Avec seulement 47 % d’opinions favorables, Barack Obama poursuite sa lente, mais constance descente dans l’esprit des Américains. Cela au moment même où le 44e président des Etats-Unis reçoit un prix Nobel de la Paix (voir le discours ci-dessous) dont on ne comprend pas trop les raisons.
Barack Obama vérifie donc la dure loi selon laquelle « nul n’est prophète en son pays » car peu de président – sinon aucun – auront changé l’opinion qu’a l’ensemble des pays du monde sur les Etats-Unis.
Ce résultat est le mauvais d’après-guerre : Ronald Reagan était à 49 % et Bill Clinton à 53 %. Mais ce n’est là qu’une mesure éphémère qui peut changer rapidement. Pour preuve, le score de 86 % digne des Pays de l’Est de George W. Bush à la même période de son premier mandat. Mais ce dernier héritait d’une situation très particulière, deux mois après 9/11. Il venait tout juste de déclarer la guerre contre l’axe du ml et bénéficiait d’un soutien massif des Américains, des médias, du Congrès, y compris des démocrates (29 sénateurs d’entre eux dont Hillary Clinton ont voté pour, 21 contre). Emettre une objection à cette initiative était suspect d’antipatriotisme. En décembre 1961, John Kennedy bénéficiait d’un score presque aussi positif alors qu’il n’avait pas fait grand-chose.
Ce chiffre de 47 % amène à se poser plusieurs questions : qu’est-ce qui peut l’expliquer ? Est-ce que ça modifie l’appréciation que l’on peut porter sur le président actuel ? Quelles conséquences à moyen terme, on pourrait dire à mid-term puisque l’on va rentrer bientôt dans la campagne des élections du Sénat de 2010.
Qu’est-ce qui peut l’expliquer ? Tout simplement, Barack Obama est sur tous les fronts en même temps et les problèmes qui se sont posés à lui quand il est arrivé en poste et dont il a hérité sont en cours de traitement, mais aucun n’est résolu :
– Deux guerres en Irak et en Afghanistan ;
– Un conflit israélo-palestinien soudainement réactivé ;
– Une des plus grandes crises financières, économiques et sociales depuis un siècle ;
– Une image de l’Amérique dans le monde au plus bas ;
-Une puissance des Etats-Unis déclinante, en raison notamment de la montée de la Chine ;
– Une menace environnementale qui se précise et qui ne fait plus de doutes dans la communauté scientifique ;
– Un monde instable et à la recherche d’un nouvel équilibre ;
– La prolifération nucléaire dans des pays à risque comme l’Iran ou la Corée du Nord.
Parmi ces différents problèmes, seule l’image des Etats-Unis dans le monde a été en peu de temps largement améliorée sachant qu’elle a peut-être autant à faire avec le départ de George Bush qu’avec l’arrivée de Barack Obama. Mais ce point n’est sans doute pas crucial aux yeux des Américains. Peut-être ne s’en rendent-ils même pas compte eux-mêmes.
Si la réforme de la santé passait – ce qui est probable avant le discours sur l’état de Union du 20 janvier – ce serait alors une grande réussite sur laquelle pourrait s’appuyer l’hôte de la Maison Blanche. A noter la proposition du Congres concernant ce que l’on appelle la « Public option » selon laquelle serait constituée une institution d’assurance publique en compétition avec les sociétés d’assurances privés. Cette proposition qui consisterait à élargir la couverture Medicare aux personnes de plus de 55 ans pourrait résoudre un problème complexe.
Contrairement à ce qu’il aurait souhaité, Barack Obama ne traverse les frontières des partis : 83 % des démocrates le soutiennent, 42 % des indépendants et 14 % des républicains. C’est donc un président « très partisan ». Et d’ailleurs, sur tous les problèmes qu’il a traité, le clivage entre les deux partis est très fort : les démocrates soutiennent les positions de Barack Obama et les républicains s’y opposent. A l’exception d’un : la guerre en Afghanistan soutenue principalement par les républicains. D’ailleurs, à la suite du discours fait à West Point où Barack Obama a décidé d’envoyer 30 000 hommes de troupes supplémentaires, il y a eu remontée dans l’opinion à 52 %, bien éphémère il est vrai.
