Plus l’on se rapproche de la date fatidique du 20 janvier où Joe Biden prêtera serment et deviendra le 46e président des États-Unis et plus le comportement de Donald Trump devient erratique, irresponsable et dangereux. Trois jours avant l’officialisation du résultat des votes des grands électeurs le 6 janvier, le président demande au secrétaire d’État de Géorgie Brad Raffensperger de lui trouver 11 780 voix pour changer le résultat des élections. C’est le Washington Post qui a publié le premier des extraits de cette conversation pour le moins étrange, une information reprise ensuite par l’ensemble de la presse américaine.
Et Brad Raffensperger n’est pas un leftist radical ou un socialist, c’est un supporter affiché de Donald Trump. Pourtant, sans faillir, il a rétorqué poliment que les arguments affichés par le président contestataire étaient infondés et que les élections s’étaient parfaitement déroulées. Informations confirmées pour la nième fois lors d’une impressionnante conférence de presse tenue par Gabriel Sterling, un des responsables de l’organisation des élections en Géorgie qui a repris point par point toutes les allégations fantaisistes énumérées par le président.
Il en faudrait beaucoup plus pour arrêter Donald Trump dans son comportement totalement delusional (délirant dans le sens médical du terme). Alors qu’il est venu soutenir Kelly Loeffler and David Perdue, candidats aux élections sénatoriales, il a repris ses affirmations infondées pendant une heure et demie et des attaques contre tous ceux, dans son propre camp, qui osent lui résister. Et surtout, il appelle à un large rassemblement le mercredi 6 janvier pour contester l’officialisation du vote par le Congrès. Une initiative dangereuse qui pourrait avoir des conséquences très dommageables car certains de ses supporters ne viendront pas les poches vides et ce rassemblement pourrait mal se terminer.
Le 20 janvier prochain, ne sera pas le point final d’une campagne de sape de la démocratie engagée depuis le vendredi 6 novembre, date à laquelle les médias – CNN le premier – ont annoncé la victoire de Joe Biden, mais le début d’une grande initiative visant à détruire la présidence à venir. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir du mouvement des birthers dont Donald Trump était un des plus actifs meneurs et dont l’objectif était de mettre en question la légitimité de Barack Obama, au motif qu’il n’était pas né aux États-Unis. Bref, la contestation à laquelle on a assisté en 2000 entre Al Gore et George W. Bush pourrait être considérée comme une petite comédie par rapport à celle que l’on connait aujourd’hui. Avec des conséquences encore difficiles à imaginer.
Pour trouver des élections aussi contestées, il est souvent fait référence à celles de 1876 dans un scrutin opposant le républicain Rutherford Hayes au démocrate Samuel Tilden. La guerre de Sécession n’est pas loin et les États-Unis sont en pleine Reconstruction qui avait mis le Sud sous tutelle fédérale pour assurer la mise en œuvre de la fin de l’esclavage.
Après une campagne électorale particulièrement rude, les résultats donnèrent un avantage à Samuel Tilden en voix populaires et en voix de grands électeurs. Mais trois états – Floride, Louisiane et Caroline du Sud – furent le lieu de fraudes, de menaces et de violence (The Rise of Voter Suppression in South Carolina, 1865–1896) d’où résultèrent des contestations. En Caroline du Sud, on décompta 101 % des électeurs inscrits sur les listes. Pour résoudre cette crise insurmontable, le Congrès vota une loi visant à la création de la commission de 15 membres – 5 par états en cause – pour trouver une solution complétée de 5 juges de la Cour Suprême. Il en résultat un compromis sur le terrain politique dont les conséquences modelèrent l’histoire des États-Unis dans les décennies à venir. Les démocrates acceptaient de donner la victoire au républicain Rutherford Hayes en échange d’un retrait des troupes fédérales dans le Sud dans le cadre de la Reconstruction. Ce retrait a entraîné un retour en arrière dans les états du Sud avec une remontée de la ségrégation et des lois Jim Crow.
En 1896, vingt plus tard, la Cour Suprême vota l’arrêt Plessy v. Ferguson autorisant les États du Sud à imposer par la loi des mesures de ségrégation raciale, pourvu que les conditions offertes aux divers groupes « raciaux » par cette ségrégation soient égales, doctrine appelée « separate but equal » (séparés mais égaux) qui dans son effectivité perpétuera des inégalités de fait. Et il fallut attendre encore plus d’un demi-siècle pour soient votées les lois sur les droits civiques. Petit clin d’œil historique, le démocrate Raphaël Warnock, qui a été élu sur l’un des deux postes de sénateurs dans les élections de Géorgie, pasteur principal de l’église baptiste Ebenezer à Atlanta, l’ancienne paroisse de Martin Luther King.