« Le piège américain » de Frédéric Pierucci a été publié en 2019. Il retrace l’histoire personnelle de ce cadre d’Alstom pris en otage dans ce que le livre appelle « la plus grande entreprise de déstabilisation économique ». La lecture du livre est à la fois captivante et terrifiante. Elle montre l’écrasement d’un inidividu face à la mécanique judiciaire américaine et la pullisanimité de l’entreprise Alstom, inscrite aux abonnés absents lorsqu’il s’est agit de défendre son salarié et de l’Etat français, pas beaucoup plus courageux pour apporter son soutien à l’un de ses citoyens.
Frédéric Pierucci est président de la division chaudière d’Alstom lorsqu’il est arrêté par le FBI en débarquant à New York le 14 avril 2013. Dans le piège américain, Frédéric Pierucci relate son expérience personnelle dans les prisons américaines et face à la Justice américaine. De report en report, d’audience en audience, de rendez-vous en rendez-vous avec ses avocats, le calvaire de Frédéric Pierucci se termine le mardi 25 septembre 2018 après avoir passé vinq-cinq mois en prison aux Etats-Unis dont quinze dans un quartier de haute sécurité. La raison, avoir été à la tête d’une division qui, appliquant les règles de son entreprise, avait, dix ans plus tôt, versé des pots-de-vin pour gagner un marché en Indonésie.
Le livre se lit comme un roman, sauf qu’il raconte une histoire réelle. Parfois, il n’est pas besoin d’imagination pour réunir tous les ingrédients d’un bonne intrigue car ils existent dans la vie réelle ? C’est bien le cas du Piège américain.
Au-delà de l’histoire personnelle du narrateur, et de la victime pourrait-on ajouter, il donne un éclairage sur le rôle de la Justice américaine comme élément majeur utilisé par les Etats-Unis dans la guerre économique, « une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort » comme l’aurait déclaré François Mitterrand à Georges-Marc Benhamou.
L’outil juridique de cette guerre est le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) (Le Droit, arme fatale des États-Unis). Cette loi a été édictée en 1977 (pendant l’administration Carter) à la suite du scandale du Watergate à l’occasion duquel la Justice américaine met au jour un gigantesque système de financement occulte et de corruption d’agents publics étrangers. Quatre cents entreprises américaines se retrouvent impliquées. Dès son entrée en vigueur, les entreprises américaines contestent fortement car cette loi les met dans une position difficile face à la concurrence étrangère. La loi ne sera donc jamais vraiment appliquée.
En 1998, les grandes entreprises américaines comprennent qu’elles peuvent, en la modifiant un peu, tourner la loi à leur avantage. Le Congrès la rend extraterritoriale. Elle peut donc s’appliquer à toutes les entreprises du monde dès lors qu’elles font appel au moindre outil de souveraineté américaine (la monnaie bien sûr mais aussi l’utilisation d’un système de messagerie ou autre). Le Patriot Act de 2003 (suite au 11 septembre) donne un coup de fouet à la loi car les Etats-Unis s’arrogent le droit d’espionner massivement les entreprises étrangères (via les agences FBI, CIA, NSA…).
« Au fil des années, les Américains ont donc développé un système à double détente, explique
Frédéric Pierucci. En amont, la puissance de leur outil de renseignement (…) en aval, leur outil juridique sophistiqué et particulièrement bien rodé ».
Du coup les amendes tombent. Et curieusement, elles touchent principalement les entreprises européennes et non les entreprises américaines et chinoises. Preuve s’il en était que les Américains ont peut-être des alliés européens mais que ces derniers sont aussi des concurrents et que tous les moyens sont bons pour les attaquer. Preuve aussi que l’Europe se laisse manger la laine sur le dos contrairement à la Chine.
« Encore aujourd’hui, je ne comprends toujours pas pourquoi nos gouvernants ne s’opposent pas avec plus de fermeté à ce racket américain, s’interroge Frédéric Pierucci ? De quoi ont-ils peur ? Jusqu’où nos entreprises vont se laisser piller ? »
On le sait, les Américains sont les champions du monde en matière de Soft Power, cette diplomatie douce qu’ils utilisent pour influencer leurs partenaires en s’appuyant sur leur pouvoir de séduction. Parmi les nombreux outils, l’auteur cite le programme young leaders qui identifie les futures élites françaises et les invite plusieurs semaines à Washington.
Frédéric Pierucci se demande s’il n’aurait pas dû médiatiser cette affaire. Cela aurait-il servi à quelque chose ? Comment lutter contre le DOJ, l’agence Havas, Publicis, GE, Alstom, Patrick Kron (le Pdg d’Alstom au moment de l’affaire), François Hollande et Azema réunis ?
Le seul niveau de réponse adéquate à cette menace qui est une véritable épée de Damoclès sur les entreprises du Vieux Continent est le niveau européen. Seule l’Europe peut avoir la puissance nécessaire pour lutter contre cette offensive. Mais en a-t-elle la volonté ? Il semblerait que le Vieux Continent soit en train de se réveiller notamment en raison de sa vulnérabilité en matière de technologies de l’information. Mais sera-ce suffisant ?