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(Pour accéder à l’original en anglais)
FRENCH TRANSLATION — PRESIDENT OBAMA’S REMARKS ON ACCEPTANCE OF NOBEL PEACE PRIZE IN OSLO
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La Maison-Blanche
Bureau du secrétaire de presse
Le 10 décembre 2009
Allocution du président Barack Obama à l’occasion de son acceptation du prix Nobel de la paix
L’Hôtel de ville d’Oslo
Oslo (Norvège)
Le président – Vos Majestés, vos Altesses royales, Membres distingués du Comité Nobel de Norvège, citoyens des États-Unis et citoyens du monde :
Je reçois cet honneur avec une profonde gratitude et une grande humilité. C’est un prix qui fait appel à nos plus hautes aspirations : malgré la cruauté et la dureté de notre monde, nous ne sommes pas de simples prisonniers du destin. Nos actes comptent, et nous pouvons infléchir le cours de l’histoire vers davantage de justice.
Et pourtant, j’aurais tort d’ignorer la controverse considérable que votre décision généreuse a soulevée : d’une part, parce que je suis au début, non à la fin, de mes efforts sur la scène mondiale. En comparaison de certains des géants qui ont reçu ce prix – Schweitzer et King ; Marshall et Mandela – mes réalisations sont faibles. D’autre part, il y a les hommes et les femmes de par le monde qui ont subi la prison et essuyé des coups dans leur quête de justice ; il y a ceux qui oeuvrent au sein des organisations humanitaires à apaiser les souffrances, les millions d’inconnus dont les discrets actes de courage et de compassion inspirent jusqu’aux cyniques les plus endurcis. Je ne saurais en vouloir à ceux qui trouvent ces hommes et ces femmes – certains bien connus, d’autres obscurs pour tous, hormis ceux qu’ils aident – bien plus dignes que moi de mériter cet honneur.
Mais l’interrogation la plus profonde peut-être qui entoure mon attribution de ce prix a trait au fait que je suis le commandant en chef d’une nation engagée dans deux guerres. L’une de ces guerres est en voie d’achèvement. L’autre est un conflit que l’Amérique n’a pas cherché et auquel quarante-deux autres pays – dont la Norvège – se sont joints afin de se défendre et de défendre toutes les nations contre de nouvelles attaques.
Néanmoins, nous sommes en guerre, et je suis responsable du déploiement de milliers de jeunes Américains sur un champ de bataille lointain. Certains d’entre eux vont tuer, certains vont être tués. C’est pourquoi je me présente ici avec un sens profond du coût des conflits
armés – rempli d’interrogations difficiles sur les relations entre la guerre et la paix et sur nos efforts visant à passer de l’une à l’autre.
Certes, ces questions n’ont rien de nouveau. La guerre, sous une forme ou sous une autre, est apparue avec le premier homme. À l’aube de l’histoire, sa moralité n’était pas mise en doute ; c’était un simple fait, comme la sécheresse ou la maladie, c’était la façon dont les tribus puis les civilisations recherchaient la puissance et réglaient leurs différends.
Avec le temps, à mesure que des codes de loi ont visé à maîtriser la violence parmi les groupes, de même des philosophes, des religieux et des hommes d’État ont cherché à maîtriser le pouvoir destructif de la guerre. On a vu naître la conception d’une « juste guerre », ce qui laissait à penser que la guerre n’était justifiée que lorsque certaines conditions étaient remplies : si on s’y résolvait en dernier recours, ou en cas de légitime défense ; si la force employée était proportionnelle ; et si, chaque fois que possible, on épargnait les populations civiles.
Il est vrai, comme chacun le sait, que pendant la majeure partie de l’histoire, cette conception de la « juste guerre » a rarement été appliquée. La capacité des êtres humains d’inventer de nouveaux moyens de s’entretuer s’est révélée inépuisable, de même que leur aptitude à exempter de toute merci ceux qui ne leur ressemblaient pas, ou qui priaient un Dieu différent. Les guerres entre armées a cédé la place aux guerres entre nations – des guerres totales où s’est estompée la distinction entre civil et combattant. En l’espace de trente ans, un tel carnage devait engloutir ce continent même. Et s’il est difficile de songer à une cause plus juste que la défaite du Troisième Reich et des puissances de l’Axe, la Deuxième Guerre mondiale fut un conflit dans le lequel le nombre total de civils qui ont péri a dépassé celui des soldats.
