Le 19 juin 2016, Paul Ryan annonçait que Donald Trump était officiellement le candidat républicain pour les élections présidentielles de novembre. Il l’avait facilement emporté face à ses nombreux concurrents. A ce moment-là, il n’était certainement pas le candidat préféré des républicains mais la base avait parlé. D’abord pour ses positions iconoclastes, mettant en cause certains dogmes du parti républicain, mais aussi par sa personnalité et la liste des affaires troubles qu’il avait accumulées. Jusqu’à la convention républicaine, ils ont fait montre d’une retenue évidente. Ted Cruz par exemple qui s’était fait insulter copieusement, n’avait pas donné son soutien. Mais il a bien fallu s’y résoudre et soutenir le candidat dans l’élection générale face à Hillary Clinton.
Dans l’équation à résoudre, Donald Trump se devait d’obtenir le soutien des évangéliques, chose pas facile étant donnée son profil et ses frasques. Et l’affaire Access Hollywood n’avait pas facilité les choses.
Pour tenter de réussir l’impossible, le candidat avait rencontré près d’un millier de leaders évangéliques au Marriott Marquis de New York. Après avoir pris la parole, le candidat avait reçu une « standing ovation ». Les échanges avec les participants avaient été soigneusement préparés, évitant les questions qui fâchent (si nombreuses). C’est Mike Huckabee, ex-gouverneur de l’Arkansas et aussi candidat républicain, qui orchestrait le dialogue. Petit détail, les photos n’étaient pas autorisées. C’est son concurrent Ben Carson qui avait fait l’introduction : « I’m not going to tell you who to vote for, but use your brain, which God gave you ».
« I am so on your side, I am a tremendous believer » expliquait Donald Trump lors d’une réunion préparatoires avec les leaders évangéliques qui organisaient ce rassemblement. « Christianity, I owe so much to it. … The evangelical vote was mostly gotten by me. You can pray for your leaders, and I agree with that, pray for everyone, but what you have to really do is you have to pray to get everybody out to vote for one specific person, and we can’t be again politically correct and say we pray for all of our leaders, because all of your leaders are selling Christianity down the tubes, selling the evangelicals down the tubes, and it is a very, very, it is a very, very bad thing that is happening ».
Le marché tacite, voire explicite était relativement simple : « vous me donnez vos voix, je nomme des juges Pro-life à la Cour Suprême qui invalideront l’arrêt Roe v. Wade ne faisant plus de l’avortement un droit constitutionnel. Mission accomplie à 100 %.
Parmi les autres initiatives décisives prises par Donald Trump, il faut citer le choix de Mike Pence, grenouille de bénitier en chef prêt à soutenir de toute son âme le candidat. Mike Pence a très bien joué le rôle de caution morale et a démontré une obséquiosité hors du commun envers son chef pendant toute la durée du mandat. Ce qui n’a pas empêché Donald Trump de lui mettre une très insoutenable pression avant le 6 janvier 2021 pour qu’il fasse ce qui n’était pas en son pouvoir – ne pas certifier les voix des grands électeurs – puis de le laisser tomber à son triste sort. « Hang Mike Pence » hurlaient les assaillants sans que cela semble émouvoir outre mesure celui qui était devant sa télévision pendant 187 très longues minutes lors de l’attaque du Capitole.
Le discours Robert Jeffress, Senior Pastor de la megachurch baptiste de Dallas (Texas) est exemplaire. Soutien inconditionnel de Donald Trump, il n’hésitait pas une seconde inciter ses 14 000 paroissiens à voter Donald Trump en 2016 et en 2020. En 2016, 80 % des évangéliques ont voté pour Donald Trump donnant ainsi la victoire à leur champion.
Mais, avec les évangéliques, Donald Trump aura un double problème en 2024 : leur nombre est en diminution régulière et leur soutien sera peut-être moins actif. Selon le rapport The 2020 Census of American Religion de l’institut Public Religion Research Institute (PPRI), la proportion des évangéliques est passée de 23 % des Américains en 2006 à 14 % en 2020, une baisse supérieure à celle des autres groupes religieux et qui s’inscrit dans un mouvement général de la sécularisation de la société américaine (même si celle-ci est moins rapide que dans les autres pays occidentaux).
Le second est peut-être plus aigu. Donald Trump n’a plus grand-chose à leur offrir. Les évangéliques ont obtenu ce qu’ils souhaitaient : la remise en cause du droit à l’IVG. L’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization spécifiant que la Constitution ne confère pas de droit à l’avortement, laissant aux Etats le soin de légiférer était donc la consécration de cette quête de près d’un demi-siècle. Certains d’entre eux voudront aller encore plus loin mais Donald Trump n’a pas grand-chose à leur proposer dans ce combat.
D’autant qu’il leur a bien fait comprendre que ce pseudo-soutien à leur case n’était en fait qu’un échange transactionnel comme tout ce que propose Donald Trump. En janvier dernier, l’ex-président qui n’est jamais prompt à endosser la responsabilité d’une défaite écrivait sur le fil de son réseau social : « It wasn’t my fault that the Republicans didn’t live up to expectations in the midterms (…) It was the ‘abortion issue’, poorly handled by many Republicans, especially those that firmly insisted on no exceptions, even in the case of rape, incest, or life of the mother, that lost large numbers of voters. » et ajoutait « people that pushed so hard, for decades, against abortion, got their wish from the US supreme court and just plain disappeared, not to be seen again ».
Première douche froide pour les évangéliques qui croyaient que Donald Trump était sincèrement et profondément pro-life. Ils n’ont toujours pas compris que Donald Trump ne croit qu’à une seule chose : Donald Trump. Deux semaines plus tard, l’ex-président en rajoutait une couche lors d’une interview du journaliste David Brody en se plaignant de la déloyauté des leaders évangéliques qui ne le soutenaient pas dans la présente campagne : « Nobody has ever done more for Right to Life than Donald Trump. I put three Supreme Court justices, who all voted, and they got something that they’ve been fighting for 64 years, for many, many years (…) There’s great disloyalty in the world of politics and that’s a sign of disloyalty ».
Finalement, Donald Trump aurait-il été pris à son propre jeu ? Puisqu’il n’a plus rien à offrir de plus, il n’y a pas un intérêt majeur à le suivre d’autant que les casseroles commencent à s’accumuler et à peser un peu lourd.
Certains leaders évangéliques ont commencé à prendre leur distance : « It’s time to turn the page. America must move on. Walk off the stage with class » tweetait Bob Vander Plaats, president and CEO de the Family Leader. Dans une tribune publiée dans le Washington Times après le résultat des élections, Everett Piper, ex-president de la Christian University (qui n’avait pas voté pour Donald Trump en 2020) était encore plus direct : « It’s time for the GOP to say it: Donald Trump is hurting us, not helping us ».
Une chose est sûre comme l’indique Ralph Reed, executive director of the Faith & Freedom Coalition : « There’s no path to the nomination without winning the evangelical vote. Nobody knows that better than President Trump because, to the surprise of almost everyone, he won their support in 2016 ».