La chape de plomb talibane est retombée sur l’Afghanistan. Quatre administrations américaines ont donc conduit, l’une après l’autre, cette opération militaire que l’on qualifier de désastreuse. Et c’est d’abord au peuple afghan, qui avait espéré échapper aux griffes de ces terroristes pour mener une vie où leur serait garantie « life, liberty and the pursuit of happiness » que l’on doit penser. A la place, ils ont devant eux, le néant, la servitude et la certitude de la désolation.
George W. Bush a initié une guerre en Afghanistan, synonyme de guerre contre le terrorisme. Après le 11 septembre 2001, il fallait anéantir les Talibans et Al Qaeda, les terroristes responsables de la mort de quelque 3000 Américains qui avaient pour seul malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Aussi, assurer que l’Afghanistan ne soit pas un nouveau terreau de terrorisme pouvant être exporter dans le monde entier. En complément, il fallait reprendre le contrôle du pays et réduire le pouvoir le plus possible l’influence des Talibans. George W. Bush, président guerrier poussé par les néoconservateurs souhaitant exporter la démocratie dans les pays où elle était absente, – le fameux « nation-building – a alors ouvert un deuxième front en Irak, permettant aux Talibans de se refaire une santé et de reprendre peu à peu du terrain face à un gouvernement afghan impuissant et corrompu. En 2005, les Talibans s’étaient tellement réorganisés et renforcés que l’administration Bush a commencé à douter de sa capacité à mener à bien sa mission. Cette mission n’était plus vraiment définie et les buts de guerre n’étaient plus vraiment compris.
Barack Obama était le premier président à hériter de ce délicat dossier, passé un moment au deuxième plan rapport à une crise financière puis économique qui avait fait trembler la planète entière. Et Barack Obama souhaitait s’atteler au projet d’assurance santé qui a consumé une bonne partie de son énergie, notamment face à une opposition systématique et sans fin des républicains. Mais l’affaire afghane s’est rappelée à son bon souvenir. Il a donc conçu l’opération « surge » portant le total des troupes sur place à 100 000 soldats américains auxquels il faut ajouter 40 000 soldats sous les couleurs de l’OTAN. Une sorte d’opération de dernière chance pour « finir le travail ». En 2011, Obama Ben Laden a été supprimé de la Terre dans un raid risqué mais réussi. Une réussite cachant en fait un échec en ce qui concerne les objectifs initiaux. Un mois après, Barack Obama annonçait le retrait des troupes. Les Etats-Unis ne combattraient plus directement mais interviendraient en support des troupes afghanes. Une initiative qui n’est pas sans rappeler celle de Richard Nixon au Vietnam sous l’appellation de Vietnamisation consistant à transférer la responsabilité directe à l’armée vietnamienne. De la même manière en Afghanistan, les Etats-Unis apporteraient dont le soutien logistique, formeraient les soldats et leur apporteraient les équipements nécessaires à cette lutte. Les Américains se sont attelés à former quelque 350 000 soldats et policiers, initiative pour laquelle elle a consacré quelque 85 milliards de dollars. Le nation-building s’est transformé en un simple « army and policy building ». Avec le succès que l’on sait aujourd’hui. Le Washington Post a publié plusieurs articles expliquant les raisons de cette faillite (Afghan security forces’ wholesale collapse was years in the making ; Afghanistan’s military collapse: Illicit deals and mass desertions). Avec des témoignages de militaires américains détaillant la quasi-impossibilité de leur mission. Quant à l’équipement, il est désormais passé aux mains des Talibans.
Alors qu’il avait pour habitude, voire obligation, de décider et de faire le contraire de son prédécesseur, Donald Trump a poursuivi la voie du désengagement. Pour annoncer qu’il rapatrierait les soldats américains sur le sol américain comme une déclinaison de son slogan « America First ». Et à réduire les forces présentes sur place, passées de 15 000 à 2 500 du début à la fin de son mandat.
A partir de 2018, les Talibans s’étaient clairement renforcés grâce à des sponsors étrangers, des revenus provenant de la culture du pavot et un système de taxation parallèle dans l’ombre du gouvernement afghan.
C’est alors qu’il a engagé des négociations uniquement avec les Talibans mettant hors-jeu le président Ghani et le gouvernement afghan. Pour aboutir à un accord en février 2020 formalisant le départ des Américains au 1er mai 2021, soi-disant sous conditions. Mais on ne sait que trop que les conditions imposées aux Talibans n’obligent que ceux qui les formulent.
Lorsqu’il était vice-président pendant le mandat de Barack Obama, Joe Biden était contre cette opération de « surge ». Il n’a donc pas changé d’opinion et a pris la décision en conséquence. Si le bien-fondé de cette décision soutenu par une majorité d’Américains est discutable, la manière avec laquelle elle a été mise en œuvre est largement critiquable.
Comment les agences américaines d’intelligence ont pu se tromper aussi lourdement et permettre à Joe Biden de déclarer de manière péremptoire il a seulement quelques jours que l’Afghanistan ne tomberait pas aux mains des Talibans et surement pas aussi rapidement ? Pour en arriver à ce dimanche 15 août où les forces talibanes prennent Kaboul sans aucune résistance. Et obliger les Américains à envoyer 6000 soldats pour sécuriser l’aéroport après en avoir évacué 2500. Les forces afghanes : effondrées, évanouies, disparues…
Les images qui ont tourné en boucle sur l’aéroport de Kaboul ont montré au monde l’impuissance américaine. Maintenant, l’objectif est de limiter la casse et réparer les dégâts c’est-à-dire évacuer les Américains encore présents sur place (évalués entre 5000 et 10 000 par John Kirby, le porte- porte-parole du département de la Défense des États-Unis) mais aussi tous les Afghans qui ont apporté leur soutien aux Américains. Et là, le nombre est beaucoup plus difficile à évaluer et il est assez improbable que tous pourront être évacués. Sur le fond, le fait que les talibans aient repris le contrôle du pays en neuf jours ou en neuf mois ne change pas grand-chose, sauf à montrer au monde l’impuissance des Américains. A l’inverse, si les raisons invoquées au début de la guerre sont toujours d’actualité, en particulier éviter que l’Afghanistan ne redevienne un foyer du terrorisme mondial, ne fallait-il pas maintenir les forces nécessaires sur place.