Dans le sillage d’une telle destruction et avec l’avènement de l’ère nucléaire, il est apparu clairement aux vainqueurs comme aux vaincus que le monde avait besoin d’institutions afin de prévenir une autre guerre mondiale. C’est ainsi qu’un quart de siècle après que les États-Unis eurent rejeté la Société des Nations – une idée qui avait valu à Woodrow Wilson ce prix Nobel – les États-Unis ont conduit le monde à la construction d’une architecture destinée à maintenir la paix : un plan Marshall et une Organisation des nations unies, des mécanismes gouvernant les règles de la guerre, et des traités pour protéger les droits de l’homme, prévenir le génocide et limiter les armes les plus dangereuses.
À de nombreux égards, ces efforts ont été couronnés de succès. Certes, des guerres terribles ont eu lieu et des atrocités ont été commises. Mais il n’y a pas eu de Troisième Guerre mondiale. La guerre froide s’est terminée lorsque des foules en jubilation ont fait tomber un mur. Le commerce a recousu la plupart des parties du monde. Des milliards d’êtres humains sont sortis de la pauvreté. Les idéaux de la liberté et de l’autodétermination, de l’égalité et de la règle du droit ont progressé tant bien que mal. Nous sommes les héritiers de la force d’âme et de la perspicacité des générations passées et c’est un héritage dont mon propre pays est fier à juste titre.
Pourtant, dans la première décennie d’un siècle nouveau, cette vieille architecture ploie sous le poids de nouvelles menaces. Le monde n’a sans doute plus à redouter la perspective d’une guerre entre deux superpuissances nucléaires, mais la prolifération pourrait aggraver le risque d’une catastrophe. Le terrorisme est une tactique très ancienne, mais les techniques modernes permettent à quelques petits hommes saisis d’une rage démesurée d’assassiner des innocents à une échelle horrifiante.
D’autre part, les guerres entre nations ont de plus en plus cédé la place à des conflits internes. La résurgence de conflits ethniques ou sectaires, la montée de mouvements sécessionnistes, les insurrections, les États défaillants : toutes ces choses enserrent les populations civiles, de plus en plus, dans un chaos sans issue. Dans les guerres d’aujourd’hui, il meurt bien plus de civils que de soldats, et on voit les graines de conflits futurs semées, des économies ruinées, des sociétés civiles en lambeaux, des réfugiés entassés, des enfants balafrés.
Je n’apporte pas aujourd’hui avec moi une solution définitive de ces problèmes de guerre. Ce que je sais, cependant, c’est que la réponse à ces défis exigera la même clairvoyance, le même labeur et la même opiniâtreté que n’en possédaient les hommes et les femmes qui ont agi de façon si audacieuse il y a quelques décennies. Et elle exigera que nous repensions les notions de guerre juste ainsi que les impératifs d’une juste paix.
Nous devons tout d’abord admettre une dure vérité : nous n’allons pas éradiquer les conflits violents de notre vivant. Il y aura des moments où des nations, agissant seules ou de concert, trouveront le recours à la force non seulement nécessaire mais aussi moralement justifié.
Cela, je le dis pleinement conscient de ce que Martin Luther King déclara jadis, dans le cadre de cette même cérémonie : « La violence n’apporte jamais la paix permanente. Elle ne règle aucun problème social : elle ne fait qu’en créer de nouveaux et de plus compliqués. » Moi qui me trouve ici en conséquence directe de l’oeuvre de Martin Luther King, je suis la preuve vivante de la force morale de la non-violence. Je sais qu’il n’y a rien de faible, rien de passif, rien de naïf, dans le credo et dans la vie de Gandhi et de Martin Luther King.
