J’avais arrêté de regarder House of Cards car je trouvais que la série s’enlisait et s’embarquait dans une voie assez ridicule. Et puis, j’ai repris quelques épisodes plus loin et ai été absorbé, non pas parce que la série s’est améliorée, mais parce que le ticket de l’élection présidentielle se confond avec le couple Underwood : Frank est candidat à la présidence (il est président en exercice) et Claire est candidate à la vice-présidence. Je ne sais pas encore s’ils seront élus face à leur concurrent républicain. Je soupçonne que oui pour les besoins de la série à moins que le réalisateur n’ait à « tuer » Kevin Spacey. Ou tout simplement, Frank Underwood, affaibli par une transplantation du foie décédera et laissera le bureau ovale à la Vice-présidente, son épouse.
Une situation pour le moins inhabituelle, mais dont on ne voit les raisons qui s’opposeraient à ce qu’elle se réalise. Il va sans dire que ce « ticket » a été réalisé à la suite d’intrigues et de cynisme dont la série est remplie. Une vision extrêmement détestable de la politique qui correspond peut-être à la réalité. « Quand les passions privées des hommes (et des femmes : NDLR), ou tout simplement leurs ambitions personnelles, l’emportent clairement sur le sens du « bien commun », « méfiez-vous semblent nous dire les auteurs de la série, écrit Dominique Moïsi dans son livre la Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur.
Depuis l’apparition de la télé-réalité, on ne sait plus si la fiction dépasse la « vraie vie » ou l’inverse. Si la série avait mis en scène l’élection d’un Donald Trump, on aurait sans doute pensé qu’une telle éventualité était hautement improbable. Et elle l’était, mais là, la réalité a largement dépassé la fiction. D’ailleurs dans le premier chapitre de son livre Fear (dont le titre fait écho à celui de Dominique Moïsi), Bob Woodward montre que c’était aussi l’avis dans un premier de Steve Bannon, l’éminence grise de Donald Trump, devenu un de plus ardent soutien.
L’échange entre l’entremetteur républicain David Bossie et Steve Bannon que rapporte Bob Woodward est très parlant. La situation se passe en 2010 alors que Donald Trump pense à nouveau se présenter.
David Bossie : Can you comme with me up to New York ?
Steve Bannon : For what ?
DB : To see Donald Trump
SB : What about ?
DB : He’s thinking of running for president
SB : Of what country ?
Une femme candidate à la vice-présidence de l’un des deux grands partis, c’est déjà arrivé. En 1984, Geraldine Ferraro a été la première dans cette situation en étant la « running mate » de Walter Mondale. Le ticket démocrate avait été laminé par Ronald Reagan : 40,6 % des votes populaires contre 58,8 % pour Reagan et 13 voix de grands électeurs seulement contre 525. En 2008, John McCain, à la peine contre Barack Obama, avait choisi Sarah Palin, une des égéries du Tea Party, comme candidate VP. Un choix qui s’est avéré utile à court terme, mais qui ne lui a pas réussi de gagner. Sarah Palin était un déjà un signe avant-coureur de Donald Trump.
Il faut mentionner aussi Winona LaDuke, colistière verte de Ralph Nader en 2000.
L’élection de 2016 a mis en scène deux hommes et deux femmes, une configuration peu courante : Hillary Clinton et Donald Trump pour les deux grands partis, Jill Stein pour le parti des Verts et Gary Johnson. Mais pour la première fois, une femme était candidate à la présidence pour l’un des deux grands partis. Mais la situation était encore plus inhabituelle dans la mesure où cette femme avait déjà été First Lady. Une situation unique dans l’histoire des États-Unis. House of Cards aurait pu aussi inventer une telle situation qui n’est pas sans poser de problèmes. On avait déjà connu des couples père/fils président avec John Adams et John Quincy Adams (2e et 6e présidents) et George HW Bush et George Bush (41e et 43e présidents), mais pas encore de couple mari/femme.
Cet événement était remarquable à deux titres :
- Qu’une femme puisse devenir présidente des États-Unis.
- Qu’une femme devienne présidente après que son mari l’a été.
La lutte pour l’égalité des femmes en politique n’a pas été un long fleuve tranquille. Première étape majeure de cette évolution, le droit de vote a été questionné au milieu du 19e siècle. C’est en juillet 1848 au Seneca Falls Woman’s Convention Rights organisée par Elizabeth Cady Stanton et Lucretia Mott, pionnières de la lutte pour le droit des femmes, que le mouvement est lancé. Mais il faudra attendre 70 ans pour que les femmes obtiennent, « arrachent », le droit de vote.
Mais pour qu’elle soit ratifiée, cette modification doit être acceptée par 36 Etats sur les 48 que comptaient alors les États-Unis. C’est en 1920, suite au vote du Tennessee, que les femmes américaines ont enfin le droit de participer aux élections. Ce droit est entériné grâce au vote du 19e amendement en 1919 par le Congrès et à sa ratification l’année suivante.
L’élection d’une femme à la plus haute fonction politique américaine n’a donc rien de très extraordinaire, mais devient un peu plus étonnante lorsqu’on sait qu’elle intervient 16 ans après que son propre conjoint a assumé la même fonction.
En 1992, Bill remporte les élections. Le « plan à vingt ans » concocté au moment des élections pour le poste de gouverneur de l’Arkansas s’est donc réalisé. Quel sera alors le rôle d’Hillary à la Maison Blanche ? Depuis Eleanor Roosevelt, les First Ladies ont joué un rôle certes officiel, mais le plus souvent de soutien ou d’appoint. Des missions peuvent leur être confiées « dans des domaines spécifiques, dans le domaine social, dans la protection de l’environnement, dans la défense des affaires morales ». Rosalynn Carter se voit même attribuer un bureau dans l’aile Est de la Maison Blanche.
Avec Hillary Clinton, on franchit un nouveau palier. Quel sera son rôle car jamais auparavant une femme de président n’a été aussi présente politiquement dans la carrière de son mari et aurait pu prétendre autant que lui se présenter aux mêmes élections. Bill Clinton l’avait clairement synthétisé pendant la campagne dans une formule restée célèbre : « En m’élisant, vous en aurez deux pour le prix d’un ». Dès les premières nominations au cabinet ou dans la nouvelle Administration (spoils system), Hillary Clinton impose ses vues en mettant son veto sur certaines nominations et en en favorisant d’autres. Ensuite, elle décide de s’installe dans l’aile Ouest où se trouvent le bureau Ovale et les conseillers du président. Aura-t-elle une fonction officielle ? Le magazine Time reprend la rumeur qu’elle pourrait être secrétaire générale (Chief of Staff). Pourquoi pas ministre de l’Education ? Mais après quelques tentations, l’Exécutif recule devant ce qui serait rapidement et à juste titre assimilé comme du népotisme.
Quoi qu’il en soit, Hillary Clinton pensait réellement qu’elle avait un avenir politique. Les Américains en ont décidé autrement.