On le dit et on le répète à l’envi : les Etats-Unis sont de plus en plus polarisés : les républicains devenus plus radicaux et désormais sous l’emprise de la tendance MAGA alias Donald Trump (le ralliement du GOP à la suite de l’inculpation de l’ex-président le démontre aisément) et les démocrates dont l’aile gauche s’est faite de plus en plus bruyante, même si Joe Biden a réussi à la calmer un peu.
A intervalles réguliers, les analystes politiques font référence à l’époque de la guerre de Sécession pour décrire la période actuelle même s’il ne s’agit pas d’une guerre ouverte. L’idée de séparation en blue states et red states ressort de temps à autre. La représentante républicaine Marjorie Taylor Greene qui n’est pas à une outrance près pour se faire remarquer a publié un tweet dans lequel elle déclarait que « nous devons séparer les États rouges et les États bleus et réduire le gouvernement fédéral. »
L’élue de Géorgie représente un État qui a fait sécession de l’Union et qui ne rentre plus parfaitement dans une catégorie rouge ou bleue pour entrer dans celle plus incertaine qualifiée de « Swing states » ou Etat bascule. Pourtant, la majorité des Américains ne sont pas dans l’idée d’une autre guerre civile ou d’une partition du pays. Un sondage YouGov réalisé peu après les commentaires de Green a révélé que 63% étaient en désaccord avec l’idée d’un « divorce national », tandis que 23% étaient d’accord.
« Un divorce national n’est peut-être pas possible », écrit Michael Podhorzer, ancien directeur politique de l’AFL-CIO. « Mais nous dormons déjà dans des chambres séparées et nous voyons d’autres personnes. »
Pour autant, si les Etats-Unis ne sont pas réellement divisés, ne vivent-ils pas déjà dans des bulles séparées. Virtuellement à cause des réseaux sociaux qui renforcent ce cloisonnement dans des espaces partagés par des « amis » ou des « contacts » qui partagent les mêmes idées et les mêmes opinions. Un phénomène très récent. Rappelons que Facebook a été créé en 2005, Twitter en 2006, Youtube en 2007, Instagram en 2010, TikTok, aujourd’hui largement répandu chez les 15-24 ans, en 2016.
Réellement dans la vie réelle. Au cours des 30 dernières années, nous avons assisté à une augmentation constante et spectaculaire du nombre d’Américains vivant dans des comtés majoritairement démocrates ou républicains, explique l’analyste politique Amy Walter dans un article intitulé « America on Trial Separation ».
En 1988, selon les données compilées par The Cook Political Report, moins de la moitié de tous les Américains (42%) vivaient dans un comté qui votait pour l’un ou l’autre candidat à la présidence à au moins 60%. En d’autres termes, une majorité d’Américains vivaient dans un endroit où l’un ou l’autre parti n’était pas dominant. En 2020, près de 60% d’entre nous vivaient dans un comté qui votait massivement pour un parti ou l’autre.
Encore plus frappant est l’augmentation spectaculaire du pourcentage d’Américains qui vivent dans des comtés qui ont donné à un candidat au moins 70% des voix. Au début de ce siècle, 13% vivaient dans un comté rouge ou bleu foncé. Aujourd’hui, près de 30 % des Américains le sont. Un autre 8% vivent dans un comté qui a donné 80% ou plus des voix à un candidat à la présidence; Il y a 30 ans, seulement 2% d’entre nous le faisaient.
La Pennsylvanie a évolué au cours des 20 dernières années est exemplaire de cette évolution. En 2020, 24 des 67 comtés de l’État de Keystone ont voté à 70% ou plus pour Trump ou Biden. Un seul (Philadelphie) était bleu, tandis que les 23 autres comtés étaient rouges. En 2004, cependant, seulement huit de ces 23 comtés rouges ont voté pour George W. Bush à 70% ou plus. En 2000, seulement trois des 23 ont voté pour Bush à 70% ou plus.
Pendant la majeure partie du 20e siècle, seul un petit pourcentage d’Américains (4%) vivait dans un État qui votait pour le candidat présidentiel perdant par plus de 10 points. Au 21e siècle, un quart de la population (en moyenne) vit dans un État qui a voté pour le candidat perdant par plus de 10 points. En d’autres termes, tout comme nos comtés deviennent plus profondément rouges ou bleus, les États le sont aussi.
Les candidats démocrates et républicains à la présidence ont chacun remporté 20 États à chaque élection depuis au moins 2008 explique le politologue Ron Brownstein. Cela signifie que 80% des États ont voté de la même manière au moins lors des quatre dernières élections présidentielles – un niveau de cohérence inégalé au cours du 20e siècle. Même pendant les quatre victoires présidentielles consécutives de Franklin D. Roosevelt de 1932 à 1944, seulement environ les deux tiers des États ont voté de la même manière à chaque fois.
Certes, le fossé rural/urbain et géographique a fait partie de la politique américaine depuis longtemps. Mais ces divisions sont plus fortes que jamais. Il est difficile de soutenir que notre pays a été « unifié » dans les années 1960 et 1970. Pourtant, le démocrate Lyndon B. Johnson a remporté une victoire écrasante en 1964 et le républicain Richard Nixon a remporté 520 votes électoraux aux élections de 1972.
Il y a 30-40 ans, on pouvait être un libéral qui soutenait les républicains ou un conservateur qui votait pour les démocrates. Aujourd’hui ces termes sont synonymes de parti. Par ailleurs, l’indignation génère des clics et des dollars et la division paie littéralement. Pour preuve, Donald Trump a collecté 4 millions de dollars le jour qui a suivi son inculpation. Si vous vivez dans un État – ou un comté – qui a voté massivement pour un candidat perdant, il est beaucoup plus facile pour vous de croire (ou d’être amené à croire) que l’élection a été corrompue d’une manière ou d’une autre, conclut Amy Walter.