Les instituts de sondage se sont trompés. C’est sûr puisqu’ils avaient prévu l’élection d’Hillary Clinton alors que c’est son opposant qui a été élu. Mais se sont-ils trompés autant que ça ? Au niveau national qui ne veut pas dire grand-chose puisque l’élection est indirecte via les grands électeurs mais donne une indication globale, la différence n’est pas si grande et dans la marge d’erreur comme disent les sondeurs. Ils donnaient Hillary Clinton avec une marge assez confortable entre 2 et 3 points. La dynamique dans les derniers jours était en faveur de Donald Trump. L’initiative du directeur du FBI n’y est sans pas étrangère. Mais au final, Hillary Clinton a bien eu une majorité des votes populaires. Selon les dernières informations publiées sur le New York Times, elle aurait 60 966 953 voix soit 47.8% contre 60 328 203 votes soit 47.3%, soit un demi-point d’avance. Ensuite, comme les élections se passent au niveau des Etats, il faut donc faire 50 séries de sondages. Ce qui n’est si simple.
L’effet Bradley
En 1982, Tom Bradley, maire noir de Los Angeles depuis plusieurs années, se présente comme candidat démocrate au poste de gouverneur contre le candidat républicain blanc George Deukmejian. Les sondages effectués les derniers jours avant les élections lui donnaient une avance confortable. Pour les médias, la cause était donc entendue. Et pourtant, Tom Bradley perdit ces élections avec une faible marge. Des études effectuées après l’élection ont montré qu’un nombre moins élevé que prévu de Blancs avaient voté pour Tom Bradley et, à l’inverse, qu’un nombre anormalement élevé d’électeurs indécis avaient voté pour le candidat blanc.
Certaines études ont posé l’hypothèse que ce biais n’était pas lié au fait que les Blancs ne répondaient pas honnêtement aux sondeurs, mais que les Blancs ayant une opinion plutôt négative des Noirs participaient moins aux sondages que les Blancs n’ayant pas de telles opinions.
Le sondeur lui-même peut contribuer à propager ce biais. L’American Association for public Opinion a montré que la race du sondeur n’était pas neutre. A l’occasion des primaires démocrates de 1988, l’institut a montré que les électeurs blancs étaient plus enclins à déclarer soutenir Jesse Jackson si le sondeur était noir.
Les analystes avaient-ils découvert un phénomène politique connu désormais sous l’appellation Effet Bradley ou ce que les spécialistes en sciences sociales appellent la désirabilité sociale ? Le résultat d’une élection n’a pas valeur de loi statistique. Mais d’autres cas analogues sont apparus dans les années 80 : Harold Washington aux élections municipales de Chicago, Jesse Jackson aux primaires du Wisconsin pour les élections présidentielles de 1992, David Dinkins à la Ville de New York.
A Chicago, dans une campagne où la question raciale avait pris une place notoire, Harold Washington avait 14 points d’avance dans trois sondages menés respectivement deux semaines et trois jours avant les élections. Le jour de l’élection, il gagna, mais avec une marge de quatre points seulement.
Même phénomène avec David Dinkins en 1989 contre Rudy Giuliani. Une semaine avant les élections, il avait 18 points d’avance ; quatre jours avant, cette marge était encore de 14 points. Il ne fut élu qu’avec deux petits points d’avance. Plusieurs cas d’élections sont couramment cités pour accréditer cette thèse de « l’effet Bradley ».
Ce biais électoral présumé entre Blancs et Noirs aurait fait reculer Colin Powell dans sa décision de se présenter aux élections présidentielles dans le camp républicain. Outre ce handicap, se présenter contre le populaire Bill Clinton n’aurait pas facilité la tâche du Chef d’Etat-major des Armées de George Bush.
L’effet Bradley en voie de disparition ?
Des élections récentes sembleraient indiquer que l’importance du biais entre sondages et résultats des élections serait en train de se réduire (sachant que l’effet Bradley n’est pas une théorie scientifique). C’est le cas des élections de midterm de 2006. Cinq élections de gouverneurs mettaient en lice un candidat Noir et un candidat Blanc. Certes, quatre Noirs – dont trois étaient Républicains – ont perdu les élections, mais la différence entre les sondages et les résultats étaient relativement faible. Maintenant place au Trump Effect.