« America is back » and « democracy is at risk », tels étaient les deux messages délivrés par Joe Biden lors de sa participation au dernier G7. Deux messages qui n’étaient pas encore soutenus par une politique particulière ou des décisions spécifiques en matière de politique internationale.
Avec Donald Trump et son « America First », on savait à quoi s’en tenir. Il n’aimait pas grand monde, à part lui-même, ses supporters, les dictateurs et les autocrates de tout poil dont il semblait même envier la position. D’ailleurs, au moment crucial de rendre les clés de la Maison-Blanche, il a bien essayé de trafiquer les serrures pour empêcher son successeur de s’y installer.
Avec Joe Biden et son très francophile Anthony Blinken[1], les États-Unis allaient revenir dans les alliances traditionnelles et dans un jeu multipolaire. C’est du moins ce que les européens continentaux pensaient, l’Allemagne et la France en tête. Mais n’était-ce pas là une position à courte vue car la politique étrangère américaine ne change pas de trajectoire aussi rapidement ?
Pour preuve, voilà l’affaire des sous-marins australiens dans le cadre de l’allliance militiare AUKUS (Australie, United Kingdom et United States) qui fait suite à la décision unilatérale des Etats-Unis de rapatrier les troupes américaines d’Afghanistan sans tenir compte des contraintes des troupes alliés de l’OTAN.
Dans cette affaire de l’AUKUS, il y a les dimensions commerciale et politique. Sur le premier point, les Australiens s’étaient engagés à commander en 2016 douze sous-marins construit par Naval Group, ex-DCNS, à propulsion diesel-électrique. Ils avaient préféré une entreprise française à son concurrent allemand. La semaine dernière, le Premier ministre a brutalement changé de stratégie en optant pour des sous-marins américains à propulsion nucléaire. Les États-Unis n’avaient partagé leur technologie qu’avec les Anglais. De leur côté, les Australiens n’avaient pas retenu la technologie nucléaire notamment parce que leur voisin néo-zélandais n’autorise aucun bâtiment nucléaire à croiser dans leurs eaux territoriales. Il convient de bien de faire la différence la propulsion et la charge qu’est capable de porter un sous-marin. Les sous-marins américains ne porteront pas d’ogives nucléaires. Les sous-marins à propulsion nucléaire offrent un net avantage sur ceux à propulsion conventionnelle. Les premiers peuvent restent beaucoup plus longtemps sans remonter à la surface (mois contre semaines). Leur seule limite est le ravitaillement alimentaire.
Dans ce revers, les ministres français n’ont pas utilisé le langage policé habituel. « Mensonge, duplicité et mépris » n’a pas hésité à déclarer Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères. Qualificatifs auxquels l’Australie en oppose d’autres : “Franche, ouverte et honnête”. Dans cette affaire embarrassante mais stratégique, Emmanuel Macron est resté absent alors qu’il n’est pas avare de ses interventions sur des sujets beaucoup plus légers. Le Premier ministre, qui n’a pas jugé bon prévenir ses homologues français a indiqué pour sa part qu’il avait des doutes sur la technologie française. Sur cette dimension commerciale s’ouvre un nouveau chapitre : celui des dédommagements que va devoir payer l’Australie à la France pour rupture de contrat.
Cette annonce a été faite à l’occasion d’un alliance militaire et technologique (qui inclut des technologies de cyber-securité, d’intelligence artificielle et d’informatique quantique) stratégique baptisée AUKUS (Australie-United Kingdom-Unites States) dans la zone info-pacifique. L’alliance vise à « renforcer et soutenir » les intérêts des trois alliés en matière de défense et de sécurité, explique un communiqué commun.
Cela passera notamment par un « partage accru de l’information et des technologies » et une « intégration plus poussée de la science, de l’industrie et des chaînes d’approvisionnement ». Elle la première matérialisation majeure de la stratégie du Pivot vers l’Asie annoncé il y a une dizaine d’années par Barack Obama. A aucun moment, elle ne mentionne explicitement la Chine alors qu’elle est la raison principale de ce partenariat qui marque un revirement de l’Australie par rapport à son grand voisin. Il y a seulement trois ans, le Premier ministre australien Scott Morrison avait encore un discours de neutralité entre la Chine et les États-Unis. En 2015, Canberra avait concédé la gestion du port de Darwin au Chinois Landbridge. Le ministre de la Défense australien a récemment indiqué qu’il souhaitait révoquer le bail.
Face à la Chine, l’administration Biden a le même objectif mais semble utiliser des moyens différents. Donald Trump était entré dans une guerre commerciale ouverte avec la mise en place de droits de douane et l’interdiction d’exporter certaines technologies, mais côté alliances, rien. Maintien a minima de l’OTAN et de la coopération avec l’Europe ou des pays qui la compose. America first transformé en America alone.
Joe Biden renoue avec le jeu des alliances mais il en choisi les membres et la France ne semble pas en faire partie. Pourtant, elle a dans ce dossier quelques atouts à faire valoir. D’abord une maîtrise technologique qui n’a rien à envier à celle du Royaume-Uni. L’industriel Naval Group doit construire Cinq sous-marins Barracuda d’ici 2030, concevoir quatre futurs sous-marins lanceurs d’engins et le futur porte-avions nucléaire français. Et son carnet de commandes est bien rempli : six sous-marins conventionnels, quatre pour le Brésil et sans doute à venir des contrats avec les Pays-Bas et l’Inde.
Mais l’Europe ne fait pas n’ont plus partie de ce nouveau jeu d’alliances pour contre-carrer la montée de l’Empire du milieu. Du point des États-Unis, l’Europe n’avait pas choisi ouvertement son camp dans la rivalité croissante entre l’Amérique et la Chine. N’avait-elle pas signé un accord commercial juste avant la participation de Joe Biden au G7 ? Les Etats-Unis ne semblent pas vouloir de troisième voie ou de neutralité : c’est eux ou c’est nous.
L’autre atout majeur est la forte présence de la France dans la zone info-pacifique lié à ses différents territoires : Nouvelle Calédonie, Polynésie, Wallis et Futuna, Réunion sans parler des Iles Kerguelen et les Iles Amsterdam et Saint-Paul. Une présence que l’ex-empire britannique sur lequel le soleil ne couchait jamais est loin de pouvoir rivaliser sur ce terrain.
Mais le parapluie américain a clairement pesé plus lourd que l’ombrelle française. Quant à une Défense ou à une Diplomatie européenne, on a encore le temps d’en parler.
Et les Britanniques, tout frais sortis du Brexit, ils restent plus proches des Américains que des Européens. Mais là, quoi de nouveau ?
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[1] Antony Blinken est le fils de Donald Blinken, ambassadeur des États-Unis en Hongrie. Né à New York, il y vit jusqu’en 1971, puis suit sa mère Judith à Paris lorsque celle-ci part rejoindre son nouveau mari, l’avocat Samuel Pisar, survivant de la Shoah. Il reste en France jusqu’à la fin de ses études secondaires à l’EABJM2, ce qui explique sa maîtrise du français sans aucun accent. Il retourne ensuite aux États-Unis, où il étudie à l’université Harvard et à la faculté de droit de l’université Columbia.