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La démocratie américaine est-elle en danger ?

« Il y a tant de dysfonctionnements dans nos institutions et notre démocratie que je sais pas par où commencer ». La démocratie américaine serait-elle en danger comme le sous-titrait l’Ifri dans son séminaire sur le dysfonctionnement des institutions américaines ? (1) « Je crois que le danger actuel vient plus de l’Europe, notamment avec la crise grecque, poursuivait-il. »

C’est de cette manière paradoxale qu’Arthur Goldhammer, de l’université de Harvard, commençait son intervention. Néanmoins, le traducteur de l’édition de référence aux Etats-Unis de De la démocratie en Amérique brosse un tableau plutôt noir du fonctionnement des institutions américaines.

Peur de la tyrannie de la majorité et protection des minorités, système des checks and balances, les pères fondateurs avaient conçu une démocratie où tout a été pensé pour maintenir un certain équilibre et empêcher toute dérive totalitaire. Mais l’énumération des dysfonctionnements par Arthur Goldhammer est inquiétante.

– Sénat : protéger les petits Etats contre les grands, la règle de la représentation de deux sénateurs par Etat est écrit dans la constitution et ne peut être amendée. Et pourtant cette disposition a généré des blocages. Par exemple, dans la récente réforme de la santé qui vient d’être votée, on a vu une coalition de petits États tentés de bloquer la réforme alors qu’ils ne représentaient que 20 % de la population.

On ne parlera pas ici de la procédure du filibuster et de la supermajorité (Que représentent les républicains au Sénat ?) qui, elle aussi, n’est pas sans poser de sérieux problèmes.

– Chambre des représentants : les mandats à court terme font que les représentants sont en campagne permanente pour recueillir des financements.

Le Congrès est d’ailleurs le lieu d’un paradoxe. Il est détesté par les citoyens américains (14 % seulement de taux d’approbation) et pourtant le taux de réélection est très élevé (entre 85 et 94 % à la Chambre des représentants et entre 73 et 93 % au Sénat).

Ce discrédit du législatif s’inscrit selon Arthur Goldhammer dans un phénomène plus large selon lequel le nombre des Américains qui ne croient plus en leur démocratie va croissant. Et la crise économique ne fait qu’aggraver les choses.

Une liste qui n’est pas à la Prévert

Parallèlement, AG liste d’autres facteurs minent la vitalité de l’une des plus jeunes démocraties qui s’appuie pourtant sur la plus ancienne Constitution, à savoir :

– Le renforcement du populisme et la très faible participation aux consultations électorales ;

– Les inégalités croissantes entre les riches et les pauvres ;

– l’éloignement continu entre ce qu’il appelle les cosmopolites et les chauvins : les premiers sont à l’aise avec les changements du monde, les seconds en ont peur ;

– le renforcement des lobbies et des pouvoirs de l’argent qui altèrent le fonctionnement des institutions. Sur ce point, l’intervention de Lawrence Lessig est exemplaire (Le Congres, ressort cassé de la démocratie américaine ?).

– Une sophistication politique des militaires qui sortent de leur rôle et modifient la prise de décision. AG va même jusqu’à parler d’insubordination du général McCrystal à propos le conflit Afghan ;

– Un éloignement progressif des deux grands partis en voie de radicalisation. Du côté des Républicains, par exemple, il faut être très à droite pour être nommé candidat et rassembler au centre pour être élu président ;

– les questions raciales deviennent ou plutôt redeviennent un élément décisif du dialogue entre les communautés. Bien sûr avec un vocabulaire différent de ce que l’on a connu par le passé ;

– Un affaiblissement de la représentation syndicale qui ne réunit plus que 8 % de la population active ;

– Une classe ouvrière blanche qui change de camp et embrasse les thèses des conservateurs, motivée en partie par les effets de la mondialisation.

