La mesure ne passera pas mais cela n’empêche pas les républicains de la porter au vote dans les jours qui viennent. L’idée est simple et pas nouvelle, les républicains la répètent depuis Ronald Reagan en 1980 : il faut baisser les impôts, toujours et encore. Cette baisse sera autofinancée car elle dopera l’économie, ce qui mécaniquement conduira à augmenter le montant des impôts collectés. C’est l’antithèse de la courbe de Laffer selon laquelle « trop d’impôt tue l’impôt[1] ». Reagan l’aura adoptée et mis en pratique. La théorie du ruissellement n’en finit pas d’inspirer les républicains depuis. La seule loi majeure de l’administration Trump est Tax Cuts and Jobs Act of 2017, favorisant les hauts revenus et les entreprises et creusant le déficit.
Pour assurer son élection en tant que Speaker de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy aurait donc donné des garanties aux extrémistes du Freedom Caucus dont les voix étaient indispensables. Parmi celles-ci, passer la Fair Tax Act au vote de l’hémicycle. Même si la loi ne devrait certainement pas être votée ni par le Sénat ni par la Chambre des représentants car les républicains sont divisés sur ce projet. C’est un peu la même rengaine que le « repeal and replace de l’ObamaCare » poussé des dizaines de fois par les républicains et Donald Trump sans succès. Tout simplement parce qu’il n’y avait pas de plan de remplacement.
D’abord le vocabulaire. Fair Tax Act pour donner le sentiment que cette loi est juste et qu’elle répartit équitablement l’effort sur tous les Américains, des plus modestes aux plus riches. Ensuite, les promoteurs de cette loi semblent rencontrer des difficultés avec l’arithmétique lorsqu’ils parlent d’un taux de 23 % sur les ventes de tous les produits de consommation. Un petit tour de passe-passe à la fois ridicule et malhonnête qui pourrait être énoncé comme un problème de CM2 : Sachant que le tube de dentifrice coûte 3,95 dollars et qu’une taxe de 30 % sur la vente est appliquée, quel sera le montant de la taxe payée par le consommateur ? La réponse est 1,18 dollar. Pour un prix final de 5,13 dollars. Et c’est là où le grossier tour de passe-passe fait dire aux rédacteurs de la loi que le taux d’imposition est de 1,18 / 5,13 = 23 % alors que tout le monde sait qu’un taux ne se calcule pas ainsi. Tout ça pour minimiser le taux d’imposition : 23 et non 30 %.
Un tour de passe-passe comparable au message comparable au message véhiculé par Rick Scott – entre autres – selon lequel les démocrates diminuait le budget du programme Medicare alors que la loi votée permettait au gouvernement fédéral de négocier le prix de certains médicaments (notamment l’insuline) et donc permettait de faire des économies.
Les républicains n’arrêtent pas de vociférer contre les bureaucrates de Washington et le gouvernement fédéral qui veulent réduire à peau de chagrin. Le gouvernement n’est-il pas la source des problèmes ?
« Keep Your Paycheck
For the first time in recent history, American workers will get to keep every dime they earn; including what would have been paid in federal income taxes and payroll taxes. You will get an instant raise in your pay! » C’est ce qu’écrit l’Americans For Fair Taxation (AFFT), une des organisations qui défend ardemment le projet. Ce qui permettra au passage la suppression de l’ L’Internal Revenue Service, l’agence du gouvernement fédéral des États-Unis qui collecte l’impôt sur le revenu et des taxes diverses – sur l’emploi, impôt sur les sociétés et successions. Une obsession des républicains qui ont sursauté quand dans le récent projet de loi IRA était prévu une augmentation du nombre de fonctionnaires (87 000 sur dix ans) pour assurer un contrôle plus efficace des hauts revenus. Ce qu’ils ont transformé en une volonté du gouvernement de vouloir embêter l’Américain moyen.
Parmi les incohérences, ce projet comprend une disposition selon laquelle la nouvelle taxe expirerait dans sept ans si le seizième amendement, qui autorise l’impôt fédéral sur le revenu, n’est pas abrogé. On remarque que cela créerait la situation bizarre que les recettes fiscales fédérales tombent à zéro après sept ans, si les impôts sur le revenu ne sont pas collectés mais que le seizième amendement reste en vigueur[2].
Dernière difficulté balayée d’un revers de main par les apologistes de l’Etat moignon, que faire des dépenses faites par les Américains pauvres
Si une taxe fédérale sur la consommation devait correspondre aux recettes fiscales actuelles du gouvernement, le taux réel devrait être plus élevé. Pour y remédier la solution proposée est simple : le « remboursement » via un chèque mensuel envoyé par la poste aux contribuables. Les organisateurs de Fair Tax le formulent ainsi : « Cela donne à chaque ménage résident légal un remboursement anticipé au début de chaque mois afin que les achats effectués jusqu’au seuil de pauvreté soient exonérés d’impôt. Le rabais évite un fardeau injuste pour les familles à faible revenu ».
Qui va s’occuper d’envoyer les dizaines de millions de chèques chaque mois ? Les bureaucrates de l’Etat fédéral bien sûr.
[1] Dans l’article « Taxes, Revenues, and the Laffer Curve » paru dans la revue The Public Interest, en 1978, il raconte que lors d’un dîner organisé en 1974 dans le restaurant Two Continents de Washington, avec la participation de Donald Rumsfeld et Dick Cheney, Arthur Laffer, de l’Université de Chicago, dessina une courbe illustrant l’arbitrage entre le taux d’imposition et les recettes fiscales. La courbe de Laffer qui schématise de manière savante le vieil adage « trop d’impôt tue l’impôt » ou « le taux mange l’assiette » était née. Elle exprime le fait que lorsque le taux d’imposition est nul, les recettes fiscales sont nulles elles aussi. Au fur et à mesure que les taux augmentent, les recettes s’accroissent mais au-delà d’un certain seuil (taux maximal efficient), si le taux croît encore, les recettes baissent. Avec la confiscation totale des revenus (taux à 100 %) la recette est également nulle car la base taxable a été détruite.
La courbe de Laffer
Habile storytelling ou vérité scientifique ?
André Barilari
[2] Le XVIe amendement de la Constitution des États-Unis permet au Congrès de lever un impôt sur le revenu sans le répartir entre les États ni se baser sur les résultats du recensement. Il est ratifié le 3 février 1913 : « Le Congrès aura le pouvoir d’établir et de percevoir des impôts sur les revenus, de quelque source dérivée, sans répartition parmi les divers États, et indépendamment d’aucun recensement ou énumération. »
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