Mais en ma qualité de chef d’État qui a juré de protéger et de défendre son pays, je ne puis me guider d’après leurs seuls exemples. Je suis confronté au monde tel qu’il est et ne puis rester passif face aux menaces qui pèsent sur le peuple américain. Car ne vous leurrez pas : le mal existe dans le monde. Ce n’est pas un mouvement non violent qui aurait pu arrêter les armées d’Hitler. Aucune négociation ne saurait convaincre les chefs d’Al-Qaïda de déposer leurs armes. Dire que la guerre est parfois nécessaire n’est pas un appel au cynisme, c’est la reconnaissance de l’histoire, des imperfections de l’homme et des limites de la raison.
Je soulève ce point, je commence par ce point parce que dans de nombreux pays on éprouve actuellement une profonde ambivalence au sujet de toute action militaire, quelle qu’en soit la cause. Parfois, il s’y greffe une méfiance réflexive à l’égard de l’Amérique, la seule superpuissance militaire du monde.
Mais le monde doit se rappeler que ce ne sont pas que les institutions internationales, les traités et les déclarations, qui lui ont apporté la stabilité après la Deuxième Guerre mondiale. Quelques erreurs que nous ayons commises, la vérité toute simple est celle-ci : les États-Unis d’Amérique ont contribué à garantir la sécurité mondiale pendant plus de soixante ans par le sang de leurs citoyens et par la force de leurs armes. Le service, le sacrifice de nos hommes et femmes qui portent l’uniforme a promu la paix et la prospérité de l’Allemagne à la Corée et a permis à la démocratie de prendre pied dans des endroits tels que les Balkans. Nous avons assumé ce fardeau non pas parce que nous cherchons à imposer notre volonté, mais en raison de notre intérêt éclairé : parce que nous voulons un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants, et que nous pensons que leurs vies seront meilleures si les autres enfants et petits-enfants du monde peuvent vivre dans la liberté et dans la prospérité.
Donc oui, les outils de guerre ont un rôle à jouer pour préserver la paix. Et pourtant cette vérité doit coexister avec une autre : aussi justifiée soit-elle, la guerre promet une tragédie humaine. Par son courage et par son sacrifice, le soldat se couvre de gloire car il exprime son dévouement à sa patrie, à sa cause, à ses camarades de combat. Mais la guerre elle-même n’est jamais glorieuse et nous ne devons jamais la claironner comme telle.
C’est ainsi que notre défi consiste en partie à concilier ces deux vérités apparemment inconciliables, à savoir que la guerre est parfois nécessaire et qu’elle est, à un certain niveau, une expression de la folie humaine.. Concrètement, nous devons centrer nos efforts sur la tâche à laquelle le président Kennedy nous a appelés, il y a longtemps : « Concentrons-nous, dit-il, sur une paix plus pratique, plus réalisable, basée non sur une soudaine révolution de la nature humaine, mais sur une évolution progressive des institutions humaines. »
Une évolution progressive des institutions humaines : quelle forme cette évolution pourrait-elle prendre ? Et quelles pourraient être ces mesures pratiques ?
Tout d’abord, je crois que toutes les nations – qu’elles soient puissantes ou faibles – doivent adhérer aux normes qui s’appliquent à l’usage de la force. Comme tout chef d’État, je me réserve le droit d’agir unilatéralement si cela s’avère nécessaire pour défendre mon pays. Néanmoins, je suis convaincu qu’adhérer à ces normes, à ces normes internationales, renforce ceux qui le font, et isole et affaiblit ceux qui ne le font pas.
Le monde a soutenu les États-Unis au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, et continue d’appuyer nos efforts en Afghanistan, sur la base de l’horreur causée par ces attaques insensées et du principe reconnu d’autodéfense. Le monde avait pareillement reconnu la nécessité d’affronter Saddam Hussein quand il avait envahi le Koweït – un consensus qui a transmis un message clair quant aux conséquences de toute agression.
En outre, les États-Unis ne peuvent pas exiger des autres de respecter un code de conduite que nous refuserions d’appliquer nous-mêmes. Notre action, dans ce cas, semblerait arbitraire et saperait la légitimité de toute intervention future – même quand elle serait des plus justifiées.
Ce principe devient particulièrement important quand l’objectif d’une action militaire va au-delà de l’autodéfense ou de la défense d’une nation contre un agresseur. De plus en plus souvent, nous sommes confrontés à des questions telles que celle de savoir comment prévenir le massacre de civils par leur propre gouvernement, ou comment mettre fin à une guerre civile dont la violence et les souffrances risquent de dévaster une région tout entière.
