« A rising tide lifts all boats », couramment attribué à John Kennedy, est l’équivalent de la formule moins littéraire et imagé gagnant-gagnant. A quelques décennies de distance, la politique étrangère annoncé et mis en œuvre par Joe Biden en est une illustration mettant en avant la coopération entre les pays, le multilatéralisme, la démocratie et les droits de l’homme. Sur le papier, elle est diamétralement opposée à America First, sa doctrine affichée sans retenue par Donald Trump pendant sa campagne et durant tout son mandat.
Et pourtant, il y a plus de continuité que de changement entre la politique étrangère de Donald Trump et celle de Joe Biden. C’est en tous cas, ce que considère Richard Haass, président du Council on Foreign Relations, dans l’article The Age of America First, Washington’s Flawed New Foreign Policy Consensus publié dans la revue Foreign Affairs.
Donald Trump était supposé être un moment d’égarement, voire d’absurdité des Etats-Unis. Le 45e président des Etats-Unis a multiplié les déclarations décapantes marquant une rupture avec dans les interactions entre les Etats-Unis et le reste du monde depuis la Seconde guerre mondiale. Il n’a fait que critiquer les alliances traditionnelles, notamment avec les pays européens, et les institutions multilatérales. Il a retiré les Etats-Unis de nombreux accords internationaux à commencé par l’Accord de Paris sur le climat, l’accord JCPOA sur le nucléaire iranien, l’accord Trans-Pacific Partnership et bien d’autres encore.
Avec un discours beaucoup plus mesuré et nuancé, Joe Biden allait mener une politique totalement différente. Il promouvait les valeurs traditionnelles des Etats-Unis auprès des alliés européens et asiatiques, célébrait le multilatéralisme et l’état de droit et opposait clairement les démocraties aux autocraties, là où Donald Trump avait un sérieux penchant à louer les Xi, Poutine, Dutertre, Modi et autres autocrates du monde.
Mais pour Richard Haass, la réalité est toute différente et montre une continuité beaucoup plus forte dans la politique étrangère des deux présidents. La Chine est sans doute le principal facteur de cette continuité et la politique de Joe Biden vis-à-vis de l’Empire du Milieu ne présente pas de changement majeur (Beijing’s American Hustle
How Chinese Grand Strategy Exploits U.S. Power By Matt Pottinger, September/October 2021 – Foreign Affairs). Qu’il s’agisse de Taiwan, de la politique commerciale, des droits de l’homme, les différences sont peu visibles. D’ailleurs, cela fait un moment que démocrates et républicains, qui ne sont pratiquement d’accord sur rien et ne partagent plus aucune valeur, partagent l’idée que la Chine est devenue une menace pour l’équilibre du monde et un concurrent déloyal des Etats-Unis. Donald Trump avait levé les restrictions concernant les relations entre les responsables politiques des deux pays (appellation que Xi refuse à Taiwan), Joe Biden les a poursuivi voire élargies. Joe Biden a renforcé les alliances avec l’Australie, la Japon et la Corée du Sud et les membres du G7 pour mieux contenir la Chine. Il a maintenu les droits de douanes imposés et le contrôle des exportations de produits technologiques décidé par Donald Trump et lancé une enquête sur les subventions du gouvernement chinois aux entreprises industrielles. Sans accréditer officiellement la thèse de la fuite du virus SARS-CoV-2 d’un laboratoire de Wuhan, il a maintenu l’enquête pour connaître l’origine de l’épidémie. Comme son prédécesseur, il a critiqué la répression des Ouïghours dans la province de Xinjiang qu’il a qualifié de génocide et dénoncé la violation de la doctrine « un pays, deux systèmes » concernant Hong Kong. Sans parler de l’accord tripartite AUKUS avec l’Australie et le Royaume-Uni dont la France a fait les frais et qui a jeté un froid entre les deux pays.
Il en va un peu de même avec la Russie où malgré un discours pro-Poutine (on a en tête la conférence de presse commune d’Helsinki avec le chef d’état russe), les Etats-Unis avaient, selon Richard Haas, conduit une politique relativement dure avec de nouvelles sanctions, la fermeture de consulats russes aux Etats-Unis et un soutien militaire accru avec l’Ukraine. Autant de mesures maintenues par Joe Biden. On ne peut que le constater dans le discours musclé entre les deux chefs d’états où Joe Biden met en garde le président russe. Au-delà de cette crise, l’idée de « reset » avec la Russie n’est plus du tout d’actualité.
Autre point de continuité, la politique américaine dans ce que l’auteur appelle le « grand Moyen-Orient ». Joe Biden a exécuté l’accord avec les Talibans qualifié « d’accord de retrait des troupes américaines » plus que d’accord de paix. La seule différence étant le report du retrait des troupes de quelques mois, du 1er mai prévu initialement par l’administration Trump, au 11 septembre, date du 20e anniversaire de l’attaque des Tours jumelles. Tout comme Trump, Joe Biden se désengage assez clairement du Moyen-Orient (en Syrie, en Libye ou au Yémen) maintenant seulement une faible présence en Irak, embrasse les accords d’Abraham tout en poursuivant a minima les efforts diplomatiques pour mettre un terme au conflit entre Israël et le Hamas et trouver un accord de paix israélo-palestinien.
Bref, au-delà des apparences, la continuité caractérise plus la politique étrangère de Joe Biden que la rupture avec ses prédécesseurs, ce que déplore Richard Haass. L’auteur appelle de ses vœux un nouvel internationalisme. Indépendamment de la diminution de son influence sur la scène internationale et l’augmentation des divisions sur le plan intérieur, les Etats-Unis sont confrontés à des menaces connues depuis plusieurs décennies et de nouveaux défis liés à la mondialisation et à la globalisation des échanges. Un président américain se doit aujourd’hui de régler les problèmes intérieurs sans pour autant négliger les questions internationales. « Le désarroi et la confusion au niveau mondial rendra les initiatives “Build Back Better”[1] » plus difficiles ; Les Etats-Unis ne peuvent réussir seuls. Ils doivent travailler avec les autres nations, de manière formelle ou informelle, définir des normes et standards internationaux et engager des actions collectives » conclut Richard Haass.
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[1] The Build Back Better Plan or Build Back Better agenda is a legislation plan proposed by U.S. President Joe Biden ahead of his inauguration. It includes funding for COVID-19 relief, social services, welfare, and infrastructure, in addition to funds allocated towards reducing the effects of climate change (Source : Wikipedia).