Dans son livre De la démocratie en Amérique, Tocqueville consacre plusieurs chapitres à la tyrannie de la majorité. « Il est de l’essence même des gouvernements démocratiques que l’empire de la majorité y soit absolu : car en dehors de la majorité, dans les démocraties, il n’y a rien qui résiste ».
Le problème avec le système électoral américain est que c’est désormais la minorité qui est en train de jouer ce rôle.
Donald Trump, on le sait, a été élu avec moins de voix populaires que sa concurrente, pour la deuxième fois en 5 élections. La première fois, il s’agissait de George Bush qui s’est installé dans le Bureau Ovale avec l’aide de la Cour Suprême qui a bloqué le recompte des voix de Floride. L’écart entre les deux candidats n’était que 500 000 voix populaires.
Dans le cas de Donald Trump, l’écart avec Hillary Clinton est de 3 millions de voix populaires représentant 2% des votants. C’est beaucoup. Cette distorsion est possible grâce un système électoral qui pose de plus en plus de problèmes car il donne un avantage évident aux états ruraux qui sont le plus souvent à majorité républicaine.
Le nombre de grands électeurs de 538 est attribué à chaque état sur la base de ses Représentants (438) et de ses Sénateurs (100). Et chaque état a 2 sénateurs, quel que soit le nombre de ses habitants. Dans leur livre One Nation after Trump, E.J. Dionne, Norman Ornstein et Thomas Mann proposent un exemple parlant : La Californie a 67 fois plus d’habitants que le Wyoming de telle sorte que le sénateur de Californie représente 67 fois plus d’habitants, une situation intenable. Lors du premier recensement en 1790, le rapport le plus important entre l’état le plus et le moins peuplé n’était que de 1 à 13. Au final, la Californie se voit attribuer un grand électeur pour 713 637 habitants, le Wyoming pour 195 167. En termes réels, le Wyoming a donc trois fois et demie plus de « puissance électorale que la Californie ».
Et les tendances démographiques ne font que renforcer ces inégalités, poursuivent les auteurs. En 1960, 45 % des Américains vivaient dans les grandes métropoles et 18 % dans les petites métropoles. En 2010, les chiffres étaient respectivement de 55 % et 29 %. En d’autres termes, les métropoles représentent 84 % de la population américaine (+21%) ne laissant que 16 % à la population rurale.
Le résultat est que les 52 sénateurs républicains issus des élections de 2016 ne représentent que 45 % de la population tandis que les 48 sénateurs démocrates en représentent 55 %. Et ce sont ces 52 sénateurs républicains qui ont confirmé Neil Gorsuch et vont confirmer le Juge Brett Kavanaugh, tous deux proposés par le président Trump. Pour certains conservateurs, ces seules nominations de juges conservateurs suffisent à assurer de leur soutien à l’actuel président. Car, faut-il le rappeler, les juges de la Cour Suprême sont nommés à vie et ont un impact déterminant sur la vie des Américains. Actuellement, la juge la plus âgée de la Cour Suprême est Ruth Bader Ginsburg a 85 ans. Ce qui permettrait aux deux nouveaux Juges de statuer sur des questions majeures de la société américaine jusqu’en 2050. On ne rappellera pas l’épisode scandaleux où les républicains n’ont même pas examiné le candidat qu’avait présenté Barack Obama en 2016 au soi-disant motif qu’un président ne devrait pas présenté de candidat à la Cour Suprême dans la dernière de son mandat. Alors même que Merrick Garland était un candidat qui pouvait satisfaire aux exigences des républicains et des démocrates.