La récompense d’abord, l’effort et le travail ensuite. C’est en général ce que veulent les enfants, à qui leurs parents expliquent que « ça ne marche pas comme ça dans la vie ». « Travaille d’abord et ensuite tu auras une récompense ». C’est un peu la méthode retenue par Donald Trump en acceptant la rencontre avec Kim Jong-un comme le début d’une négociation et non comme sa conclusion. Et en recueillant d’emblée les fruits médiatiques et dans l’opinion.
Si l’on analyse la rencontre avec les lunettes de Donald Trump selon lesquelles dans toutes négociations, il y a un gagnant et un perdant. Pour l’instant, le gagnant serait plutôt Kim Jong-un.
D’abord une réunion en tête à tête de 45 minutes sans témoin autre que les interprètes. On ne saura donc sans doute jamais ce qui aurait été vraiment dit. Ensuite, cette poignée de main d’égal à égal avec le président du pays le plus puissant de la planète lui permet, aux yeux des Nord-coréens, mais aussi du monde, d’intégrer la communauté internationale et d’être reconnu comme un dirigeant comme les autres. Ce moment qui va rester dans les mémoires immortalisé par des milliers de photos publiées dans le monde entier alors que l’on ne sait pas ce qu’il va en advenir.
Dans ses formules hyperboliques, en négatif comme en positif, Donald Trump est passé de « Rocket Man » à « A Very Talented Man ». Avec des formulations pour le moins incongrues comme « c’est un grand honneur de vous rencontrer » là où deux jours plus tôt il insulte Justin Trudeau, Premier ministre du premier partenaire des Etats-Unis. Passons même sur les commentaires affligeants concernant les droits de l’homme selon lesquels « c’est dur en Corée du Nord, mais c’est dur aussi un peu partout ». Dans cette course à la reconnaissance, c’est Kim Jong-un qui était clairement le plus demandeur et qui est donc gratifié. À moins que rencontrer un dictateur soit un élément important pour Donald Trump ?
Dans le premier accord qui a été signé, Donald Trump fait la concession majeure de suspendre les exercices militaires avec la Corée du Sud qui permettent aux forces américaines d’être prêt à tout moment. Dans sa conférence de presse, il les a même présentées comme des « war games » allant jusqu’à les qualifier de « provocative », reprenant ainsi la rhétorique de la Corée du Nord. Aux dires de CNN, les responsables de la Corée du Sud n’avaient pas été consultés sur cette décision, qui ne peut que les plonger dans un fort état de perplexité et de nervosité.
En échange qu’ont obtenu les Etats-Unis ? Que la Corée du Nord réaffirme sans apporter aucun élément nouveau sa volonté de lancer la dénucléarisation sans offrir les garanties demandées « complete, verifiable, irreversible denuclearization », connues sous l’acronyme CVID. Rien de tout cela.
Bien sûr, les premiers commentaires de Donald Trump, la réunion s’est très bien passée, « top of the line », et même encore mieux que ce qui avait été prévu : « It’s a very great day, it’s a very great moment in the history of the world. »
Donc dans ce premier test match, on peut dire que l’avantage est à Kim Jong-un. Mais ce n’est que le premier d’une longue série – sauf si Donald Trump décide de tout arrêter pour une raison qu’il ignore encore. Peut-être les rencontres suivantes tourneront à l’avantage des Etats-Unis. Mais une chose est sûre, le plus dur reste à faire.
Quand on compare les situations iranienne et nord-coréenne, on ne peut qu’être étonné. L’accord avec l’Iran était peut-être un mauvais, mais en tous cas, il avait suspendu les activités de recherche dans le nucléaire militaire. Les inspecteurs de l’IEA l’avaient confirmé à plusieurs reprises. Dans l’affaire avec la Corée du Nord, Donald Trump est prêt à faire confiance a priori, sans aucune garantie. Un pari lorsqu’on se souvient du contexte passé où la Corée du Nord n’a jamais respecté ses engagements. Comment expliquer une telle différence ? D’abord, les Américains ont un fort contentieux avec l’Iran. Ensuite, c’était un accord multilatéral.
Ajout le vendredi 15 juin : Fox News s’y met aussi
https://youtu.be/7SALiH87mgU
2 Commentaire
Guy Hervier
La rencontre entre les leaders Nord Coréen et américain ne peut se comprendre que dans le contexte régional : Chine, les deux Corées, Etats Unis.
Donnée de base : la Chine tient pour vitale l’existence d’un Etat tampon entre sa frontière et la Corée du Sud qui abrite des forces américaines. Les dictateurs nord-coréens, bien que dépendants à 99% de la Chine pour leur survie, ont toujours utilisé ce levier sur la Chine pour dégager de larges marges de manœuvres vis à vis de leur protecteur.
Pour agir sur Pyongyang, les prédécesseurs de Trump ont tous compté sur la Chine, qui se disait impuissante. Pendant que se poursuivait ce dialogue de sourd, Pyongyang a construit sa capacité nucléaire. La Chine a au moins fermé les yeux si ce n’est contribué à l’effort parce que cela renforçait l’état tampon et augmentait la pression sur les pays voisins, les rendant encore plus malléables face à la poussée chinoise en mer du sud. Les Etats-Unis assistaient, impuissants.
La rencontre directe Trump/Kim renverse le statu quo, et représente pour Pékin ce qu’a été la rencontre Mao Nixon pour Moscou : la relation directe entre l’Etat tampon et les E-U représente pour Pékin une menace vitale, dans la mesure où elle pourrait évoluer vers une relation positive favorisant un rapprochement Seoul Pyongyang, avec à terme la réalisation du cauchemar chinois, à savoir une corée unie proaméricaine à sa frontière. La « concession » américaine sur la fin des exercices militaires est symbolique de ce retournement possible. Ce n’est qu’un signal, adressé d’abord à la Chine, et qui peut être oublié en un instant tant que les forces américaines restent sur place.
La rencontre donne aux Etats-Unis un levier sur la Chine, qui depuis des décennies est en mode expansionniste, commercial, militaire, diplomatique. Trump pendant sa conférence de presse a beaucoup parlé de la Chine, et des concessions qu’il veut en obtenir.
Question : si c’est aussi simple, pourquoi est ce que les administrations précédentes ne l’ont pas fait ? Parce que, dans les administrations précédentes, la Chine était d’abord et avant tout le partenaire principal de la « Chinamérique », « l’usine du monde » où les grandes sociétés américaines fabriquent à bas coût pour revendre sur le marché américain et européen après avoir dégager de profits offshore (voir la part des JV américano chinoises dans les exportations chinoises). Trump change la donne sur la Corée parce qu’il veut changer la donne vis-à-vis de la Chine.
Je doute qu’il y parvienne parce que POTUS n’est pas grand-chose face au complexe industrialo mediatico politico etc.. américain, déchainé contre lui. Tant pis pour le pays qui accumule les déficits ; tant pis pour les classes moyennes américaines qui ont perdu leurs jobs, leur niveau de vie, et qui s’endettent pour continuer d’acheter chinois.