C’est donc un match à deux qui va s’instaurer désormais dans les primaires démocrates : Joe Biden, qui est le super Mario de ce super Tuesday alors qu’il était très mal en point au début de ce processus, et Bernie Sanders dont le résultat n’est certainement pas à la hauteur de ses attentes. On est donc en train de voir le match entre le représentant de l’aile gauche du parti démocrate et le centriste. Un match qui n’est pas sans rappeler celui entre Hillary Clinton et le même Bernie Sanders de 2016 qui s’est prolongé jusque très tard dans les primaires et dont la nécessaire phase de « réconciliation » ne s’était pas bien passée. À juste titre, car le parti démocrate avait pesé de tout son poids pour orienter le choix.
On se souvient de la présence minimale de Bernie Sanders lors de la convention démocrate qui avait intronisé Hillary Clinton. Ici, la personnalité de Joe Biden, moins détestable, pourrait faire la différence. D’ailleurs, dans cet affrontement, le profil des deux candidats est très semblable, un âge avancé et une très longue expérience politique. À gauche, Bernie Sanders, 78 ans, maire de Burlington, la ville la plus importante du Vermont, de 1981 à 1989, membre de la chambre des représentants de 1991 à 2007 et sénateur depuis. À droite, Joe Biden, 77 ans, sénateur des États-Unis de 1973 à 2007 et vice-président de Barack Obama, de 2009 à 2017. Le premier de confession juive, le second catholique. La grande différence : le premier veut changer les choses, le second veut revenir au statu quo ante.
Et pour finir, la seule question qui compte : le candidat qui émergera de ces primaires démocrates sera-t-il en capacité de battre Donald Trump ? Dans l’état actuel des choses, rien n’est moins sûr. Le Coronavirus, contre lequel la réponse de Donald Trump a été à l’image de ses comportements précédents, aura peut-être plus d’efficacité. D’autant que face à cette menace mondiale, les slogans de campagne et de sa présidence America First et Make America Great Again, portés par une approche nationaliste, protectionniste et xénophobe ne constituent pas à l’évidence la réponse adaptée.
Malgré ses milliards de dollars qui lui ont permis de mettre en place une organisation digne d’une multinationale et d’inonder les médias télévisuels de messages politiques, Michael Bloomberg n’a pas réussi à acheter la nomination démocrate. Dans de nombreux états, il n’a même pas franchi la barre des 15 % nécessaire pour récolter quelques délégués. Quant à Elizabeth Warren, elle doit essuyer l’affront de ne se classer que troisième dans son propre état, le Massachusetts.
Tous deux devraient jeter l’éponge (Michael Bloomberg l’a annoncé depuis et soutient Joe Biden, on attend le détestable tweet de Donald Trump) et annoncer très prochainement leur retrait. La question majeure est quel candidat vont-ils endosser ? Il est fort possible que le premier aille vers Joe Biden et la seconde vers Bernie Sanders. Michael Bloomberg avait indiqué qu’il dépenserait un milliard de dollars pour lui ou le candidat démocrate le mieux placé. Il a dépensé 500 millions de dollars, il en reste donc 500 millions. Va-t-il les mobiliser pour le candidat qui aura son soutien ? Et ce dernier acceptera-t-il de bénéficier de cet apport dont l’efficacité n’a pas été prouvée.
“I’ve known Joe for a very long time. I know his decency, his honesty, and his commitment to the issues that are so important to our country – including gun safety, health care, climate change, and good jobs.”
Michael Bloomberg, 4 mars 2020
Dans une tribune publiée dans le New York Times avant le Super Tuesday, Thomas Friedman fait remarquer qu’à défaut d’avoir un candidat « awesome » (super comme dirait les jeunes), il faut une awesome coalition. Ce qui signifie un parti aussi unifié que possible. Si l’on rejoue 2016, on n’en prend pas le chemin.
Il propose ensuite que Nancy Pelosi, Chuck Schumer, Barack Obama et Bill Clinton invite Joe Biden, Mike Bloomberg, et Elizabeth Warren au Capitole afin qu’ils s’accordent sur un candidat pour représenter ce qu’il appelle la majorité du parti démocrate, the moderate center-left. Un nouveau Tout Sauf Bernie, une redite de 2016. C’est ce qu’il appelle « my fantasy ». Mais il faudrait faire la différence entre le parti démocrate et les électeurs démocrates. Il n’est pas sûr que le premier représente les aspirations des seconds. Voilà trente ans que le parti démocrate veut la jouer au centre et on voit les résultats. Le dernier avatar de cette vision à courte vue est l’installation à la Maison-Blanche de Donald Trump. S’ils continuent, l’Amérique devra subir encore le même démagogue en chef pour quatre ans supplémentaires. Avec en prime, un Sénat et une Chambre des représentants godillots et à la botte de leur caudillo d’opérette et dans la foulée de nouveaux juges « convenables » à la Cour Suprême. Le tout pour la plus grande satisfaction de Wall Street et des 1 % qui vont continuer à s’enrichir tranquillement.
Dans sa grande perspicacité, Thomas Friedman milite pour que ce représentant du Tout Sauf Bernie soit Michael Bloomberg. On voit ainsi les limites de ces espérances laminées avec le Super Tuesday en vœux pieux irréalistes. Pour réaliser les conditions d’une unification réussie du parti démocrate en vue d’affronter Donald Trump avec les meilleures chances de réussite, il faut donc que Bernie Sanders perde « fair and square ». Le parti démocrate va peut-être s’activer pour qu’il perde square sans trop regarder si c’est fair.