Laquelle de ces deux affaires, Robert Mueller, le procureur spécial va-t-il pousser dans l’enquête dont il a désormais la responsabilité depuis qu’il a été nommé par Rob Rosenstein, le ministre adjoint de la Justice (puisque Jeff Sessions s’est mis en retrait) et pour cause car il a lui-même menti en niant l’existence d’entretiens avec l’ambassadeur russe). Peut-être va-t-il pousser les deux.
L’obstruction est sans doute plus simple à montrer et devrait déboucher assez rapidement. Dans le mémo qu’il a écrit après sa réunion avec Donald Trump, il indique que Donald Trump lui a demandé de laisser tomber l’enquête sur Michael Flynn. Pour ce document n’a pas été communiqué mais il devrait l’être assez rapidement. Et sa véracité ne devrait pas poser de problème particulier. Selon ses proches, James Comey a l’habitude depuis longtemps de faire une synthèse écrite de ses entretiens juste après qu’ils aient lieu. Ce qui se fait d’ailleurs régulièrement dans d’autres domaines sous forme de minutes, verbatim, proceedings, PV… Les formes sont nombreuses et variées. Robert Mueller aura une copie de ce document (s’il ne l’a déjà). Il est possible aussi que la conversation ait été enregistrée par la Maison Blanche. Il demandera une copie des bandes. Ça rappelle des souvenirs. Donc ce cas d’obstruction devrait être assez rapidement documenté et prouvé.
Le deuxième point, la collusion, est plus lourd, difficile à prouver et nécessitera beaucoup plus de temps. L’affaire Watergate avait pris 18 mois depuis le début de l’enquête jusqu’à la démission de Richard Nixon. Pour le Russogate ou le Trumpgate, cela nous mène aux élections midterm de novembre 2018 qui seront un désastre pour les républicains s’ils ne font rien et redonneront la main aux démocrates avec, à la clé, le lancement d’une procédure d’impeachment dès la prise de majorité de la Chambre des représentants.
La première moitié du mandat de Donald Trump va donc être polluée par cette grave affaire et sera du temps de perdu ou peut-être de gagné tant les réformes avancées – repeal de l’Obamacare, réforme fiscale déguisée consistant en fait en une baisse substantielle des taux d’imposition pour les plus riches, le mur – et la politique étrangère chaotique et sans doute dangereuse menée à l’impulsivité et à l’émotion plutôt qu’à la raison – on a déjà eu un échantillon avec la Russie, la Chine, la Syrie – ne laissaient pas envisager le meilleur.
Pour l’heure, les premiers mensonges sont en train de tomber. On en refera pas la liste ni la généalogie car ce serait trop long. La dernière information en date est issue d’un article publié par l’agence Reuters qui a établi 18 échanges (par téléphone, mail ou texto) entre les membres de la campagne de Donald Trump et des officiels russes dans les 7 mois qui ont précédé les élections. Pour l’heure, il n’y a rien de répréhensible mais ce qui est troublant c’est que pendant un temps, l’équipe Trump niait tout contact avec les russes. Pour être obligé de proche en proche, à admettre les faits. Et que ces contacts se sont déroulés alors que les Russes essayaient d’influer (torpiller ?) les élections.
Après les élections, les échanges se sont accélérés et ont porté sur les relations économiques entre les deux pays et les sanctions imposées à la Russie, la coopération pour lutter contre Daesh et pour freiner les ardeurs d’une Chine qui devient un peu trop hégémonique.
La conférence de presse tenue conjointement par Donald Trump et Juan Manuel Santos était plutôt surréaliste. Dans les introductions liminaires, les relations américano-colombiennes ont porté principalement sur la lutte contre le drogue. Non que le problème ne soit pas important mais comme si la Colombie était uniquement une grande usine de production de cocaïne et rien d’autre. Ensuite, les questions adressées à Donald Trump ont porté principalement sur le limogeage de James Comey et l’affaire russe. Des questions qui ne concernaient en aucune manière le président colombien. Mais l’affaire est devenue si importante qu’elle occulte tout le reste. Certes, Donald Trump a bien essayé de rappeler que son principal objectif était de travailler pour les Américains, de créer des emplois, de relancer l’économie mais en vain. Et d’ailleurs, il a déjà obtenu des résultats remarquables, affirme-t-il : « We made tremendous, tremendous progress in the last hundred and some days ». Ah bon ? Mais il est désormais submergé par cette affaire qui va désormais supplanter toutes les autres, au moins jusqu’aux prochaines élections de novembre 2018. Que de temps et d’énergie perdus. Répondant à une question d’un journaliste, Donald Trump a eu une réponse étrange dans laquelle il indiquait qu’il n’avait eu aucune relation avec les Russes pendant la campagne mais qu’il ne pouvait parler que pour lui. Et donc dire en creux, je ne peux rien dire pour mes proches, y compris son gendre Jared Kushner. Peut-être eux ont eu des relations.
Certains diront qu’il s’agit d’un complot – de la presse notamment contre les idées défendues par Trump, la mondialisation sauvage, la défense de la classe moyenne américaine, la primauté des intérêts de l’Amérique. Ces idées existent et sont tout à fait défendables (du point de vue des Américains) mais on se rend compte qu’elles n’ont rien à voir avec Donald Trump qui a juste su s’en saisir pour se faire élire.
Sur le plateau de CNN, une commentatrice faisait la remarque suivante : « Avant on admirait, on haïssait ou on craignait les Etats-Unis. Aujourd’hui, nous sont moqués et tournés en ridicule ». Quatre mois après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. On aurait envie de reprendre la remarque faite par Donald Trump lors de son investiture : “Arrêter le carnage”.