Les États-Unis ont fondé leur réussite sur le capitalisme, un système économique qui réunit plusieurs éléments clés : propriété privée, concurrence, marché libre, et régulation limitée.
L’arrivée de Donald Trump et d’Elon Musk a la Maison-Blanche pousse un modèle qui n’a plus grand-chose à voir avec un tel système.
– La propriété privée : La fortune d’Elon Musk est de plus de 400 milliards de dollars. Est-il raisonnable de penser qu’il se soit constitué seul cette fortune. Est-ce lui seul qui a conçu les voitures Tesla ou les fusées SpaceX ? Il semblerait plutôt que le système lui a permis d’appliquer la règle du winner takes all.
– Concurrence : quasiment tous les secteurs de l’économie américaine sont dominés par quelques géants aujourd’hui devenus des monopoles qui peuvent donc influer comme ils l’entendent sur tous les paramètres du marché dont les prix des biens et services.
– Concurrence : étant donné la situation décrite ci-dessus, la notion de concurrence laisse place à celle d’entente, de coopération, de concertation.
– Régulation limitée, voire inexistante : Ces monopoles ont acquis un tel pouvoir qu’ils peuvent ainsi agir sur le pouvoir politique et réduire la régulation à la portion congrue. Il s’agit là d’une sorte de mouvement perpétuel contre lequel il faut agir en permanence. Le secteur aérien avait été dérégulé par Jimmy Carter puis Ronald Reagan. Des quasi-monopoles se sont reconstitués depuis. Même chose pour les télécommunications. AT&T a été éclaté en de multiples Baby Bells qui se sont regroupées depuis pour reconstituer quelques grands monopoles.
Le capitalisme américain a évolué vers ce que l’on pourrait appeler un oligocapitalisme où le pouvoir économique est concentré entre quelques mains. L’administration qui se met en place réalise la fusion entre l’économie et le politique pour forger un pouvoir inconnu jusqu’ici. Bienvenue à l’Oligocapipolitisme.
Dans son discours d’adieu, Joe Biden a mis en garde contre ce risque : “President Eisenhower spoke of the dangers of the military-industrial complex. He warned us then about “the potential for the disastrous rise of misplaced power (…) six decades later, I’m equally concerned about the potential rise of a tech-industrial complex that could pose real dangers for our country as well”.
L’alliance entre les démocrates et la Silicon Valley semblait solide et devait durer cent ans. Et tout d’un coup, elle s’est effondrée. Elon Musk soutenait les démocrates il n’y a pas si longtemps. Son revirement vers les républicains serait daté du premier attentat contre Donald Trump. Revirement aussi soudain que massif puisqu’il a investi plus de 250 millions de dollars pour l’élection de son champion. Le retour sur investissement est phénoménal puisqu’il sa fortune a augmenté de plus de 140 milliards de dollars depuis la date des élections. Et que dire de Mark Zuckerberg, devenu soudainement un “tech Bro”. Il a donc décidé de supprimer le système de « fact-checking » pour le remplacer par le système mis en place sur X de publication de commentaires.
Quelle donc a été la révélation du patron de Meta ? En fait, il fait coup double. Il entend être du bon côté du nouveau maître de Washington et tuer dans l’œuf toute velléité d’initiatives judiciaires contre son entreprise ou arrêter celles en cours. Mais l’intérêt financier est aussi très présent. Comme l’explique Scott Galloway, professeur à la NYU Stern School of Business, en supprimant les ressources dédiées au fact-checking, il économise 5 milliards de dollars ce qui augmente mécaniquement le résultat, donc la capitalisation de l’entreprise et donc la fortune de Mark Zuckeberg. Sans oublier les menaces de Donald Trump de le faire jeter en prison.
Association de l’argent et de la tech, telle est la marque de l’administration Trump v2. Jamais l’équipe d’un président des États-Unis n’a regroupé autant de milliardaires. Il est assez difficile de penser que tous ces gens ont pour objectif « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » du plus grand nombre. Et du côté des cheftech, beaucoup seront invités au banquet des élus. Un contraste étonnant avec 2016 où seul Peter Thiel représentait le monde de la tech à la cérémonie d’investiture au risque de passer pour un pestiféré. Le monde du cinéma au sens large ne semble pas être converti à ce jour.
Les conséquences de ce concentré de pouvoir ? “Today, an oligarchy is taking shape in America of extreme wealth, power, and influence that literally threatens our entire democracy, our basic rights and freedoms, and a fair shot for everyone to get ahead”.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle équipée prend les rênes du gouvernement. Dans les années 1870 dit du Gilded Age et des robber barons, les États-Unis ont connu une situation semblable Les Carnegie, Rockefeller et Vanderbilt d’alors sont les Zuckerberg, Musk, Bezos d’aujourd’hui. Mais leurs instruments de domination n’étaient rien par rapport aux outils du numérique et de l’intelligence artificielle qui permettent de contrôler le cerveau des citoyens. Avec leur consentement en plus. Les premiers n’étaient pas des enfants de chœur avec des pratiques en matière de concurrence et de conditions de travail peu plutôt radicales. Mais, comme justification ou comme excuse de leurs actes, ils sont également devenus de grands philanthropes en contribuant à des causes sociales, éducatives ou culturelles. Cela semble bien révolu à quelques exceptions comme Bill Gates ou Warren Buffet.
Dans son essai « The Gospel of wealth », Andrew Carnegie plaidait pour que les riches utilisent leur fortune pour le bien public.
Rien de tout cela chez les seconds. Ces idées semblent avoir disparu.
« We see the consequences all across America. And we’ve seen it before, more than a century ago. But the American people stood up to the robber barons back then and busted the trusts” regrette Joe Biden.
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Techno-authoritarianism is upon us. How to fight back?
Just ahead of the US presidential inauguration, The Citizens brought together Asif Kapadia, director of the feature documentary 2073, with three journalists featured in the film: Nobel Laureate Maria Ressa from the Philippines, Rana Ayyub from India, in a conversation moderated by Carole Cadwalladr from the UK.
As a “warning to America”, we wanted to hear from those who have lived under authoritarianism and reported on its dark reach – and what they have done when the power of Big Tech and the State have sought to undermine, attack and in some cases imprison them.