Constitutionnel ou pas, le droit n’est pas une science exacte. L’interprétation des textes dépend de tant de facteurs. Cela n’empêche pas les Américains de s’engager dans des batailles juridiques qu’ils semblent affectionner particulièrement.
La section 3 du 14e Amendement vient d’être réactualisée par un groupe d’avocats qui s’appuie sur les deux organisations Free Speech For People and Our Revolution (lancée par Bernie Sanders) et vise à qualifier certains élus d’insurrectionnalistes et les empêcher ainsi légalement de se présenter aux prochaines élections. Le cas concerne ici Madison Cawthorn, représentant de l’état de Caroline du Nord mais pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres, y compris Donald Trump. Madison Cawthorn est un des plus actifs supporters de Donald Trump et il ne s’a jamais été avare en propos de soutien au mouvement qui a conduit à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.
Le 14e amendement à la Constitution des États-Unis, ratifié en 1868 sous l’impulsion de John Armor Bingham, visait à protéger le droit des anciens esclaves afro-américains émancipés établi par le 13e amendement de la Constitution des États-Unis, en particulier dans les États du sud. Il garantit la citoyenneté à toute personne née aux États-Unis, et affirme la nécessité de garantir l’égale protection de tous ceux qui se trouvent sur son territoire.
La section 3 du 14e amendement s’établit comme suit :
Section 3. Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès, ou électeur des président et vice-président, ni n’occupera aucune charge civile ou militaire du gouvernement des États-Unis ou de l’un quelconque des États, qui après avoir prêté serment, comme membre du Congrès, ou fonctionnaire des États-Unis, ou membre d’une législature d’État, ou fonctionnaire exécutif ou judiciaire d’un État, de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre eux, ou donné aide ou secours à leurs ennemis. Mais le Congrès pourra, par un vote des deux tiers de chaque Chambre, lever cette incapacité.
Comme l’indiquent les journalistes Blake Hounshell and Leah Askarinam (How Jan. 6 Gave the 14th Amendment New Life), cette initiative juridique permettrait de clarifier plusieurs notions :
– L’assaut du 6 janvier peut-elle être qualifiée d’insurrection ?
– Que signifie d’être engagé dans une insurrection et quel degré d’engagement peu activer la clause de disqualification (la section 3) ?
– Le Congrès doit-il pas voter une loi ou une résolution pour activer le 14e amendement ?
Sur le premier point, certains commentateurs ont une idée très précise sur la question car les mots doivent avoir une signification précise. On se souvient de l’interview de Ted Cruz par Tucker Carlson, l’animateur vedette qui réprimande vertement le sénateur du Texas pour avoir qualifié de « violent terrorist attack » la marche paisible du 6 janvier. A l’instar des tribunaux révolutionnaires des meilleurs heures de la Chine ou de l’URSS, le sénateur a été obligé de présenter ses excuses devant les téléspectateurs de la chaine Fox News. Un spectacle assez pathétique.
La clause de disqualification a été utilisée la dernière en 1919 contre Victor L. Berger, un journaliste et politicien américain d’origine autrichienne. Activiste socialiste du Wisconsin, Victor Berger a été accusé de sympathies avec une puissance étrangère, en l’occurrence l’Allemagne et il fut ainsi démis de ses fonctions d’élus à la Chambre des représentants. Le cas fut renversé par la Cour suprême et Victor L. Berger fut réélu à nouveau à trois reprises. Le cas de Madison Cawthorn est différent puisqu’il n’y a pas de lien avec une puissance étrangère.
Le porte-parole de Madison Cawthorn a balayé d’un revers de main l’initiative des avocats : « Over 245,000 patriots from Western North Carolina elected Congressman Cawthorn to serve them in Washington,” said Luke Ball, a spokesman for Cawthorn. “A dozen activists who are comically misinterpreting and twisting the 14th Amendment for political gain will not distract him from that service. »
Il est sûr qu’une telle action assez byzantine mais son objectif n’est sans doute pas celui affiché mais plutôt d’obliger cet élu – et tous ses collègues – d’être contraint à témoigner et à produire des pièces comme ses conversations téléphoniques et ses échanges de mails. Et d’aider ainsi la commission du 6 janvier. Car de nombreux élus ont tout simplement refusé de comparaitre invoquant différentes dispositions juridiques censés les en dispenser.
Il n’en reste pas moins problématique d’utiliser des moyens juridiques pour empêcher des candidats de se présenter car cela ne fait que les victimiser et les ériger en martyrs de la nation. Il serait largement préférable qu’ils soient battus dans les urnes. Mais c’est là où le bat blesse. Madison Cawthorn a été élu assez confortablement en 2020 et il est probable qu’il sera réélu en 2022.
A lire sur le sujet
- Will Madison Cawthorn Be Brought Down by ‘Insurrection’?
New York Times, January 21, 2022 - The Case for Barring Madison Cawthorn from the Ballot
CNN, January 14, 2022 - North Carolina voters dispute Cawthorn candidacy over Jan. 6
Associated Press, January 10, 2022 - To preserve our democracy, we must bar insurrectionists from the ballot
USA Today, January 6, 2022 - These Progressives Fought the Good Fight in 2021—and Gave Us Hope for 2022
The Nation, December 28, 2021