« Our only vital national interest in Afghanistan remains today what it has always been: preventing a terrorist attack on American homeland » déclarait Joe Biden dans son discours du 16 août. « Today, the terrorist threat has metastasized well beyond Afghanistan: al Shabaab in Somalia, al Qaeda in the Arabian Peninsula, al-Nusra in Syria, ISIS attempting to create a caliphate in Syria and Iraq and establishing affiliates in multiple countries in Africa and Asia. These threats warrant our attention and our resources » poursuivait-il. Va-t-il falloir dépêcher des troupes dans toutes ces régions du monde ? Pour Joe Biden, il est possible de procéder autrement. « We conduct effective counterterrorism missions against terrorist groups in multiple countries where we don’t have a permanent military presence. If necessary, we will do the same in Afghanistan. We’ve developed counterterrorism over-the-horizon capability that will allow us to keep our eyes firmly fixed on any direct threats to the United States in the region and to act quickly and decisively if needed ». S’il a raison, cette guerre a donc été assez inutile.
Maintenant la petite politique. Les élus républicains trumpers s’en sont donnés à cœur joie de critiquer Joe Biden et sa faiblesse. Ils ont vite oublié que c’est Donald Trump qui avaient signé l’accord avec les Talibans, une initiative que nombre d’entre eux avaient saluée. Les républicains traditionnels n’épargnent pas Joe Biden de leurs critiques mais ils sont plus crédibles et avancent des arguments qui peuvent être écoutés (Twenty years of Afghanistan mistakes, but this preventable disaster is on Biden).
Quant à Donald Trump, qui n’est pas à une ignominie près, il charge son successeur de cette fin tragique en oubliant lui aussi qu’il en avait été l’artisan. « He ran out of Afghanistan instead of following the plan our Administration left for him – a plan that protected our people and our property, and ensured the Taliban would never dream of taking our Embassy or providing a base for new attacks against America. The withdrawal would be guided by facts on the ground » écrit l’ancien président sans vergogne. Le plan dont il parle était-il aussi bien défini que celui de l’assurance santé, ou encore que celui sur les infrastructures ou que celui sur la vaccination des Américains contre la Covid dont il avait largement parlé mais dont il n’a jamais pu présenter la moindre esquisse ?
Pertes humaines causées par la guerre d’Afghanistan
American service members killed in Afghanistan through April: 2,448.
U.S. contractors: 3,846.
Afghan national military and police: 66,000.
Other allied service members, including from other NATO member states: 1,144.
Afghan civilians: 47,245.
Taliban and other opposition fighters: 51,191.
Aid workers: 444.
Journalists: 72.
(Source : AP)
La guerre d’Afghanistan : une erreur ?
Avec la nouvelle vague de Covid-19 liée au variant Delta et une dynamique de vaccination en panne, avec les auditions de la commission bipartite de la Chambre des Représentants qui a commencé cette semaine et le projet de loi sur l’infrastructure qui vient de retrouver une nouvelle vitalité, le retrait des troupes d’Afghanistan n’est pas le sujet du moment. Et pourtant c’est une page de la politique étrangère qui se tourne avec un bilan à tout le moins très mitigé. Car lorsque les États-Unis auront définitivement quitté et que les Talibans auront repris le pouvoir (ce qui n’est pas encore assuré mais loin d’être impossible), à quoi aura servi cette guerre, la plus longue de toute l’histoire des États-Unis.
28 juillet 2021
Afghanistan : chronique d’un désastre annoncé
La 8e saison de la série Homeland traite principalement du problème afghan avec un accident spectaculaire d’hélicoptère dans lequel les présidents américain et afghan trouvent la mort alors qu’ils allaient signer un accord de paix. La fiction dépasse ici la réalité même si Joe Biden a dû reprendre ce très délicat dossier que lui avait laissé son prédécesseur. Dossier pour lequel il n’y a que des mauvaises solutions.
11 mai 2021
Afghanistan : la guerre qui n’en finissait pas
Les Etats-Unis souhaitent « une fin responsable à ce conflit » et « une transition vers une nouvelle situation ». Tels seraient les deux objectifs de l’administration Biden formulés par Lloyd Austin, le ministre de la Défense lors d’une visite surprise en Afghanistan où il a rencontré en mars dernier le président Ashraf Ghani. Petit détail, il avait pris l’hélicoptère pour se rendre de l’aéroport international de Kaboul à la résidence de la présidence.
Le premier sera difficile à attendre et le second pourra l’être aisément mais ne donne aucune garantie sur quoi que ce soit
18 avril 2021
Afghanistan : same old, same old !
C’est la guerre la plus longue qu’ont mené les Etats-Unis de toute leur histoire. Plus de 16 ans, 100 000 soldats au plus fort de l’opération, 2 400 soldats américains tués sans parler des pertes militaires, civiles afghanes et un budget de plus de 1 000 milliards de dollars. Pour un résultat plus que discutable.
24 août 2017