Ambassadeur de France aux Etats-Unis, Gérard Araud tire sa révérence après cinq ans de fonction qui lui ont permis de côtoyer deux présidents, Barack Obama et Donald Trump et de vivre un changement d’époque avec l’installation à la Maison-Blanche d’un représentant du mouvement populiste qui se répand sur la planète.
Malgré son poste d’observation au plus près des événements, Gérard Araud n’avait pas prévu l’arrivée de Donald Trump. Et il ne s’en cache pas. Évidemment, il n’est pas le seul à s’être trompé. On pourrait dire que Donald Trump est un accident, mais que le mouvement qu’il incarne ne l’est pas. Car on ne rappellera jamais assez qu’il a pu être élu avec 3 millions de voix de moins que son opposant et à la faveur d’un système électoral totalement obsolète. Ce mouvement a maturé toutes ses années sans que l’on ait voulu ou pu s’en apercevoir. Dans le premier cas, il s’agit d’un mouvement qui puise ses racines sur des réalités, mais qui propose des solutions que l’on ne soutient pas. Dans le second, tout simplement parce qu’on ne l’a pas vu. (Retour une présidence imprévue | Gérard Araud, ambassadeur de France aux Etats-Unis).
A l’occasion de son départ, les revues Foreign Affairs et Atlantic ont publié une interview bilan de ses cinq années passées à Washington. Son avis sur Donald Trump et sur son entourage est mitigé et non contrairement négatif. Au matin de l’élection, l’Ambassadeur avait tweeté : « After Brexit, after Trump, a world is collapsing ». Le tweet qui peut être interprété de plusieurs manières a été retiré deux minutes après sa publication, mais le mal avait été fait. L’auteur indique avoir reçu des centaines de messages d’insultes. « J’avais raison sur le fond, mais tort sur la formulation » considère-t-il encore aujourd’hui.
La période que l’on qualifie couramment de néolibéralisme qui a commencé avec Ronald Reagan est terminée pense Gérard Araud. Pendant cette période, le libre-échange et le marché fondés sur l’ouverture totale des frontières sont les principales forces qui font avancer le monde, les impôts et l’intervention de l’état doivent être réduits au minimum. Le résultat est que les pays pauvres en ont profité tout comme les riches des pays riches tandis que les classes moyennes inférieures ont vu leur revenu et leur condition d’existence stagner. Un autre phénomène a transformé le monde : l’automatisation. Les deux couplés à la crise de 2008 qui a fait que des millions d’Américains ont perdu leur maison et/ou leur emploi ont permis l’élection de Donald Trump. « Le génie de Donald Trump est d’avoir senti cette crise », déclare Gérard Araud. Mais on ne lui demande pas ce qu’il en a fait. Car parmi tous les nombreux mensonges qu’il distille au quotidien, Donald Trump reste bien le président des riches, mais fait croit aux pauvres qu’il les défend. La réforme fiscale en est le meilleur exemple. Et les déréglementations lancées à tout va auront des effets que dans quelque temps et ce seront les moins pourvus qui seront les plus frappés.
Donc, pour Gérard Araud, le libre-échange, c’est fini. Les Etats-Unis, gendarme du monde, c’est fini. Et c’est une erreur de penser que les choses reviendront comme elles étaient avant, pense-t-il.
Clairement, Donald Trump a réussi son OPA sur le parti républicain qui a jeté ses fondamentaux à la poubelle pour adopter ceux de son nouveau patron. Libre-échange et globalisation, politique internationale active, multilatéralisme, équilibre budgétaire, réduction des dépenses publiques, immigration, tout ceci est à jeter pour laisser place à des vues pour la plupart inversées.
La notion d’alliés est également à oublier. America First. Le commerce est un jeu à somme nulle. Il y a un perdant et un gagnant. Penser qu’il pourrait exister des jeux à somme positive dans lesquels les deux partis peuvent gagner de l’échange est une idée totalement étrangère à Donald Trump. Seul le rapport de force compte. Les lois et réglementations ne seraient que pour les faibles qui ne sont pas capables de se défendre. La Chine ou l’Europe, c’est la même chose. America First.
Pour Gérard Araud, John Bolton est « un vrai professionnel même s’il déteste les organisations internationales » et Jared Kushner est « très intelligent, mais n’a pas de courage ». Pas si mal.
Question de Foreign Affairs : la réélection de Donald Trump en 2020 serait-elle un désastre pour l’Ouest ? « Je ne sais pas si ce serait un désastre. Je suis sûr que ce ne serait pas une bonne chose », conclut l’ambassadeur.
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