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La fin de l’Histoire ou l’Histoire sans fin ?

Après la chute du mur et l’implosion de l’URSS, Francis Fukuyama avait écrit un article fameux « La fin de l’histoire ». Il développa ensuite l’idée sous la forme de livre The End of History and the Last Man. L’auteur faisait preuve d’un optimisme à tout épreuve face au mouvement de l’histoire. “The Triump of the West, of the Westerne idea is evident first of all in the total exhaustion of viable systematic alternatives to western liberalism”, écrit dans son article devenu si fameux et qui opposait une tout autre vision proposée par Samuel Huntington avec son livre tout aussi fameux Le choc des civilisations. Deux appréciations du monde comme le furent à leur époque celles de George Orwell dans 1984 et d’Aldous Huxley et son Brave New World.

Pour le chercheur américain, la chute du mur sonnait plus que la fin de la guerre froide entre deux blocs du monde irréconciliables : l’Occident et le bloc communiste. Sachant qu’entre les deux, une troisième voie initiée à la conférence de Bandung en 1955 essayait de se faire une place dans l’Histoire. Il marque la fin de l’Histoire comprise comme “the univerzalisation of Western liberal democracy as the final form of human governement”. L’idée de la fin de l’Histoire n’est pas nouvelle, nous rappelle l’auteur, elle avait déjà été exprimée par Hegel dans son Phenomenology of Mind publié en 1806. Hegel interprétait la victoire de Napoléon à Iena sur les Prussiens et l’universalisation des principes de liberté et d’égalité chère à la Révolution française.

Francis Fukuyama analysait l’évolution de la Chine avec un peu de légèreté : “But anyone familiar with outlook and behavior of the new technocratic elite now governing China knows that Marxism and ideological principles have become virtually irrelevant as guides to policy”. Par ailleurs, il présentait la fin de l’Histoire comme l’entrée dans une nouvelle ère baignant dans la tristesse et l’ennui où l’objectif du monde ne sera que economic calculation, endless solving of technical problems, environmental concerns and the satisfaction of sophisticated consumer demands. Et l’auteur de conclure : “Perhaps this very prospect of centuries of boredom at the end of history will serve to get history started once again”. Il semblait ainsi regretter l’affrontement idéologique caractérisant le monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Le Mur étant tombé et l’URSS devenue la Russie, les États-Unis n’avaient plus de rivaux, ils étaient devenus « l’hyperpuissance ». En trente ans, le monde a été complètement bouleversé. La Chine dispute l’hégémonie des États-Unis, les pays dits émergents ont fini par émerger. Le G7 créé en 1975 (France, Royaume-Uni, Allemagne de l’Ouest, Italie, États-Unis, Japon et l’Union européenne) a essayé d’embarquer les deux mondes avec la création du G20 qui comporte 21 membres depuis 2023 (Allemagne, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Espagne, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Royaume-Uni, République de Corée, Royaume-Uni, Russie, l’Union européenne et l’Union africaine).

La réalité du monde est tout autre et peut aussi être vue comme un affrontement entre le G7 et les BRICS qui se sont renforcés ces derniers temps de nouveaux pays alors que le G7 restait identique. Au début, le terme BRIC était une invention d’un économiste de Goldman Sachs qui avait décidé de regrouper quatre pays dans un même ensemble. En 2011, l’Afrique du Sud adhéra à cet ensemble rebaptisé alors BRICS. En 2024, l’adhésion de l’Égypte, des Émirats arabes unis, de l’Éthiopie, de l’Iran (qui en fait un groupe très hétéroclite pour former dont le socle majeur est sans doute son opposition aux puissances occidentales et aux institutions mises en place par ces dernières) constitue ce qu’on appelle désormais les BRICS+. Clairement, les BRICS ne constituent pas le berceau de la démocratie. D’ailleurs, dans ce groupe, il ne manque plus que la Corée du Nord.

En 1992, le G7 représentait environ 45 % du PIB mondial alors que les BRICS (qui n’existaient pas encore) près de 17%. En 2024, exprimé en parité de pouvoir d’achat, le PIB des BRICS représentait 35 % du PIB mondial contre 30 % pour le G7. En termes de croissance, leur dynamisme est supérieur : 3,6 % contre 1% pour le G7. Les BRICS, désormais puissance économique, ont bien l’intention de la transformer en puissance politique. La Chine, à elle seule, pèse d’un poids considérable. Elle a déjà pris possession de postes clés dans les instances internationales.

On pourrait rétorquer que le G20 permet de faire une sorte de synthèse entre les deux mondes avec des membres des BRICS+ d’un côté et les membres du G7 (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie et l’Union européenne), mais le dernier sommet de Rio montre combien ce groupe de pays est divisé : “That left a bitter taste, particularly among the US and its allies, at a summit characterized by disorganization and division among the leaders of the world’s largest economies”. C’est ce qu’on peut lire dans un article de Bloomberg media.

