Telle qu’elle a été menée et pour répondre à des objectifs mouvant, la guerre d’Afghanistan ne pouvait pas être gagnée. C’est un peu le message principal du rapport What we need to learn: lessons from twenty years of Afghanistan reconstruction écrit par John F. Sopko, Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR). En tous cas, la deuxième phase de la guerre, celle qui est intervenu après que la dimension sécuritaire a été gagnée.
Car selon le rapport l’auteur, les buts de cette opération en terre afghane ont constamment évolué avec le temps : d’abord d’éliminer Al Qaeda, de décimer les Talibans qui les ont hébergés, d’empêcher l’Afghanistan de devenir un refuge pour les groupes terroristes, d’aider à construire des forces de sécurité afghanes empêchant les groupes terroristes de se développer, d’aider à la formation d’un gouvernement civil qui devienne légitime et capable de gagner la confiance des Afghans. Les premiers objectifs répondent à des questions de sécurité, les seconds s’inscrivent dans l’idée de « nation-building ». Graduellement, les Etats-Unis ont glissé des premiers pour aller vers les seconds (L’opinion des Américains sur le retrait des troupes d’Afghanistan).
Le rapport met en lumière 7 leçons touchant aux différentes dimensions de cette guerre : de la stratégie au suivi et à l’évaluation en passant par l’insécurité ou la compréhension (ou plutôt l’incompréhension du contexte afghan).
- Stratégie : le gouvernement américain a constamment eu des difficultés à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie cohérente pour ce qu’il espérait réaliser.
- Échéanciers : Le gouvernement a sous-estimé le temps nécessaire pour reconstruire l’Afghanistan et a créé des échéanciers et des attentes irréalistes qui ont priorisé les dépenses rapidement. Ces choix ont accru la corruption et réduit l’efficacité des programmes.
- Durabilité : Bon nombre des institutions et des projets d’infrastructure construits par les États-Unis n’étaient pas durables.
- Personnel : Des politiques et pratiques contre-productives en matière de personnel civil et militaire ont contrecarré l’effort.
- Insécurité : L’insécurité persistante a gravement compromis les efforts de reconstruction.
- Contexte : les États-Unis Le gouvernement ne comprenait pas le contexte afghan et n’a donc pas adapté ses efforts en conséquence.
- Suivi et évaluation : États-Unis les agences gouvernementales ont rarement effectué un suivi et une évaluation suffisants pour comprendre l’impact de leurs efforts.
Bref, le constat est sans appel et laisse donc peu de possibilités pour que la guerre fut gagnée. L’auteur semble indiqué en outre que les leçons de la guerre du Vietnam n’ont pas été retenus et qu’il en sera sans doute de même si une nouvelle opération de ce type était menée. Mais sur ce point, les trois dernières présidents, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden partageait la même idée avec des expressions très différentes : retirer les troupes d’Afghanistan. Sachant que dans le cas de Barack Obama, cet objectif avait été précédé du « Troop surge » pour tenter de régler définitivement le problème avant de partir. Dans un deuxième temps, le président démocrate a commencé à réduire l’importance des troupes et son successeur a continué dans la même lignée pour les ramener à quelques 2500 hommes servant essentiellement de soutien et d’appui. Pour ce qui le concerne, Joe Biden, lorsqu’il était vice-président de Barack Obama, n’avait pas caché son opposition à cette initiative du surge conduisant la présence des troupes américaines sur le sol afghan à 110 000 hommes.
Pour ce qui concerne la période de reconstruction et de nation-buildings, les Etats-Unis ont déversé des milliards de dollars un peu comme on verse de l’eau sur le sable, conduisant à une inefficacité totale et favorisant la corruption. Pour que l’aide financière soit efficace, il est couramment admis qu’elle ne doit pas dépasser le seuil des 40-45 % afin que les fonds soient réellement utilisés. Sur plusieurs années, ils ont dépassé les 100 %.
« Nous avons négligé de tirer les leçons de la guerre du Vietnam afin de ne pas recommencer les mêmes erreurs en Irak et en Afghanistan, écrit Jack Keane, ancien vice-chef des armées. Cela a conduit à ce qu’ils deviennent des bourbiers ».
L’expérience post-Afghanistan n’est sans doute pas différente de celle du Vietnam, conclut le rapport. Les raisons de développer ces capacités et de se préparer aux missions de reconstruction sont multiples dans les pays touchés par des conflits :
- Ils sont très chers. Par exemple, tous les coûts liés à la guerre pour les États-Unis les efforts déployés en Afghanistan, en Irak et au Pakistan au cours des deux dernières décennies sont estimés à 6 400 milliards de dollars (6 400 000 000 000 dollars)
- Les missions ne sont pas bien menées.
- La reconnaissance largement partagée qu’ils ne sont pas bien menés n’a pas empêché les États-Unis fonctionnaires de les poursuivre.
- Reconstruire des pays embourbés dans des conflits est en fait un travail continu des États-Unis dans les Balkans et en Haïti et à des niveaux plus modestes au Mali, au Burkina-Faso, en Somalie, au Yémen, en Ukraine et ailleurs.
- Les grandes campagnes de reconstruction commencent généralement à petite échelle. Le danger est donc de glisser insensiblement vers des initiatives beaucoup plus importantes dont on perd le contrôle pour un résultat similaire à celui de l’Afghanistan.
Les 5 phases de la guerre en Afghanistan selon le rapport
– 2001-2005: Harmful Spending Patterns Established
– 2006-2008: Spending Ramps Up
– 2009-2011: An 18-month Surge and a Flood of Cash
– 2012-2014: Rapid Transition Timeline Reveals the Limits of U.S. Efforts
– 2015-Present: Coming to Terms with Reduced Troops, Assistance, and InfluenceLa guerre en chiffres
Les Etats Unis ont passé 20 ans et 145 milliards de dollars à essayer de reconstruire l’Afghanistan, ses forces de sécurité, ses institutions gouvernementales civiles, son économie, et la société civile. Le ministère de la Défense (DOD) a également dépensé 837 milliards de dollars en efforts de guerre, au cours desquels 2 443 soldats américains et 1 144 soldats alliés ont été tués et 20 666 États-Unis soldats blessés. Les Afghans, quant à eux, ont fait face à un même plus grand sacrifice. Au moins 66 000 soldats afghans ont été tués. Plus de 48 000 Afghans civils ont été tués et au moins 75 000 ont été blessés depuis 2001 – Ces deux chiffres étant très probablement sous-estimés.
[Source : The Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR)]