Je crois que l’usage de la force peut être justifié pour des raisons humanitaires, comme cela l’a été dans les Balkans, ou dans d’autres régions ravagées par la guerre. L’inaction déchire notre conscience et peut conduire plus tard à une intervention militaire plus coûteuse. C’est pourquoi toutes les nations responsables doivent postuler qu’une force militaire dotée d’un mandat clairement établi a un rôle à jouer pour maintenir la paix.
Les États-Unis ne vacilleront jamais dans leur engagement en faveur de la sécurité internationale. Mais dans un monde où les menaces sont plus répandues et les missions plus complexes, l’Amérique ne peut pas agir dans l’isolement. L’Amérique ne peut à elle seule assurer la paix. C’est vrai pour l’Afghanistan ; c’est vrai aussi pour les États déstructurés, telle la Somalie, où le terrorisme et la piraterie sévissent aux côtés de la famine et des souffrances humaines. Et malheureusement, cela restera vrai pour des régions instables du monde pour de nombreuses années à venir.
Les dirigeants et les soldats des États membres de l’OTAN – et des autres pays amis et alliés – prouvent la véracité de ce principe grâce aux capacités et au courage dont ils font montre en Afghanistan. Mais dans de nombreux pays, il y a une certaine fracture entre les efforts de ceux qui servent sous les drapeaux et l’ambivalence du public. Je comprends pourquoi la guerre n’est pas populaire. Mais je sais aussi ceci : le seul fait de souhaiter la paix suffit rarement à la concrétiser. La paix exige d’assumer des responsabilités. La paix requiert des sacrifices. C’est pourquoi l’OTAN continuera d’être indispensable. C’est pourquoi nous devons renforcer les missions de maintien de la paix de l’ONU et d’organismes régionaux, et ne pas laisser cette tâche à quelques pays seulement. C’est pourquoi nous accueillons avec des honneurs ceux qui, après avoir servi dans des missions de maintien de la paix et d’entraînement à l’étranger, rentrent chez eux, à Oslo et à Rome, à Ottawa et à Sydney, à Dhaka et à Kigali : nous les saluons non pas comme des faiseurs de guerre mais comme des artisans de paix.
Permettez-moi de souligner un dernier point au sujet de l’usage de la force. Quand nous prenons les décisions difficiles relatives à l’entrée en guerre, nous devons en même temps réfléchir posément à la façon dont nous la mènerons. Le comité Nobel a reconnu cette vérité en décernant son premier prix de la paix à Henry Dunant – le fondateur de la Croix-Rouge et l’un des grands promoteurs des Conventions de Genève.
Quand la force s’avère nécessaire, nous avons un intérêt moral et stratégique à respecter strictement certaines règles de conduite. Et même lorsque nous sommes face à face avec un adversaire féroce qui ne suit aucune règle, je pense que les États-Unis d’Amérique doivent demeurer le porte-étendard des principes de la guerre. C’est cela qui nous distingue de ceux contre lesquels nous luttons. C’est cela la source de notre force. C’est pourquoi j’ai interdit la
torture. C’est pourquoi j’ai ordonné la fermeture de la prison à Guantanamo Bay. Et c’est pourquoi j’ai réaffirmé la détermination des États-Unis de respecter les Conventions de Genève. Nous perdons notre âme lorsque nous transigeons avec les idéaux pour lesquels nous nous battons. Et nous honorons ces idéaux si nous les respectons non seulement quand il est facile de le faire mais aussi quand ce ne l’est pas.
J’ai parlé des questions que nous devons examiner dans notre esprit et dans notre coeur quand nous choisissons d’aller en guerre. Je voudrais maintenant parler des efforts à déployer afin d’éviter d’avoir à faire ces choix tragiques, et des trois moyens que nous pouvons employer pour bâtir une paix juste et durable.
Premièrement, à l’égard des pays qui enfreignent les règles et les lois, je crois que nous devons mettre au point des alternatives à la violence qui soient assez musclées pour modifier leur comportement – car si notre objectif est une paix durable, la parole de la communauté internationale doit valoir quelque chose. Les gouvernements qui font fi des règles doivent être tenus responsables de leurs actes. Les sanctions doivent infliger un coût réel. L’intransigeance doit être contrée par des pressions croissantes – et celles-ci ne peuvent exister que lorsque le monde entier parle d’une seule voix.
