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Fatigués ou divisés par la politique ?

“Political Exhaustion: Why Americans Are Tuning Out” tel est le titre de l’article de Arash Javanbakht, Associate Professor of Psychiatry, Wayne State University dans DC Report. Les élus face au “burn out démocratique” des Français, peut-on lire dans le Parisien Dimanche. Il semblerait que cet état d’esprit général conduise à deux résultats différents. De notre côté de l’Atlantique, l’atmosphère lourde et l’imprévisibilité croissante dans la conduite des affaires conduisent les citoyens à être désabusés. Les élus n’arrivent pas à boucler leur budget, et beaucoup de Français non plus. De sorte que chacun s’occupe de ses propres affaires.

De l’autre côté de l’Atlantique, le We the People qui résonnait dans l’esprit des Américains s’est peu à peu transformé en « us, the good people, versus them, the bad people » conduisant à une forme de tribalisme selon lequel on est dedans ou dehors, ami ou ennemi. Le professeur de Psychiatrie note que, conforté dans son propre camp, chaque Américain n’est pas seulement en désaccord avec ceux qui sont au-dehors, mais il les hait, les bloque, les attaque. De que sorte que plus aucun dialogue n’est possible. On se souvient de la faute de goût faite par Hillary Clinton qui avait qualifié de Deplorables les électeurs de Donald Trump.

Dans un appel téléphonique organisé par le groupe de défense hispanique Voto Latino, Joe Biden avait répondu assez maladroitement au comédien qui avait qualifié Porto Rico d’« île flottante d’ordures » lors du rassemblement au Madison Square Garden. « L’autre jour, un orateur de son rassemblement a qualifié Porto Rico d’île flottante d’ordures. Eh bien, laissez-moi vous dire quelque chose, je ne connais pas, je ne connais pas le Portoricain que je connais, le Porto Rico où je suis fr — dans mon État natal du Delaware. Ce sont des gens bons, décents et honorables », avait-il déclaré, ajoutant : « Les seuls déchets que je vois flotter là-bas, ce sont ses partisans. Sa diabolisation des Latinos est inadmissible et anti-américaine. C’est totalement contraire à tout ce que nous avons fait, à tout ce que nous avons été. Tollé chez les républicains.

Une étude du Pew Research de 2020 a montré que 66 % des Américains étaient épuisés par le stress politique. En 2023, 8 Américains sur 10 ont décrit la politique américaine avec des mots négatifs comme « diviseur », « corrompu », « désordonné » et « polarisé ».

Nos avis et nos opinions sont évidemment forgés par les informations que l’on reçoit de l’extérieur. De ce point de vue, le monde à complètement changé en un peu plus de 30 ans. Du temps où la télévision comportait les trois grands networks – ABC, NBC et CBS – la fairness doctrine[i] (principe d’impartialité) exigeait que les titulaires de licences de radiodiffusion et de télévision présentent les questions controversées d’intérêt général, et le fassent, selon les termes de la commission, d’une façon honnête, équitable et équilibrée. C’est pendant le second mandat de Ronald Reagan que la FCC a supprimé ce principe en 1987. Les technologies depuis ont autorisé la multiplication des canaux d’information : les chaines radios délaissées par la migration vers les canaux FM ont été prises d’assaut par les commentateurs politiques, de plus en plus de droite ou d’extrême droite style Rush Limbaugh, la télévision en continue avec CNN, Fox News, MSNBC, Newmax, One America News Network et les réseaux sociaux. Et plus récemment les podcasts dont certains, ont des audiences largement supérieures aux grands quotidiens. On a reproché à Kamala Harris de ne pas être allé chez Joe Rogan alors que Donald Trump y avait passé trois heures.

Ce foisonnement donnait l’espoir que cette multitude d’informations permettrait au citoyen de se forger une opinion éclairée et instruite en les confrontant toutes. Ce n’est pas du tout ce qui est arrivé. Les canaux d’information sont devenus de plus en plus séparés et polarisés. « On peut avoir l’impression que les commentateurs de Fox News et de MSNBC parlent de l’Amérique depuis deux planètes différentes. Il en va de même lorsqu’il s’agit de différents flux de médias sociaux », explique Arash Javanbakht. Ces derniers s’appuient sur les algorithmes pour fournir à chaque membre un contenu où tout le monde parle et pense de la même manière créant ainsi un cercle vicieux où toute nouvelle information ne fait que conforter la précédente. Paradoxalement, les citoyens ont plus confiance dans les réseaux sociaux qui, au mieux, ne font rien pour vérifier les informations et, au pire, ne font rien pour empêcher la désinformation que dans les médias traditionnels. Le qualificatif de fake news est désormais solidement attaché aux mainstream médias.

« Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » avait déclaré Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1. Il avait à l’époque soulevé une polémique. Aujourd’hui ses propos sont dépassés dans la mesure où les réseaux sociaux n’ont même plus à vendre du temps disponible, ce sont les utilisateurs qui leur confient volontiers leur temps disponible, laissant aux plates-formes le soin de les conforter leur habitude. Les membres fournissent eux-mêmes leurs données, les plates-formes n’ont plus qu’à les collecter pour les revendre ailleurs.

Dans cette évolution vers une société tribale, beaucoup d’Américains en sont venus au point de croire que l’autre moitié des Américains est, au mieux, inintelligente et stupide, et au pire, immorale et mauvaise, poursuit Arash Javanbakht.

De ce côté-ci de l’Atlantique, la valse des gouvernements susciterait une sorte d’hébétement des électeurs. La composition du gouvernement Bayrou suscite des commentaires peu engageants : « bof », « ça ne va rien changer », « sans intérêt ».

Sont-ce les élus ou les électeurs qui créent cette atmosphère négative ?


[i] Le principe d’impartialité (fairness doctrine) était une politique de la Commission fédérale des communications américaine (FCC), introduite en 1949,

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