Le mouvement des gilets jaunes n’est-il pas l’équivalent français de l’élection de Donald Trump aux États-Unis ?
Petit retour en arrière. En 2016, les États-Unis ont traduit l’expression de leur colère en élisant Donald Trump, près à tous renverser, en rejettant Hillary Clinton. Son principal viatique était une forte popularité acquise de longue date lui ayant permis d’entrer dans tous les foyers. Sans minimiser le phénomène Trump, il faut rappeler qu’il a été élu grâce un concours d’un système électoral complexe et obsolète et qu’il est minoritaire en voix populaire. Trump est le (triste) symbole d’un phénomène mondial qui entend mettre un coup d’arrêt à la mondialisation et qui concrétise régulièrement, mais sûrement la fracture entre deux groupes : ceux qui bénéficient de la mondialisation et ceux qui en font les frais.
On peut d’ailleurs faire le distinguo entre d’un côté un Trump, un candidat habile qui a su se saisir du ressentiment d’une partie de l’Amérique, mais qui n’en représente pas ce qu’il y a de meilleur, et Trump, l’homme d’affaires, ou plutôt affairiste, prêt à tout pour satisfaire sa soif de profit. En tant que président, il était aussi éloigné de l’idée de service public (public servant) que George H.W. Bush – auquel l’Amérique vient de rendre hommage – n’en était investi. Et un président actuel qui donne une image sombre de l’Amérique : « Make America Dark Again ».
Jusqu’ici, tout ne va pas trop mal pour le président, car l’économie se porte plutôt bien dans une phase de croissance qui remonte à 2011 et dont Donald Trump, s’attribue tout le mérite, sauf qu’elle a commencé avant lui. Avant de descendre au niveau actuel de moins de 4 %, le taux de chômage est passé à 9% puis 8%, 7%,6%, 5%. Il en va de même pour la bourse. L’économie va mieux, mais ce n’est pas pour autant que cette embellie profite également à tous, elle ne fait qu’accentuer les inégalités déjà criantes. Dopée un peu artificiellement par les baisses d’impôts votées en décembre par le Congrès, l’économie pourrait bien se retourner. Quel sera alors le statut de l’homme providentiel qui voulait tout casser, tout renverser et « nettoyer le marigot » (drain the swamp) ?
Les Américains se sont rebellés contre l’establishment en votant Donald Trump, les Français ont voulu faire barrage à Marine Le Pen en élisant Emmanuel Macron. Mais son élection était aussi improbable que celle de son homologue américain. On a déjà un peu oublié, mais deux ans avant les élections, Alain Juppé était déjà président, rien ne pouvant l’empêcher de franchir cette ultime étape vers le pouvoir. Le « meilleur d’entre nous », comme l’avait qualifié Jacques Chirac, n’a recueilli moins de 30 % au premier tour de la primaire. Bon, il y a bien pire, Jean-François Copé qui y pensait depuis des années en se rasant et était à la tête de l’UMP n’a recueilli que 0,30 % des voix, moins que l’inconnu Jean-Frédéric Poisson. Bruno Lemaire, qui avait sillonné la France du Nord au Sud, d’Est en Ouest, a fait à peine mieux. Il est maintenant ministre de l’Économie et des finances.
Au deuxième tour, François Fillon émerge comme le candidat de la droite. A ce moment-là rien ne semble pouvoir l’empêcher d’entrer à l’Élysée. Et patatras, un scud est lancé avec cette affaire d’emploi fictif familial augmentée de celle des costumes offerts gracieusement. Des histoires dont il aurait peut-être pu sortir indemne, mais qui l’ont rendu virtuellement inéligible. Et c’est là où déboule de nulle part Emmanuel Macron avec son mouvement en marche.
De nulle part, est beaucoup trop fort, car son CV le préparait beaucoup plus son arrivée aux affaires que Donald Trump. Énarque, inspecteur des finances, secrétaire général adjoint au cabinet du président François Hollande, ministre de l’Économie et des Finances, Emmanuel Macron s’est donc un peu frotté au pouvoir politique. Alors que les principaux faits d’armes de Donald Trump en politique sont du lobbying auprès de décideurs pour ses projets immobiliers. Sa participation à l’émission The Apprentice a parachevé son image.
Leur engagement peut aussi paraître similaire semblant vouloir dépasser les horizons traditionnels de la droite et de la gauche ou des républicains et des démocrates. La besace d’Emmanuel Macron contient principalement deux gibiers, le « ni droite ni gauche » et le « en même temps ». Celle de Donald Trump, qui a été successivement républicain et démocrate, principalement par intérêt, contient deux slogans, « America First » et « Make America Great Again ». Alors qu’Emmanuel Macron entendait se placer au-dessus de la politique traditionnelle, Donald Trump a choisi son camp parce que c’est celui qui lui a permettait de se faire élire.
Au lieu d’être le candidat d’un centre introuvable, Emmanuel Macron a vite été considéré comme le candidat des riches, des CSP+, des startupers, de la finance. De son côté, Donald Trump a réussi le tour de force à faire croire qu’il est le candidat des cols bleus et tout son discours est en permanence tourné vers sa base alors que sa politique reste tournée vers les entreprises et les classes aisées.
Autre différence majeure, les indicateurs économiques sont plutôt bons aux États-Unis alors qu’ils le sont nettement moins de ce côté-ci de l’Atlantique. Les Français avaient voté Emmanuel Macron, le voyant peut-être comme l’homme providentiel qui allait tout changé et aussi comme un rempart contre le Front national devenu Rassemblement depuis. L’absence de résultats – un chômage bloqué à 10 % et une croissance plus que molle – a conduit des Français, d’horizon assez divers, à enfiler des gilets jaunes. Une idée assez géniale (chacun en possède un) permettant aux invisibles d’être vus. Pour l’instant, Emmanuel Macron leur a répondu qu’ils pouvaient « aller se faire voir ».