Un exemple urgent d’un tel effort est celui qui vise à prévenir la prolifération des armes nucléaires et à réaliser un monde dépourvu de ces armes. Au milieu du siècle dernier, de nombreux pays sont convenus de respecter un traité dont l’offre était claire : tous auraient accès à l’énergie nucléaire à vocation pacifique ; ceux qui n’avaient pas d’armes nucléaires ne chercheraient pas à s’en doter ; ceux qui en possédaient oeuvreraient en faveur du désarmement. Je suis déterminé à respecter ce traité. C’est l’un des éléments centraux de ma politique étrangère. Et j’oeuvre de concert avec le président Medvedev pour réduire les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie.
Mais il nous incombe aussi à tous de faire en sorte que certains pays, tels l’Iran et la Corée du Nord, ne contournent pas ce système. Ceux qui se disent respectueux du droit international ne peuvent pas détourner leur regard lorsque ce droit est bafoué. Ceux qui se préoccupent de leur sécurité ne peuvent pas négliger le danger d’une course aux armements au Moyen-Orient ou en Asie de l’Est. Ceux qui oeuvrent pour la paix ne peuvent pas rester les bras croisés pendant que d’autres se dotent d’armes pour une guerre nucléaire.
Le même principe s’applique à ceux qui enfreignent le droit international en brutalisant leur propre peuple. Quand un génocide a lieu au Darfour, que des viols systématiques sont perpétrés au Congo et que la répression sévit en Birmanie, il faut que cela ait des conséquences. Oui, nous engagerons la discussion ; oui, il y aura de la diplomatie ; mais il doit y avoir des conséquences lorsque ces moyens échouent. Et plus nous agirons de concert, moins nous aurons à faire le choix entre l’intervention armée et la complicité avec l’oppression.
Ceci me mène à un deuxième point : le genre de paix que nous poursuivons. Car la paix ne consiste pas seulement en l’absence de conflits visibles. Seule une paix juste fondée sur les droits et la dignité inhérents à toute personne peut vraiment perdurer.
C’est cette idée fondamentale qui a inspiré les auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. À la suite de ses dévastations, ils s’étaient rendu compte que si les droits de l’homme n’étaient pas protégés, la paix ne serait qu’une promesse vide.
Et pourtant, ces mots sont trop souvent ignorés. Certains pays excusent leur inaction en faveur des droits de l’homme en prétendant, à tort, qu’il s’agit de principes en quelque sorte occidentaux, inappropriés à la culture locale ou à leur stade de développement. Et aux États-Unis, il y a longtemps eu une tension entre ceux qui se décrivent comme réalistes ou comme idéalistes – une tension révélatrice d’une alternative douloureuse entre la poursuite d’intérêts étroits ou d’une campagne sans fin pour imposer nos valeurs au reste du monde.
Je rejette cette alternative. Je crois que la paix est instable lorsque les citoyens sont privés du droit de s’exprimer librement ou de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent ; du droit de choisir leurs dirigeants ou de se rassembler sans crainte. Les griefs réprimés s’enveniment et l’élimination de l’identité tribale ou religieuse peut conduire à la violence. Nous savons aussi que l’inverse est vrai. C’est seulement quand l’Europe est devenue libre qu’elle a enfin pu vivre en paix. Les États-Unis n’ont jamais mené de guerre contre une démocratie, et nos amis les plus proches sont des gouvernements qui protègent les droits de leurs citoyens. Aussi cyniquement qu’on voudrait les interpréter, ni les intérêts des États-Unis, ni ceux du monde entier, ne seront servis par le déni des aspirations humaines.
Donc, tout en respectant la culture et les traditions des différents pays, l’Amérique sera toujours la voix des aspirations qui sont universelles. Nous témoignerons de la tranquille dignité de réformateurs comme Aung Sang Suu Kyi ; de la bravoure des Zimbabwéens qui sont allés voter malgré les passages à tabac ; des centaines de milliers de personnes qui ont défilé silencieusement dans les rues de l’Iran. Il est révélateur que les dirigeants de ces gouvernements craignent plus les aspirations de leur propre peuple que la puissance d’une autre nation. Et tous les peuples libres ont le devoir de clairement signifier à ces mouvements que l’espoir et l’histoire sont de leur côté.