L’année 2024 avait ouvert un cycle d’élections sans précédent dans le monde avec près de 4 milliards d’électeurs appelés aux urnes. Évidemment, les élections n’ont pas la même signification dans tous les pays. La victoire de Vladimir Poutine en mars 2024 avec 87,28 % des voix (La Russie officialise la victoire de Vladimir Poutine et nie toute fraude électorale), celle de la coalition civique du Premier ministre libéral Donald Tusk ou celle de l’ultra-libertarien Javier Milei n’ont pas la même signification. En septembre 2024, alors nombre de scrutins ont été réalisés, Francis Fukuyama maintient son idée selon laquelle la moisson électorale a été bonne pour la démocratie : “But Liberals’ fears that this year would reflect the global triumph of illiberal populism have so far been proved wrong”. C’est ce qu’il écrivait, dans un article intitulé The Year of Elections Has Been Good for Democracy publié en septembre 2024 dans la magazine Foreign Affairs.

Le penseur de La Fin de l’Histoire et le dernier homme (une idée souvent interprétée à tort) prenait un risque quelques semaines avant les élections américaines. Celles-ci ne mettaient en lice un candidat républicain et une candidate démocrate, mais surtout deux visions de la société et de la politique totalement différente et sans doute irréconciliable.

“Many feared that authoritarian and populist politicians, from Hungary’s Viktor Orban to India’s Narendra Modi, would consolidate their gains by increasing their shares of the vote”. Effectivement, c’est ce qui est en train de se passer et la liste de leaders cherchant à imposer un système de démocratie illibérale ne fait que croître.

Le professeur de l’université de Stanford prenait encore plus de risques en prenant une option sur les résultats des élections américaines : “Although authoritarian ideologies have made clear gains in several countries, democracy in many parts of the world has shown surprising resilience and may yet prevail in the United States.

Il termine son article en précisant que l’élection la plus importante est celle qui interviendra le 5 novembre aux États-Unis : The outcome of the American election will have huge implications both for American Institutions and for the world.

Et Patratra, c’est Donald Trump qui a gagné les élections. Du coup, Francis Fukuyama est bien obligé de réviser un peu son jugement et de considérer que le modèle de la démocratie libérale qu’il défend et qu’il voyait comme le seul ayant résisté au temps est mis à mal de l’intérieur. “The Republican president-elect is inaugurating a new era in US politics and perhaps for the world as a whole”, explique-t-il en introduction de son article Francis Fukuyama: what Trump unleashed means for America.

L’élection de Donald Trump en 2016 pouvait être perçue comme une parenthèse, voire une aberration. Les électeurs avaient été un peu pris par surprise ou ils avaient voulu exprimer un certain mécontentement. En 2024, Donald Trump est sans doute un des personnages les connus des États-Unis. C’est donc en toute connaissance de cause – la mésinformation et la désinformation ont certainement joué un rôle important dans son élection – qu’ils ont voté pour lui. Sa réélection laisse donc à penser que c’est l’élection de Joe Biden qui a été une parenthèse d’une nouvelle ère qui s’est ouverte aux États-Unis et que l’on a connu dans d’autres pays. Selon l’auteur, deux distorsions auraient changé le libéralisme : 

– le néolibéralisme, une doctrine qui sanctifie le marché et réduit le rôle du gouvernement à protéger ceux qui sont touchés de plein flein par les excès du capitalisme ;

– L’émergence de la politique des identités ou ce que certains appellent le libéralisme woke qui a remplacé la classe moyenne ou la classe des travailleurs par les minorités en tous genres : raciales, genres, migrants, minorités sexuelles…

Francis Fukumaya rappelle la grande idée de Donald Trump – Make America Great Again – qui est donc une sorte de contre-révolution dont l’objectif est de ramener l’Amérique à un point antérieur. Mais la question est jusqu’où ? Avant le droit de vote des femmes ? Avec le New Deal de FDR ? Avec les droits civiques ? Avant l’Obamacare ? Pour le professeur de Stanford, Donald Trump veut non seulement gommer les deux avatars du libéralisme – néolibéralisme et libéralisme woke – mais le libéralisme lui-même. “The real question at this point is not the malignity of his intentions, but rather his ability to actually carry out what he threatens” énumérant les menaces possibles sur les différents sujets sur lesquels Donald Trump a été élu : protectionnisme, immigration, rule of law, foreign policy and international order…

Sur tous ces sujets, on aura des réponses assez rapidement. Si l’auteur de la fin de l’Histoire n’adhère à l’accusation de Trump fasciste, il pointe néanmoins sur les dégâts déjà causés par le 45e président et futur 47e président : “He has deepened an already substantial polarisation within society, and turned the US from a high-trust to a low-trust society; he has demonised the government and weakened belief that it represents the collective interests of Americans; he has coarsened political rhetoric and given permission for overt expressions of bigotry and misogyny; and he has convinced a majority of Republicans that his predecessor was an illegitimate president who stole the 2020 election”.

Qu’attendre donc des quatre prochaines années ? “…it may be that things will have to get a lot worse before they get better”. L’optimisme de Francis Fukuyama semble être quelque peu écorné.

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