Le Soft Power, rappelle Joseph Nye dans un article publié par la revue Foreign Affairs (How Sharp Power Threatens Soft Power – The Right and Wrong Ways to Respond to Authoritarian Influence) est défini comme « the ability to affect others by attraction and persuasion rather than through the hard power of coercion and payment ». Joseph Nye est présenté comme celui qui a forgé ce néologisme. Mais reconnait l’auteur, le Soft Power à lui seul ne suffit pas. C’est lorsqu’il est couplé au Hard Power qu’il atteint son efficacité maximale.
L’empire Romain était fondé sur les Légions et l’attractivité de la civilisation Romaine. De même, doté de l’armée la plus puissante du monde et de quelques valeurs cardinales comme la démocratie, l’American Way of Life, The rule of Law, le cinéma, le jazz, les Etats-Unis avaient assemblé une combinaison de choc censée attirer de nombreux peuples. Le résultat n’est sans doute pas celui escompté car il a entraîné une véritable fracture entre ceux qui honnissent cette hyperpuissance et ceux qui l’adulent. Néanmoins, l’Amérique est toujours la destination préférée pour les immigrants potentiels, très loin devant l’Allemagne et le Canada. Selon l’institut Gallup, quelque 150 millions de personnes adultes dans le monde aimeraient s’y installer (Destination Amérique).
La réunion des deux approches avait été reprise sous l’appellation smart power par Hillary Clinton lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères et théorisée en 2004 par la diplomate Suzanne Nossel, dans la même revue Foreign Affairs et définie comme « l’ensemble des outils à notre disposition : diplomatiques, économiques, militaires, politiques, légaux et culturels. Il faut choisir le bon outil ou la bonne combinaison d’outils la mieux adaptée à chaque situation ».
Face à ce modèle existant fondé sur le couplage (Soft Power/Hard Power) qui est plutôt l’apanage des démocraties, certains États développent une nouvelle approche désignée par Christopher Walker et Jessica Ludwig du National Endowment for Democracy sous le nom de Sharp Power. Le Sharp Power fait référence à « the information warfare being waged by today’s authoritarian powers, particularly China and Russia ».
« L’Amérique, elle, à travers ses séries, expose ses faiblesses au monde alors que la Russie et la Chine les cachent à leurs citoyens. La nation démocratique renforce ainsi sont soft power au moment où les régimes autoritaires peinent à définir le leur.
La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur – Dominique Moïsi.
Sur la dernière décennie, La Chine a dépensé des milliards de dollars pour développer une approche de type Soft Power avec un résultat très mitigé. A la pointe de cette offensive, les Instituts Confucius ont été développés à travers le monde à l’instar des instituts Goethe et des Alliances françaises, mais ils sont loin d’avoir connu le même succès. Car ils embarquent de manière trop évidente leur politique intérieure. La Russie qui est loin d’avoir les mêmes moyens n’a pas eu d’initiatives comparables dans ce domaine.
La Chine et la Russie se sont donc orientées vers une démarche de type Sharp Power en utilisant les nouveaux outils numériques : attaques cyber, réseaux sociaux. Les dernières élections américaines constituent l’exemple le plus frappant d’une telle approche. La Russie est toujours au centre d’une enquête du procureur Bob Mueller pour déterminer exactement le rôle joué par ce pays dans les dernières élections et savoir si l’équipe du candidat Trump, désormais président, a cherché à coopérer avec cette puissance étrangère pour obtenir un avantage face à son adversaire.
Alors que le Soft Power est plutôt une force positive censée jouer un rôle d’attraction, le Sharp Power est une démarche principalement négative destinée à déstabiliser l’adversaire et inoculer le doute et instiller la défiance dans les démocraties. Car aucune de ces puissances ne peut espérer susciter une adhésion massive au sein des démocraties. Les méthodes du Sharp Power ne sont pas nouvelles. Dans les années 1980, rappelle Joseph Nye, le KGB avait propagé la rumeur selon laquelle le Sida était la conséquence d’expérimentations de l’administration américaine sur les armes biologiques.
Cette Fake News avait d’abord été publiée dans un obscur quotidien indien. Les outils numériques donnent à ces méthodes une efficacité redoutable face à laquelle les démocraties n’ont pas encore trouvé la bonne réponse. En 2016, les armées de « petites mains » visant à générer des millions de troll complétés des faux comptes Twitter et Facebook, des publicités dans les réseaux sociaux et des vecteurs d’information (plutôt de désinformation) traditionnels que sont les médias RT (ex Russia Today) et Sputnik ont peut-être joué un rôle décisif dans les élections de novembre 2016.
Face à cette menace qui pèse sur les prochaines élections, les démocraties sont clairement en position de faiblesse. D’autant que les Républicains n’ont pas fait preuve d’un zèle excessif pour savoir ce qui s’était réellement passé et chercher les solutions pour les prochaines élections. Sous leur responsabilité, les deux commissions d’enquête du Sénat ou de la Chambre des Représentants a plutôt joué la montre. Les Républicains ont même essayé de minimiser la portée des efforts russes à biaiser les élections allant même jusqu’à instiller le doute sur l’enquête du procureur Mueller. Ils ont été aidés dans cette démarche par leur président dont on vient d’apprendre qu’il avait décidé de le renvoyer avant d’être arrêté par son conseiller spécial.
Mais rien n’empêcherait l’usage des nouveaux outils numériques soit d’hacking soit de propagande sont également utilisés dans les pays. La saison 6 de la série américaine Homeland présente une collusion étonnante entre un site d’informations d’extrême droite et un patron de la CIA pour destituer la nouvelle présidente.
Au 21e siècle, avec l’association de l’espace réel et du cyberespace, Soft Power, Hard Power, Sharp Power, ces trois approches pourront très bien être utilisés de manière complémentaire pour une efficacité maximale dans la déstabilisation d’un pouvoir en place.