Dans une interview récente à la chaîne CNN après le meurtre de George Floyd, Susan Rice, ancienne conseillère à la sécurité nationale des États-Unis de Barack Obama, rapportait les conseils qu’elle donnait à ses enfants : Ne pas se faire remarquer par la police car on ne sait pas trop ce qui peut arriver.
Oui, répondra-t-on mais ce sont là des propos d’une radical leftist.
Dans un podcast du magazine conservateur The Bulwark, Michael Steele, ancien président du Comité national républicain (RNC) et premier Noir à accéder à cette fonction, expliquait qu’en cas de problème, il conseillait à ses fils : « don’t call the police ». D’accord mais comment fait-on, lui demandait l’intervieweur Charles Sykes ? « On essaie de se débrouiller, sans la police ». On ne pourra pas qualifier Michael Steele de trublion gauchiste.
Shaquille O’Neal donne les mêmes conseils à ses enfants
Alors, la société américaine a-t-elle un problème avec sa police ? Et la police traite-elle les minorités, tout particulièrement les Noirs, comme des citoyens de seconde zone ? Le cas emblématique de George Floyd a remis à nouveau ces questions au-devant de la scène. Mais la situation est-elle différente ou, comme à chaque tuerie de masse, l’émotion traverse le pays de part en part et puis disparait peu à peu jusqu’au nouvel accident.
Cette fois sera-t-elle différente ? Marquera-t-elle un tournant (tipping point) dans les attributions et les consignes données à la police ? Déjà la réaction massive des Américains que les commentateurs politiques comparent aux événements de 1968, il y a donc plus d’un demi-siècle, montre que l’on est dans une situation exceptionnelle, qui fait d’ailleurs suite à une autre crise, celle du Coronavirus, qui était, elle aussi, exceptionnelle. Il fallait remonter à 1918, la grippe soi-disant espagnole, pour trouver une épidémie comparable. Et puis, il semblerait que l’appréciation des Américains blancs sur ces événements ait changé.
En 2014, lors du meurtre de Michael Brown à Fergusson par un policier blanc, l’Amérique était en émoi mais pas avec la même intensité ni la même diversité. Le 9 août 2014, Michael Brown, jeune résident noir de Ferguson, une petite ville de la banlieue de Saint-Louis, est tué par balles par le policier blanc Darren Wilson. Malheureusement, comme la vidéo n’était pas totalement probante, il a fallu s’en remettre aux témoignages des personnes présentes et de la police. Et il ne surprendra personne qu’ils divergeaient plaçant le jury – neuf Blancs et trois Noirs – dans une position difficile pour énoncer un verdict. Ce qu’il fit trois mois plus tard en acquittant le policier.
Une décision qui déclencha à nouveau des émeutes non seulement dans Ferguson mais aussi dans d’autres villes des Etats-Unis. Cet événement n’est pas arrivé soudainement, sans cause, mais s’est nourri de changements importants dans la composition démographique et dans des pratiques discriminatoires de la police locale. En 1990, la ville était aux trois quarts blanche et un quart noire. Vingt ans plus tard, les Noirs représentaient 67 % de la population et les Blancs plus que 29 %. Autre caractéristique importante, 25 % des habitants de Ferguson sont sous le seuil de pauvreté, plus du double que le niveau national.
Un rapport publié en 2015 par la division des droits civiques du ministère de la Justice (Investigation of the Ferguson Police Department) pointe des pratiques policières de la ville plus orientées sur la politique du chiffre que sur la sécurité des habitants et le maintien de l’ordre. Ces pratiques reflètent et exacerbent les discriminations raciales qui ne sont pas le fruit du hasard mais plutôt le résultat d’intentions qui affectent principalement les Noirs. De nombreux policiers percevaient plus les citoyens, en large majorité noire, comme des causes d’infractions pouvant être des sources de revenus plutôt que comme des administrés devant être protégés. Ils étaient largement enclins à interpréter la liberté d’expression comme de la désobéissance civile, des activités corporelles anodines comme des menaces physiques et des manifestations de maladies mentales ou de handicaps physiques comme des facteurs d’agressivité.
Résultat de ces pratiques déviantes, de trop nombreuses interpellations, sans motifs raisonnables de suspicions, conduisant à des condamnations le plus souvent sous la forme d’amendes mais pouvant aussi se traduire par des peines de prison, parfois les deux. Le rapport cite l’exemple d’une femme noire se voyant infliger en 2007 une amende de 151 dollars pour avoir garé sa voiture dans des zones non autorisées. La femme, qui fait face à des difficultés financières, voit sa peine s’alourdir en ne se présentant pas devant le juge. Entre 2007 et 2014, cette femme est arrêtée à deux reprises, passe six jours sous les barreaux et doit finalement payer 550 dollars pour avoir garé sa voiture au mauvais endroit. Ces pratiques discriminatoires ne concernent pas seulement la police mais sont également remarquées au tribunal local.
Les Noirs ont 68 % moins de chances que d’autres citoyens d’être acquittés ou de recevoir des peines beaucoup plus lourdes pour des affaires comparables. Ces pratiques récurrentes sur plusieurs années ont finalement créé un climat de défiance entre les minorités noires et les autorités locales. Dans un tel climat, il n’est donc pas surprenant que la décision d’acquitter Darren Wilson ait remis le feu aux poudres et mis la ville a feu mais pas à sang puisqu’il n’y a pas eu de morts en plus celle de Michael Brown qui était à l’origine de toute cette histoire.
Peu après cet événement, un sondage réalisé par Monmouth Poll indiquait qu’un tiers des Américains seulement considéraient que la police était plus encline à user de la force en direction des Noirs qu’envers les Blancs. En 2016, malgré la montée en puissance du mouvement Black Live Matters, plus de la moitié des Américains, estimait encore que la police n’avait pas de biais envers les Noirs. Cette semaine, un nouveau sondage réalisé par le même institut révèle qu’ils sont désormais 57 % à penser que la police est plus brutale avec les Noirs. La raison de ce changement de perspective est que les Blancs changent peu à peu leur avis sur la question.
Concernant Ferguson, Barack Obama était intervenu à la suite de cet épisode meurtrier visant à l’apaisement avec d’un côté la reconnaissance que des progrès avaient été accomplis dans les relations interraciales, mais de l’autre qu’il y avait encore des problèmes dont les minorités ne peuvent pas être tenues pour responsables. Une position modérée qui lui sera reprochée des deux côtés, trop modérée et pour les uns et trop radicale pour les autres.
Rice: Everything Pres. Trump Does Is ‘A Political Stunt Designed To Divide’ | The Last Word |
La réaction du président actuel aura été beaucoup plus simple. Après avoir fait le service minimal pour dire qu’il n’avait pas aimé ce qu’il avait vu, il a choisi son camp, sa base habituelle, en en appelant à l’armée (la loi sur l’insurrection de 1807), en faisant référence à une citation qui ramenait l’Amérique 50 ans en arrière : « When the looting starts, the shooting starts ». Phrase prononcée en 1967 par le chef de police de Miami Walter Headley, en réponse à une vague de violences et accusant les looters de profiter de la conquête des droits civiques pour accomplir leurs méfaits. Et dans une intervention pour se féliciter du retour au travail de 2,5 millions personnes, il a prononcé cette phrase pour le moins étrange : « Hopefully, George is looking down right now and saying this is a great thing that’s happening for our country (…) This is a great day for him, it’s a great day for everybody. This is a great day for everybody. This is a great, great day in terms of equality. »
Comprenne qui pourra !