Les élections présidentielles de 2024, où les deux candidats seront vraisemblablement Joe Biden et Donald Trump (sauf imprévus), sont souvent présentées comme un choix historique entre la démocratie et un régime illibéral ou autoritaire. Certains considèrent que c’est là une dramatisation de l’échéance orchestrée par certains médias qui fait « vendre du papier » ou, à l’ère d’Internet, générer des clics.
Mais est-ce si sûr ? L’avantage avec Donald Trump est qu’il ne cache pas ses projets et ne cherche même pas à les rendre acceptables pour ne pas effrayer ses supporters. On est sorti de la politique traditionnelle pour entrer dans un univers qui s’apparente plus à culte ou un phénomène sectaire. Certes quelques radiotrottoirs ne permettent pas décrire un phénomène mais la foule braillant des meetings de campagne du candidat républicain est plus inquiétante.
Dans un article publié par le New York Times (Ah le woke New York Times !), Donald Moynihan, professor of public policy at Georgetown, résume le projet de Donald Trump : “Either the deep state destroys America or we destroy the deep state” et rappelle les trois points de ce projet (Trump Has a Master Plan for Destroying the ‘Deep State’). Le magazine The Economist avait déjà fait sa Une sur ce sujet en juin dernier.
Le premier est de nommer des loyalistes aux postes clés : “The Heritage Foundation and dozens of other Trump-aligned organizations are screening candidates to create 20,000 potential MAGA appointees”.
Le second est de “terrify career civil servants into submission. To do so, he would reimpose an executive order that he signed but never implemented at the end of his first administration. The Schedule F order would allow him to convert many of these officials into political appointees”.
Enfin, le troisième point est de “create a legal framework that would allow him to use government resources to protect himself, attack his political enemies and force through his policy goals without congressional approval”
Un autre élément de ce plan visant à attaquer la démocratie américaine serait d’invoquer The Insurrection Act of 1792 lui permettant de “deploy the U.S. military domestically and use it against Americans under certain conditions” (The Insurrection Act Explained). L’historien Michael Beschloss explique pourquoi il faut prendre ces les intentions du candidat républicain au sérieux.
En attendant cette échéance, la démocratie américaine ne semble pas se porter au mieux. Un article publié par la Brooking Institution (Understanding democratic decline in the United States) développe cet affaissement de la démocratie américaine sur trois axes :
– Les États-Unis connaissent deux formes majeures d’érosion démocratique de leurs institutions gouvernementales : la manipulation des élections et les excès de pouvoir de l’exécutif.
– Depuis 2010, les législatures des États ont institué des lois visant à réduire l’accès des électeurs au scrutin, à politiser l’administration électorale et à empêcher la concurrence électorale par le biais d’un redécoupage électoral extrême (gerrymandering).
– Aux États-Unis, le pouvoir exécutif s’est considérablement accru (Président au niveau fédéral mais aussi gouverneur à celui des Etats), menaçant l’indépendance de la fonction publique. Avec un Congrès dans l’impasse et hyperpartisan, le contrôle impartial de l’exécutif fait défaut, et l’impartialité judiciaire est remise en question (Donald Trump vante la nomination de trois Juges (ultra ?) conservateurs comme l’un de ses titres de gloire).
La Cour Suprême a joué un rôle non négligeable dans cet affaissement notamment en restreignant la portée de la protection du droit de vote et élargissant ses interventions dans les élections au fur et à mesure qu’elles se déroulent. À partir de 2013, la Cour a commencé à réduire la loi de 1965 sur le droit de vote (VRA) qui interdisait les pratiques électorales discriminatoires sur le plan racial, permettant aux États de mettre en œuvre des procédures auparavant interdites comme discriminatoires. En 2020, la Cour suprême est intervenue pour bloquer plusieurs mesures d’urgence visant à faciliter le vote pendant la pandémie de COVID-19. En 2022, la Cour a pris la décision inhabituelle de suspendre une injonction contre la carte de redécoupage de l’Alabama qu’un tribunal inférieur a jugée discriminatoire, garantissant ainsi que la carte serait en place pour l’élection.
Pour la Brookings, l’érosion démocratique aux États-Unis n’est pas synonyme de Donald Trump. Depuis 2010, les législatures des États ont institué des lois visant à réduire l’accès des électeurs au scrutin, à politiser l’administration électorale (au lieu d’officiels neutres) et à empêcher la concurrence électorale par le biais d’un redécoupage électoral extrême.
À l’échelle mondiale, il est de plus en plus rare qu’un autoritaire arrive au pouvoir par un coup d’État. Au lieu de cela, les démocraties en déclin connaissent généralement une érosion lente mais régulière. Le processus est souvent progressif et épisodique. Chaque étape n’est que partielle. Pour paraphraser Lao-Tseu : « Un voyage de mille lieues vers l’autocratie commence toujours par un premier pas »
Quelle que soit la terminologie, le déclin démocratique a des ramifications dans toute la société. Elle est associée à certains changements dans les attitudes du public, notamment la diffamation des membres du parti adverse et la désinformation généralisée. Les discours des politiques diffusent dans la société.
Le rapport de la Brookings se concentre sur le déclin démocratique du gouvernement lui-même, car le recul démocratique a tendance à être motivé par les choix des dirigeants politiques, et non par une vague soudaine d’autoritarisme dans la population en général.
Selon le magazine The Economist, les États-Unis ne se classent plus parmi les « démocraties à part entière » du monde (comme le Canada, le Japon et la plupart des pays d’Europe occidentale), mais parmi les « démocraties imparfaites » (comme la Grèce, Israël, la Pologne et le Brésil).
La figure ci-dessous résume les notes que les États-Unis ont reçues depuis 2008 dans l’indice de démocratie de l’Economist, la mesure de la liberté dans le monde de Freedom House et l’indice « V-Dem » de l’Institut des variétés de démocratie de l’Université de Göteborg.
Ces indices sons sans appel et aboutissent à une conclusion constante : la liberté et la démocratie aux États-Unis sont en déclin.
Qu’est-ce qui motive ces changements ? Dès 2018, les chercheurs du Varieties of Democracy Institute ont identifié des préoccupations concernant les contrôles inadéquats du pouvoir exécutif et la liberté et l’équité des élections, des questions qui figurent également dans les analyses de Freedom House et de The Economist.
Les Etats s’y mettent aussi
Les États américains ont considérablement divergé dans leur engagement à l’égard des pratiques démocratiques. Alors que certains États ont élargi l’accès aux électeurs et renforcé l’impartialité de l’administration électorale, d’autres États ont pris la direction opposée.16
Le politologue Jake Grumbach a mis au point la mesure la plus complète et la plus rigoureuse de la démocratie électorale au niveau de l’État, l’indice de démocratie de l’État (IDS), qui tient compte de facteurs tels que les temps d’attente dans les bureaux de vote, les procédures administratives d’inscription des électeurs et le redécoupage électoral.
L’IDS quantifie la divergence qui se produit entre les États américains. En 2018, 17 États avaient un IDS plus élevé qu’au cours de la période allant de 2000 à 2010, ce qui indique une démocratie plus forte dans ces États. Les autres États, cependant, ont vu leur IDS diminuer, certains par une marge très importante.
La figure ci-dessous montre les 12 états au bas de l’IDS. Presque tous les États qui ont obtenu de mauvais résultats en 2018 ont connu des baisses très importantes depuis 2010 ; ces États à faible démocratie se sont affaiblis récemment et de manière drastique. Quasiment tous sont des États républicains.