fisc à son propre jeu en payant le minimum possible. Les spécialistes appellent ça de l’optimisation fiscale, mais la limite avec l’évasion ou la fraude fiscale est souvent réduite.
Mais aussi (je n’ai pas encore lu le livre) de montrer qu’il est possible de résoudre ce problème et de mettre en place un système qui corrige l’injustice fiscale actuelle.
En l’espace de quelques décennies, la situation fiscale a été complètement bouleversée. Et quelques chiffres suffisent à se rendre compte de l’étendue du changement.
En 1980, les 1 % les plus riches recevaient 10 % de la richesse nationale alors que les 50 % les plus pauvres en recevaient 20 % (ce qui représente un ratio de revenu de 1 à 25). Aujourd’hui, ce même 1 % en reçoit plus de 20 % alors que la part des 50 % est tombée à 12 % (soit un ratio de 1 à 83). On ne voit très bien ce qui peut justifier un tel accroissement. Les plus riches méritent-ils d’être plus riches et les plus pauvres plus pauvres ?
Cette situation est spécifique aux Etats-Unis précisent les auteurs. Car là les 1 % Américains les plus riches ont accaparé 20 % du revenu national contre 10 % en 1980, les riches des autres pays occidentaux n’en n’ont obtenu que 12 % contre 10 % en 1980.
En 2018, après la réforme fiscale de Donald Trump, les Américains de la working class payaient 25 % de leur revenu en impôt, ceux des deux classes supérieures 28 % et les 400 Américains les plus riches seulement 23 %. Ceci avait été déjà dénoncé par Warren Buffett qui s’indignait que sa secrétaire paie relativement à ses revenus plus d’impôt que lui.
Encore plus parlant. En 1970, les 400 Américains les plus riches payaient plus de la moitié de leur revenu en impôts, deux fois plus que les Américains de la working class. Aujourd’hui, après la réforme de Donald Trump, les milliardaires paient moins que les professeurs des écoles, les ouvriers métallurgistes ou les retraités.
Cette situation injuste et injustifiée (d’où le titre du livre) n’a pas toujours contrairement à ce que beaucoup essaient de faire croire. Dans les années 30, à l’époque du New Deal, le taux marginal d’imposition des personnes atteignait 90 % alors que l’impôt sur les bénéfices des sociétés était de 50 %.
Par ailleurs, cette évolution a été justifiée par l’efficacité économique et synthétisée dans le slogan « trop l’impôt tue l’impôt », la fameuse courbe de Laffer et l’économie du ruissellement. Et à chaque nouvelle baisse d’impôt, les conseillers économiques ont ressorti les mêmes arguments. Le dernier en date a été Larry Kudlow qui expliquait doctement que la dernière baisse d’impôt voulue par Donald Trump et votée par le Congrès se paierait d’elle-même avec une croissance économique plus vigoureuse – pourquoi pas 4 % – qui apporterait à son tour des rentrées fiscales plus importantes.
Cela n’est évidemment pas arrivé et l’on ne sait que trop que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Et bien sûr, il y a ensuite les bonnes raisons pour expliquer que l’objectif n’a pas été atteint. La guerre commerciale ne pouvant pas trop être invoquée par ceux qui l’ont créée, il fallait donc trouver un autre coupable. La FED avec son refus de baisser les taux d’intérêt en était un tout trouvé.
Après le livre de Thomas Piketty qui a eu un retentissement important aux Etats-Unis, il faut espérer que cet ouvrage alimentera les réflexions et les programmes des candidats démocrates (les républicains ne seront certainement pas sensibles à de telles idées).
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