A chaque fois qu’un nouveau président arrive au pouvoir, circule l’idée des cent jours. Une période qui constitue désormais un mythe et au regard de laquelle l’action des gouvernants est analysée et mesurée.
C’est avec Napoléon que le mythe des cent jours a pris corps. Mais a bien y regarder, ces cent jours constituaient la dernière chance de l’empereur et couvre effectivement 100 jours (à quelques jours près) qui court du retour de l’Ile d’Elbe jusqu’à la défaite de Waterloo. Lorsque l’on sait comment cette période s’est terminée, il est un peu étonnant qu’elle soit reprise dans la prise de pouvoir des présidents ou des chefs de gouvernement.
Débarquant le 1er mars près de Cannes, Napoléon arrive à Paris le 20 mars se présentant comme le dernier recours contre « l’Europe entière à combattre ». Une période qui le conduira à la bataille de Waterloo. « Une journée de géants qui nous coûta 30 000 hommes tués, blessés ou pris et 22 000 aux vainqueurs. 72 000 Français y avaient lutté contre 115 000 ennemis, et virent deux fois la victoire s’échapper de leurs mains » (Histoire de France, Victor Duruy, Hachette, 1862). Le 23 juin 1815, l’Empereur abdique. Napoléon partit pour Rochefort pensant un moment à chercher asile aux Etats-Unis. Mais tous les passages étaient gardés et Napoléon dut se rendre aux Anglais qui l’exilèrent à l’île de Sainte-Hélène. Imaginons un instant que Napoléon ait pu rejoindre l’Amérique naissante, l’histoire du monde aurait été changée.
Le président américain à qui est associé le plus ce mythe des cent jours est sans conteste Franklin Roosevelt. C’est avec Abraham Lincoln le président qui a été élu dans les conditions d’adversité extrêmes. Il prête serment le 4 mars 1933, trois ans et demi après le début de la Grande Dépression pendant lesquels Herbert Hoover (Qui laissera l’image des Hooverville) s’est refusé à une quelconque intervention de l’état pour sortir le pays de l’ornière. En arrivant à la Maison-Blanche, Franklin Roosevelt a eu un agenda politique étonnamment chargé. Et les cent jours pour FDR ne sont pas une construction intellectuelle, mais bien une réalité. Il convoque le Congrès pour une session spéciale de cent jours, du 9 mars au 16 juin 1933, appelé « session d’urgence » (Emergency Congress). Il lance le new deal faisant écho au square deal de Theodore Roosevelt et de la new freedom (nouvelle liberté) de Woodrow Wilson.
On ne mentionnera pas ici The art of the deal, titre du livre signé Donald Trump écrit par le journaliste Tony Schwarz, qui n’a aucun rapport avec l’action de Donald Trump une fois à la Maison-Blanche. Pendant cette période relativement courte, Franklin signe une quinzaine de lois majeures qui modifièrent en profondeur le rôle du gouvernement fédéral devenu beaucoup plus interventionniste.
Les cent jours de FDR
– Retire la devise américaine de l’étalon-or, permettant ainsi au gouvernement d’imprimer et de distribuer de l’argent aux banques en difficulté ;
– Impose des réglementations aux banques américaines qui séparaient les banques commerciales de la banque d’investissement et interdisaient aux banques d’utiliser leurs actifs dans des spéculations boursières ;
– Etablit un programme d’assurance pour les comptes bancaires (la Federal Deposit Insurance Corporation) ;
– Introduit une nouvelle réglementation du marché boursier (créant le précurseur de la
– Créé une agence qui a payé les agriculteurs pour qu’ils ne cultivent pas, afin d’augmenter les prix qu’ils obtenaient pour leurs produits ;
– Créé le Civilian Conservation Corps, qui a finalement mis 250000 jeunes hommes à travailler sur des projets de conservation ;
– Lance un programme (la Tennessee Valley Authority) pour fournir de l’électricité aux Américains ruraux pauvres et améliorer leur niveau de vie ;
– Créé un programme controversé qui imposait des contrôles de prix aux entreprises dans le but d’augmenter le coût des marchandises ;
– Commence l’administration des travaux publics pour créer des emplois dans la construction d’écoles, d’hôpitaux, d’aéroports, de barrages et d’autres projets publics ;
– Dispense une formation et une aide directe aux chômeurs.
« Alors que le républicain Coolidge avait déclaré que « si l’état fédéral devait disparaître, l’Américain moyen ne s’apercevrait de rien, la grande audace et le génie politique de Roosevelt furent d’opérer une révolution des mentalités, non seulement en prenant la mesure de la crise, mais surtout en rassemblant les forces de l’état fédéral pour une action rapide, massive et décisive. Le salut ne viendra pas du secteur privé ou de l’initiative individuelle mais d’un gouvernement puissant et déterminant » (Histoire des Etats-Unis, De 1492 à nos jours, Bertrand Van RuymBeke, Taillandier). C’est cette appréciation et cette confiance dans le gouvernement qui prévaudront pendant des décennies et qui commenceront à se craqueler avec les mensonges sur la guerre du Vietnam, les conflits sur les droits civiques et Watergate. Elle sera consommée avec la déclaration de Ronald Reagan lors de son discours d’investiture : « Dans cette crise actuelle, l’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème ».
Joe Biden n’a pas caché sa volonté d’agir vite notamment face à la crise épidémique dont le précédent président ne souciait plus depuis des semaines, voire des mois. D’ailleurs, s’en était-il jamais soucié sauf comme un obstacle à sa réélection ? 100 millions d’Américains vaccinés dans les cent premiers jours tel est le premier objectif sur lequel il s’est engagé. Et re relancer l’administration fédérale dans un plan de vaccination, qui fait défaut, et la coopération avec les gouverneurs des états. Mais la lutte contre la Covid n’est pas le seul problème auquel s’attelle la nouvelle administration. Le premier jour, il a signé 17 Executive Orders dont une bonne partie concerne l’épidémie et d’autres visent à défaire ce qui avait été fait par son prédécesseur (Muslim Ban par exemple).
Que s’est-il passé lors de leurs cent premiers jours ?
– John Kennedy : la désastreuse opération de la baie des cochons au 87e jour ;
– Ronald Reagan : la libération des otages le premier jour de son investiture (Jimmy Carter n’a pas pu bénéficier de cette heureuse nouvelle) ; attentat le 69e jour ;
– Barack Obama : signature d’un plan de sauvegarde de l’économie, American Recovery and Reinvestment Act, au 29e jour ;
– Harry Truman : signature de 55 lois.