Permettez-moi de dire ceci : la promotion des droits de l’homme ne peut pas relever de la seule exhortation. Elle doit parfois être associée à une diplomatie méticuleuse. Je sais que la communication avec des régimes répressifs n’offre pas la pureté satisfaisante de l’indignation. Mais je sais aussi que les sanctions sans main tendue – et la condamnation sans discussion- peuvent conduire à un statu quo paralysant. Aucun régime répressif ne peut s’acheminer sur une nouvelle voie si on ne lui ouvre pas une porte. À la lumière des horreurs de la révolution culturelle, la rencontre de Nixon avec Mao semblait inexcusable – et pourtant, elle a assurément contribué à orienter la Chine sur une nouvelle voie, où des millions de ses citoyens ont été sortis de la pauvreté et liés à des sociétés ouvertes. L’engagement du pape Jean-Paul II
auprès de la Pologne a permis non seulement à l’église catholique, mais aussi à des chefs du mouvement ouvrier comme Lech Walesa, de prendre leur place. Les efforts déployés par Ronald Reagan dans le domaine du contrôle des armements et son acceptation de la perestroïka ont permis non seulement d’améliorer les relations avec l’Union soviétique, mais aussi d’encourager les dissidents dans l’ensemble de l’Europe de l’Est. Il n’existe pas de formule magique dans ce domaine. Mais nous devons faire de notre mieux pour trouver un équilibre entre isolement et engagement, entre pressions et incitations, de façon que les droits de l’homme et la dignité progressent au fil du temps.
Troisièmement, une paix juste ne comprend pas seulement des droits civils et politiques ; elle doit englober la sécurité économique et l’ouverture de possibilités. Parce que la paix réelle ne se résume jamais à l’élimination de la peur, mais elle doit aussi mettre à l’abri du besoin.
Il ne fait aucun doute que le développement prend rarement racine sans sécurité ; il est également vrai que la sécurité n’existe pas là où les êtres humains n’ont pas accès à la nourriture, à l’eau potable, aux médicaments ou aux logements dont ils ont besoin pour survivre. Il n’y a pas de sécurité lorsque les enfants ne peuvent pas aspirer à une éducation digne de ce nom ni à un emploi qui leur permettra de soutenir une famille. L’absence d’espoir peut pourrir une société de l’intérieur.
C’est pourquoi aider les agriculteurs à nourrir leurs populations – ou les pays à éduquer leurs enfants et à soigner leurs malades – ne relève pas de la simple charité. C’est également pourquoi le monde doit s’unir pour lutter contre le changement climatique. Il existe peu de doute scientifique sur le fait que si nous ne faisons rien, nous devrons faire face à des sécheresses, à des famines et à des déplacements massifs de populations plus nombreux, ce qui alimentera plus de conflits pendant des décennies. Pour cette raison, ce ne sont pas seulement les scientifiques et les militants écologistes qui réclament des actions rapides et puissantes – ce sont les cadres militaires de mon pays et d’autres, qui comprennent que notre sécurité collective est en jeu.
Des accords entre nations. De fermes institutions. Le soutien aux droits de l’homme. Des investissements dans le développement. Ce sont là les ingrédients essentiels de l’évolution qu’avait évoquée le président Kennedy. Et pourtant, je ne crois pas que nous ayons la volonté, la force, le courage d’achever cette oeuvre sans quelque chose de plus – à savoir l’expansion continue de notre imagination morale ; l’insistance sur le principe qu’il existe quelque chose d’irréductible que nous partageons tous.
Au fur et à mesure que le monde rapetisse, on pourrait penser qu’il est plus facile aux êtres humains de reconnaître à quel point ils sont semblables ; de comprendre que nous voulons tous essentiellement la même chose ; que nous espérons tous avoir la chance de vivre notre vie dans une certaine mesure de bonheur et de réalisation de nos aspirations et de celles de nos familles.
