« Competition, free market… », les républicains mettent en avant ces deux idées comme essentielles au dynamisme de l’économie américaine. Le problème est que l’économie américaine ne semble plus vraiment régie par ces règles et est désormais sous l’emprise des monopoles ou des oligopoles. Et il ne s’agit pas seulement des GAFA, beaucoup d’autres secteurs comme les télécoms mobiles, le transport aérien, la distribution sont largement touchés.
Et cette « monopolisation » de l’économie américaine, qui fausse la concurrence et a pour effet de fixer les prix comme le souhaitent les fournisseurs et non comme une détermination à la suite d’une rencontre entre l’offre et la demande. Selon le livre que vient de publier l’économiste français Thomas Philippon intitulé The Great Reversal: How America Gave Up on Free Markets. Selon Thomas Philippon, cette distorsion coûterait en moyenne quelque 5000 dollars par foyer et par an.
Thomas Philippon est venu aux États-Unis pour poursuivre des études, a obtenu un Ph.D. en économie au MIT et y resté depuis. Il est aujourd’hui professeur à Stern School of Business de la New York University.
En passant il faut souligner la notoriété des économistes français aux États-Unis. Il y a eu Thomas Piketty dont le livre le Capital au XXIe siècle a été un best-seller outre-Atlantique. Esther Duflo, elle-aussi professeur d’économie au MIT, vient de recevoir le prix Nobel avec son époux Abhijit Banerjee, spécialiste de l’économie du développement et Michael Kremer, professeur de la Chaire Gates à l’université de Harvard. Il y a aussi Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, professeur d’économie à l’université de Berkeley, conseillers économiques des deux candidats Elisabeth Warren et Bernie Sanders qui viennent de publier le livre The Triumph of injustice – How the Rich Dodge Taxes and How to Make Them Pay (Les impôts baissent, L’injustice monte).
Si les États-Unis ont inventé l’Internet, ils semblent avoir du mal à le maintenir en marché concurrentiel. Selon Thomas Philippon, le prix de l’abonnement à Internet est un des plus élevés au monde. Pour trouver plus cher, il faut aller à Cuba. Même punition du côté des télécoms mobiles où le prix moyen de l’abonnement est également beaucoup plus élevé que dans la plupart des pays développés. Cela est le simple résultat de l’organisation de ces marchés. Dans chaque région, les consommateurs n’ont accès le plus souvent qu’à deux fournisseurs. Non seulement les prix sont élevés, mais le service client n’est pas au rendez-vous avec des centres d’appels situés dans des pays comme les Philippines où les téléconseillers ont parfois du mal à comprendre certaines subtilités locales.
Ces deux exemples sont loin d’être les seuls. Le transport aérien est aujourd’hui dominé par quatre grandes compagnies aériennes : Delta Airlines, American Airlines, Southwest Airlines et United Airlines. Celles-ci détiennent 80 % du marché intérieur. En Europe, les quatre principales compagnies en détiennent 40 %. Le phénomène du low cost – avec EasyJet comme un des porte-drapeaux – que l’on connaît en Europe n’existe pas aux États-Unis. On se souvient que Jimmy Carter et Ronald Reagan avaientt dérégulé respectivement les secteurs aérien et des télécoms dans les années 70/80. Un peu plus de 30 ans plus tard, des géants se sont reconstitués, dominant ces secteurs.
Les deux géants de la distribution de produits pour l’équipement de la maison Home Depot et Lowe’s ont tué quasiment tous les hardware stores locaux. Comme la santé est pensé en tant que marché comme les autres aux États-Unis, un ou deux systèmes hospitaliers contrôlent la plupart des villes. Il en va de même pour les pharmacies qui sont désormais sous le contrôle de quelques chaînes nationales.
Donc l’économie américaine est placée sous le règne des oligopoles et qui ont de plus en plus de contrôle sur les politiques. Les entreprises justifient souvent leurs opérations de fusions & acquisitions par des raisons d’efficacité et de réduction des coûts. Le rachat de Maytag par Whirpool est un bon exemple. Le ministère de la Justice a rationalisé cette acquisition en expliquant que la concurrence étrangère permettrait de limiter les augmentations des prix. Dans un deuxième temps, Whirpool a fait du lobbying auprès des politiques pour instaurer des droits de douane sur les concurrents étrangers. Les laisse-vaisselles, lave-linge et sèche-linge ont vu leur prix s’envoler.
Thomas Philippon rend grâce à l’Union européenne qui a placé la concurrence au cœur de la politique économique de la Commission, dont le commissaire à la concurrence. Mais tout avantage a son revers, car la Commission a fait de cette concurrence l’alpha et l’oméga de sa politique, parfois sans beaucoup de discernements empêchant la constitution de champions européens et facilitant ainsi l’entrée des concurrents étrangers ou le rachat de champions européens.
Dans son livre, Thomas Philippe développe trois thèses :
- La concurrence a décliné dans la plupart des secteurs de l’économie américaine ;
- Le manque de concurrence s’explique par des choix politiques influencés par les lobbies et les contributions financières des campagnes électorales ;
- Le manque de concurrence a pour conséquences des salaires et des investissements plus bas, une croissance plus faible et une inégalité croissante.
Bref, l’économie américaine doit sans doute se réinventer.