Dans le volumineux document de 674 pages du plan de relance qui a été voté par la Chambre des Représentants et qui est examiné cette semaine par le Sénat, se retrouve l’idée du « Buy American ». La crise réveille les vieux démons du protectionnisme auxquels les Etats-Unis ont été souvent ouverts.
D’abord les faits. Dans les investissements qui concernent tous les travaux d’infrastructure, le plan de relance américain (Stimulus plan) précise que les achats d’aciers doivent être passés auprès de fabricants, sauf si le coût de l’acier américain est supérieur de 25% aux produits étrangers. De manière qui ne surprendra personne, cette mesure a reçu le soutien de Leo Gerard, le président du syndicat professionnel United Steelworkers of America.
« [Buy America] concerne nos emplois et place notre économie sur les rails » explique le Senator démocrate de l’Ohio Sherrod Brown. Pour Leo Gerard, « Ceux qui s’opposent au patriotisme économique sont tous du mauvais côté de l’Histoire, […] Nous devons nous assurer que nos lois soient efficacement mises en œuvre pour être sûrs que les taxes payés par nos compatriotes soient utilisées pour remettre les Américains au travail et nous aident à relancer notre économie ». Le contraire aurait été surprenant. Le Syndicat rappelle par exemple que le Homeland Security Departement a acheté de l’acier chinois pour construire des portions du mur décidé par l’administration Bush pour sécuriser la frontière avec le Mexique.
La genèse de ce protectionnisme remonte à la grande Dépression. Un article publié par l’Heritage Fondation (Buy American Hurts America – 30 janvier 2009) nous rappelle qu’Il y a d’abord eu le Smoot-Hawley Tariff Act de 1930 qui a augmenté les taxes sur plus de 20 000 produits importés. Il y a eu ensuite le Buy American Act de 1933 dans le cadre du New Deal. Cette loi stipulait que le gouvernement américain devrait donner la préférence aux produits américains pour tous les marchés publics.
Depuis 1982, les fabricants d’acier américain ont été favorisés dans la construction du système autoroutier et de transport.
Avec le plan de relance en cours d’examen au Congrès, les tentatives du protectionnisme poussent les législateurs à muscler cette politique. La Chambre des Représentants qui a déjà voté ce plan a généralisé le « Buy American » à tous les projets d’infrastructure : écoles, réseau électrique… via l’amendement proposé par le Représentant démocrate Peter Visclosky.
Le Sénat fait de la surenchère
Le Sénat qui travaille actuellement sur l’épais texte veut aller encore plus loin en élargissant la mesure du « Buy American » à tous les matériaux et équipements achetés dans le cadre des projets du plan de relance. Mais cette idée du « Buy American » est loin de faire l’unanimité et cela de manière transverse. Elle peut être aussi bien partagée par les Démocrates que par les Républicains, par les libéraux comme les conservateurs, les grands patrons comme les travailleurs.
Au sein des industriels, le patron de FedEx, Fred Smith, dans une interview à la chaîne ABC a fait part de ses inquiétudes sur les effets d’une telle mesure sur les entreprises américains aujourd’hui devenues globales. C’est là une très grande différence avec 1933 où l’économie américaine était moins ouverte qu’aujourd’hui et pouvaient donc se permettre un temps de se fermer du monde. Mais aujourd’hui, cela est beaucoup plus difficile en raison de l’interpénétration des économies. En gros, la loi du talion peut s’appliquer. Et les pays partenaires des Etats-Unis pourraient prendre des mesures de rétorsion qui pourraient faire mal. On a déjà vu à une échelle moins importante, la mise en place d’une taxe de 300% sur les importations de Roquefort aux Etats-Unis motivée par l’interdiction des importations de viande de boeuf aux hormones.
Les think tanks s’en mêlent aussi et apporte leur concours à cette vision et mettent en avant deux problèmes posés par une telle mesure : d’abord son efficacité économique et ensuite sa conformité aux réglementations internationales sur le commerce, en particulier celle de l’organisation mondiale du commerce.
L’Heritage Fondation indique que cette loi a eu un effet assez spectaculaire puisque les importations ont diminué par deux entre 1929 et 1933. Mais, parallèlement, les exportations ont diminué de manière importante et la taux de chômage est passé de 3,2 % en 1929 à 8,7% en 1930 puis culminer à 24,9% en 1933 au plus fort de la crise de 1929. Si la décision était prise, le Buy American permettrait peut être sauver 3 millions d’emplois des industries manufacturières, mais exposerait les 57 millions autres qui dépendent d’entreprises présentes sur les marchés mondiaux qui ne manqueraient pas d’être atteintes en cas de mesures protectionnistes similaires.
Dans ce contexte, la décision de Barack Obama donnera un signal sur la voie qu’il compte emprunter. Mais il serait naïf de penser qu’il ne défendra pas les intérêts américains. Pour sa première visite à l’étranger, Barack Obama va aller voir son voisin canadien qui vend 40% de son acier aux Etats-Unis. Dans un tel contexte, ce ne devrait pas vraiment être une simple visite de courtoisie.