– la perception et la gestion du phénomène de l’immigration qui change assez largement de nature. Longtemps considérée comme une chance, l’immigration devient aujourd’hui un problème et engendre la peur. Les Irlandais et les Italiens qui firent partie des vagues précédentes d’immigration sont les plus actifs à vouloir stopper les nouveaux arrivants, voire les raccompagner de là où ils viennent. La loi sur l’immigration que vient de signer le gouverneur de l’Etat de l’Arizona est « une chose nouvelle et choquante », même si elle bénéficie du soutien de la majorité des Américains. Le changement de John McCain sur cette question est significatif de la tendance actuelle.

Face à ce déluge d’éléments de déstabilisation du fonctionnement des institutions, les deux autres intervenants à ce séminaire, Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des Hautes Études sur la Justice et Nicole Bacharan, spécialiste des questions américaines, proposent quelques idées qui éclaircissent un peu ce tableau.

Force de rappel et contrepoids

Pour Antoine Garapon, certes on peut être inquiet sur le fonctionnement des institutions, mais la vitalité des mœurs qui constituent l’autre poumon de la démocratie américaine permettent de faire la faire respirer. Et les attaques de la société civile ,comme le mouvement des Tea Party, confortent l’idée même de la démocratie car plus le nombre des critiques est important et plus il conforte l’existence du premier amendement de la déclaration des droits (Bill of Rights) qui met au-dessus de tout « la liberté d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à l’État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis. »

Par ailleurs, la référence aux Pères fondateurs et à la Constitution, qui est partagée par tous quelle que soit leur opinion politique, joue comme une force de rappel ou un contrepoids à la violence qui peut s’exprimer çà et là et la canalise.

Le blocage que l’on ne peut que constater n’est-il pas l’état normal des institutions voulus par les pères fondateurs et force au compromis, vecteur conduisant vers la meilleure solution. Le fonctionnement du Congrès ne serait pas assez par rapide par rapport à l’avancement du monde qui ne cesse de s’accélérer sous la pression de différentes forces (mondialisation, diffusion des technologies…) ? En fait, pour Nicole Bacharan, c’est sans doute la condition permettant le développement d’une « démocratie lente et patiente ».

Mais tout n’est pas au beau fixe. Par exemple, l’idée d’une approche non partisane qui est un des rêves de Barack Obama à clairement tendance à se dissoudre : « Il n’y a pas une Amérique libérale et une Amérique conservatrice – il y a les États-Unis d’Amérique, avait-il déclaré dans son discours à la convention nationale du parti démocrate en 2004. Il n’y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche et une Amérique latino-américaine et une Amérique asiatique ; il y a les États-Unis d’Amérique… Nous formons un seul peuple, nous tous prêtant allégeance au drapeau, nous tous œuvrant à la défense des États-Unis d’Amérique. »

Cette utopie a volé en éclat et Barack Obama est, selon une dernière enquête de l’institut Gallup, le président « the most polarized in Gallup history ». Un président pour le dire à grands traits qui est largement soutenu par les jeunes, les noirs et les démocrates et combattu par les moins jeunes, les blancs et les républicains (Obama Approval Continues to Show Party, Age, Race Gaps).

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(1) Le programme Etats-Unis de l’Ifri et la French American Foundation-France organisent leur neuvième séminaire :

Le dysfonctionnement des institutions en Amérique : la démocratie américaine est-elle en danger ?

Les blocages systématiques entre des deux partis et le refus de dialoguer pour trouver des compromis suscitent un mécontentement croissant du peuple américain envers ses représentants et les institutions en place à Washington. Le modèle fédéral et les institutions conçus par la Constitution américaine il y a plus de 200 ans fonctionnent-ils toujours aujourd’hui ?

Avec la participation d’Arthur Goldhammer, du Minda de Gunzburg Center for European Studies à Harvard University, traducteur de l’édition de référence de Tocqueville en anglais ; Nicole Bacharan, chercheur associée, FNSP et Antoine Garapon, secrétaire général, Institut des Hautes Etudes sur la Justice.
Présidence : Jacques Mistral, directeur des Etudes économiques, Ifri.

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