En politique, la maxime de Pierre de Coubertin ne s’applique pas. L’essentiel n’est pas de participer mais bien de gagner. Evidemment, il y a la manière, certains justifient les moyens pour atteindre la fin, d’autres jouent selon les règles.
Les résultats des midterms sont globalement conformes aux prévisions : les démocrates reprennent le contrôle de la Chambre des représentants, reprennent au moins 7 sièges de gouverneurs et plus de 300 sièges dans les assemblées des Etats, les républicains confortent leur majorité au Sénat. « Blue Wave, Red Wall », telle est la formule utilisée par CNN pour synthétiser le résultat de ces élections. Parmi les autres faits marquants, Il faut signaler la très forte participation des électeurs (pour la première fois, le nombre de votants a des midterms a dépassé le seuil des 100 millions) résultant d’une très forte mobilisation des démocrates contre Trump et des républicains pour leur champion. Autre élément important, la montée des femmes, plus 100 ont été élues à la Chambre, le précédent record étant de 84. Une amélioration significative même si c’est encore une représentation encore modeste.
(Source : New York Times)
Les démocrates vont pouvoir reprendre l’initiative. Que vont-ils faire ? Et aussi que va faire Donald Trump avec cette nouvelle Chambre ? « It is not a blue wave, but it is going to be a blue war » déclarait le commentateur sur CNN Van Jones et ancien conseiller de Barack Obama. Malgré les déclarations de bonne volonté de part et d’autre, il est possible, voir probable, que les rapports entre les démocrates de la Chambre et le président se cristallisent sur l’enquête de Bob Mueller et tournent au conflit, larvé ou ouvert.
Mais, six jours après les élections, les résultats ne sont pas encore totalement finalisés. Au premier rang de ces disputes, la Floride, l’éternelle Floride qui avait donné, via la Cour Suprême, la victoire à Georges W. Bush. A la Chambre des représentants, 10 sièges sont toujours en question, Au Sénat, il en reste 3, et 2 au niveau des gouvernorats, ceux de la Géorgie et de la Floride. Les démocrates avaient porté beaucoup d’espoir dans ces deux états et dans le Texas avec des candidats ayant acquis une audience nationale : Stacey Abrams pour la Géorgie, Andrew Gillum pour la Floride et Beto O’Rourke pour le poste de sénateur contre le très conservateur Ted Cruz et, à nouveau, ami avec Donald Trump pour qui il n’avait pas eu de mots assez durs contre le président. Il ne l’avait pas soutenu lors de la Convention républicaine et avait dû essuyer une tempête de sifflets. Les deux premiers sont encore en lice, car la différence entre les deux candidats est en-deçà de la marge d’erreur. Beto O’Rourke a perdu de justesse.
« This man is a pathological liar » : pour une fois, Ted Cruz a bien raison. Comment 2 ans plus tard, Ted Cruz peut accepter le soutien de Donald Trump dans sa campagne pour le siège de sénateur du Texas. Il faut sans doute y voir la magie de la politique ou plutôt des politiciens sans colonne vertébrale. Pour Cruz le choix était sans doute simple : accepter le soutien de Donald Trump – tant pis pour l’honneur de sa femme, de son père – et gagner ou le refuser et perdre. « The man is immoral » affirme Ted Cruz en parlant de Donald Trump. Il n’est sans doute pas le seul.
L’ajout de 2 sièges au Sénat ne change pas grand-chose, car la majorité est encore largement en dessous des 60 sièges pour éviter le filibuster et pas assez confortable, lors des nominations par exemple, pour assurer un vote à tous les coups. Le changement de majorité change tout. Elle va permettre aux représentants de contrôler le président. Mais surtout, elle va leur redonner l’initiative, notamment avec la présidence de toutes les commissions.
Cette élection creuse un peu plus le fossé entre les deux Amérique, d’un côté une Amérique rurale, plutôt blanche, assez peu diplômé, assez largement frappé par la crise et la mondiale, de l’autre, une Amérique urbaine ou suburbaine, plus diverses et plus diplômé. La première est rouge, la seconde est bleue. Et rien ne semble favoriser le rapprochement entre ces deux Amériques qui ne semblent plus vouloir se parler.
Mais parallèlement à ce phénomène, le point le plus troublant est que la représentation penche insensiblement mais sûrement en faveur de la première. 60 % des Américains vivant dans des de plus d’un million d’habitants et 70 % dans des métropoles de plus de 500 000 habitants. Et comme l’indique Paul Krugman dans sa dernière tribune du NYT (Real American Versus Senate America), les conservateurs républicains répètent en boucle l’idée que les vraies valeurs de l’Amérique sont celle de la ruralité et des petites villes.
Le biais de la représentation du Sénat est de plus en plus problématique. Comment justifier que le Wyoming avec ses moins de 600 000 habitants et la Californie se voient attribuer deux sénateurs. De telle sorte qu’un sénateur du Wyoming – son surnom est curieusement l’Etat de l’égalité – représente 300 000 Américains, alors qu’un sénateur de la Californie en représente 20 millions, plus de 60 fois plus. Un écart que ne fait que s’accentuer avec les mouvements de populations des zones rurales vers les zones métropolitaines.
Un biais doublement problématique lorsque l’on connaît les pouvoirs du Sénat. En particulier dans la confirmation de tant de postes importants, à la Cour Suprême, dans les Cours inférieures, au Cabinet et dans l’administration. Ensuite, en raison de l’affectation des Grands électeurs.
Le résultat est simple : les républicains ont le pouvoir au Sénat, à la présidence, dans la Cour Suprême et dans de nombreuses instances alors qu’ils sont minoritaires dans le pays. Un défi à la démocratie (Elire le président à la majorité des voix populaires ; Pour un retour aux fondamentaux : Un citoyen, une voix). Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton l’explique très bien dans la petite vidéo ci-dessous.
La représentation graphique des résultats des élections perpétue cette illusion de domination des républicains dans le pays. Lorsqu’elle est géographique (c’est évidemment la plus naturelle et celle qui parle le mieux), elle donne l’impression d’un pays tout rouge avec des bordures bleues sur les deux côtés et quelques tâches bleues çà et là. Quand on utilise une autre représentation qui soit proportionnelle, le changement de perception est immédiat (voir ci-dessous).
La réalité actuelle est toute simple : aujourd’hui, les démocrates sont largement majoritaires en voix. Si l’on agrège les votes des différents états aux dernières élections de la Chambre des représentants, les démocrates ont recueilli 53,3 millions de voix soit 51,5 %, les républicains 48,3 millions soit 46,7 %. Un écart de 4,8 %. Rappelons que Donald Trump a été élu avec une minorité de 46,2% des voix, près de 3 millions de moins qu’Hillary Clinton. Le sera-t-il avec 5 millions de voix de moins en 2020 ?