Pour la première fois au cours des derniers mois, les électeurs américains inscrits (registered voters) disent que la principale question qui les préoccupent est la menace à laquelle la démocratie est confrontée. C’est ce qu’indique un tout récent sondage réalisé par NBC News Les sondages précédents de NBC en mars et mai montrait le principal problème dans l’esprit des Américains interrogées était le coût de la vie. Rien de très surprenant car l’inflation s’est invité dans la vie quotidienne américaine. Depuis quelques semaines, en partie grâce à la baisse assez spectaculaire du coût de l’essence, la question de l’inflation s’est un peu atténuée.
Le sondage a révélé cette fois que 21% des électeurs ont classé les « menaces à la démocratie » comme la question la plus critique à laquelle le pays est confronté, tandis que 16% ont choisi le « coût de la vie », qui s’est classé deuxième. En troisième position se trouvait « l’emploi et l’économie », avec 14 %.
Pourquoi ce sujet fait-il irruption dans la société américaine ? D’abord, les travaux de la Commission du 6 janvier avec des auditions publiques depuis juin dernier, a largement confirmé que l’ancien président des Etats-Unis avait tenté de conserver le pouvoir (on peut appeler ça un coup d’état au ralenti utilisant les failles du système), autrement dit a tenté un coup d’état fondé sur le mensonge que les élections ont été frauduleuses. Certes une partie des électeurs républicains sont toujours convaincu de ce Big Lie, mais combien d’Américains ont-ils été ébranlé par ces révélations. L’ancien président, décidemment à nul autre pareil, a fait l’objet d’une perquisition à sa résidence de Mar-a-Lago pour avoir conserver des documents classés hautement confidentiels. De nombreux républicains ont critiqué les responsables fédéraux de l’application de la loi à la suite du raid, Trump le décrivant comme faisant partie d’une « chasse aux sorcières » en cours contre lui. Néanmoins 57% des électeurs interrogés pensent qu’ils devraient continuer, tandis que 40% ont déclaré qu’ils devraient arrêter.
Sans surprise, les réponses du sondage concernant les enquêtes sur la conduite de Trump sont largement alignées sur l’appartenance partisane, avec 92% des électeurs démocrates et 61% des indépendants disant qu’ils pensent que les enquêtes devraient se poursuivre, tandis que seulement 21% des électeurs républicains soutiennent les enquêtes en cours.
Mais finalement, les Etats-Unis ont-ils été conçus comme une démocratie ? Pas tout à fait répond Louis Menand dans un article publié par le New Yorker intitulé American Democracy Was Never Designed to Be Democratic – The partisan redistricting tactics of cracking and packing aren’t merely flaws in the system – they are the system. Il y décrit les failles d’un système électoral qui détourne la règle simple : « un citoyen, une voix » sur les trois pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire). Mais ces failles ou ces défauts de conception (sans parler du fait que les femmes ou les Noirs étaient pendant longtemps exclus du vote) ont toujours existé pourrait-on répondre. Sans doute, mais certains d’entre eux comme le Gerrymandering, avec l’utilisation de l’informatique, ou l’influence de l’argent depuis l’arrêt Citizen United exercent une influence beaucoup plus importante.
Dans les faits, le niveau démocratique des Etats-Unis serait à la baisse dans l’édition 2022 du Democracy Report publié par V-Dem, une organisation internationale créée en 2014, qui étudie les tendances de la démocratie au niveau mondial.
Le constat pour les Etats-Unis est préoccupant :
« While the United States remains a liberal democracy, V-Dem data shows that it is only a fraction away from losing this status after substantial autocratization. The U.S. Liberal Democratic Index score dropped from 0.85 in 2015 to 0.72 in 2020, driven by weakening constraints on the executive under the Trump administration ».
De 2016 à 2021, les Etats-Unis sont passés de la 17e à la 29e place dans le classement réalisé par V-Dem. Le constat est clair :
« Liberal democracy remains significantly lower than before Trump came to power. Government misinformation declined last year but did not return to previous levels. Toxic levels of polarization continue to increase. Democracy survives in the United States, but it remains under threat. Of all the forces undermining democratic traditions in elections and policymaking — Donald Trump’s big lie, the politicization of ballot counting by Republican state legislatures, the attempt to disenfranchise segments of the population — one that has devastating potential is operating under the radar: the growing cynicism of younger voters ».
Dans un livre à paraître, « The Bitter End: The 2020 Presidential Campaign and the Challenge to American Democracy, », Lynn Vavreck, professeur de sciences politiques à l’univerité de U.C.L.A note quatre facteurs qui favorise cette évolution :
1) Increasing distance between the parties (we are farther apart than ever ideologically);
2) Increasing homogeneity across issue positions within each party (we are more like our fellow partisans than ever);
3) The displacement of the “New Deal” dimension of conflict (size and role of government, tax rates) with a new dimension of conflict based on identity-inflected issues;
4) Partisan parity within the electorate (there is near balance between people who call themselves Ds and Rs right now).
Dans un avenir proche, on ne voit pas très bien comment la situation pourrait s’améliorer. Si d’aventure, les démocrates gardaient le Sénat, voir la Chambre des représentants, il n’est pas impossible de penser que nombre de républicains, encouragés par les agissements de leur mentor (When It Comes to Eating Away at Democracy, Trump Is a Winner), contestent le résultats des élections.