Et pourtant, vu le rythme étourdissant de la mondialisation, le nivellement culturel de la modernité, il n’est sans doute pas surprenant que les gens craignent de perdre ce qu’ils chérissent dans leur identité particulière – leur race, leur tribu, et peut-être encore plus leur religion. Dans certains endroits, cette crainte a conduit au conflit. Parfois, on a l’impression de reculer. Nous le constatons au Moyen-Orient, où le conflit entre Arabes et Juifs semble se durcir. Nous le voyons dans les pays qui sont déchirés par des clivages tribaux.
Mais ce qui est plus dangereux encore, c’est que nous le voyons dans la façon dont la foi est utilisée pour justifier le meurtre d’innocents par ceux qui ont déformé et souillé la grande religion qu’est l’islam, et qui ont attaqué mon pays depuis l’Afghanistan. Ces extrémistes ne sont pas les premiers à tuer au nom de Dieu ; la cruauté des Croisades est amplement documentée. Mais cela nous rappelle qu’une guerre sainte ne peut jamais être une guerre juste. Parce que si vous croyez réellement que vous exécutez la volonté divine, alors il n’y a pas besoin de retenue – pas besoin d’épargner la femme enceinte, ni le médecin, ni même la personne qui professe la même foi que vous. Une vue aussi déformée de la religion est incompatible non seulement avec le concept de la paix, mais aussi avec celui de l’objet même de la foi. Parce que la règle d’or qui est au coeur de chaque grande religion veut que nous traitions les autres comme nous aimerions qu’ils nous traitent.
Respecter cette loi d’amour du prochain a toujours été la principale lutte de la nature humaine. Nous sommes faillibles. Nous faisons des erreurs, nous cédons à la tentation de la fierté, du pouvoir, voire du mal. Parfois, même ceux d’entre nous qui sont armés des meilleures intentions n’arrivent pas à redresser les injustices. Mais nous n’avons pas besoin de penser que la nature humaine est parfaite pour continuer à croire que la condition humaine peut être améliorée. Nous n’avons pas besoin de vivre dans un monde idéalisé pour aspirer à ces idéaux. La non-violence pratiquée par des hommes comme Gandhi et Martin Luther King ne serait sans doute pas adéquate ou possible dans toutes les circonstances, mais l’amour qu’ils ont prêché – leur foi dans le progrès humain – doit toujours être l’étoile polaire qui guide notre propre périple. Parce que si nous perdons cette foi – si nous l’écartons par sottise ou naïveté ; si nous la séparons des décisions que nous devons prendre sur des questions comme la guerre et la paix – alors nous perdrons ce qu’il y a de plus précieux dans l’humanité. Nous perdrons notre sens des possibilités. Nous perdrons notre direction morale.
Comme les générations qui nous ont précédés, nous devons rejeter un tel avenir. Comme Martin Luther King l’a dit en cette occasion il y a tant d’années, « Je refuse d’accepter le désespoir comme réponse ultime aux ambiguïtés de l’histoire. Je refuse d’accepter l’idée que « l’être » de la condition actuelle de l’homme le rend moralement incapable de tendre vers le « devenir » éternel qui l’interpelle toujours. »
Alors, aspirons tous au monde qui devrait être – à cette étincelle de divin qui est toujours présente dans chacune de nos âmes. Quelque part, aujourd’hui, dans ce monde, une jeune militante s’expose à la brutalité de son gouvernement, mais a le courage de continuer. Quelque part aujourd’hui, une mère en proie à une pauvreté cruelle prend le temps d’enseigner à son
enfant, ramasse les quelques sous qu’elle a pour envoyer son enfant à l’école, parce qu’elle est convaincue que dans ce monde cruel, cet enfant trouvera encore de la place pour ses rêves.
Inspirons-nous de ces exemples. Tout en admettant que l’oppression sera toujours parmi nous, nous pouvons continuer de rechercher la justice. Tout en admettant l’irréductibilité de la dépravation, nous pouvons continuer à tendre vers la dignité. Tout en comprenant qu’il y aura toujours des guerres, nous pouvons rechercher la paix. Nous pouvons le faire, parce que c’est l’histoire du progrès humain ; c’est l’espoir du monde entier ; et en ces moments difficiles, nous devons accomplir notre oeuvre ici sur terre.