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Lincoln ou l’art de la politique

13 LincolnLe titre du film de Steven Spielberg est à la fois juste – le 16e président des Etats-Unis est bien le personnage principal du film – et incomplet. C’est en fait un petit cours de démocratie politique que nous propose Spielberg sur la manière d’atteindre un objectif majeur : Amender la Constitution sur un sujet essentiel. Lorsqu’on observe actuellement les débats sur le 2e amendement, on comprend aisément l’immensité de la tâche (En attendant Lincoln…)

L’histoire met en scène une véritable course de vitesse entre 2 objectifs majeurs que s’est fixés Lincoln :

– Terminer la plus meurtrière des guerres qu’ont mené les Etats-Unis (la guerre de Sécession a fait plus de morts que toutes les autres guerres réunies) et sans doute la plus tragique puisqu’il s’agit d’une guerre civile ;

– Et faire passer le 13e amendement visant à abolir l’esclavage.

Deux ans plus tôt, Lincoln avait signé un décret sur l’émancipation des esclaves. A partir d’un raisonnement dont seuls les juristes ont le secret – n’était-il pas avocat ? -, Lincoln explique à son cabinet qu’il est nécessaire que le 13e amendement soit voté avant de signer la paix avec les Etats Confédérés.

C’est là une affaire de jours puisque les émissaires des Etats du Sud ont fait une proposition de paix. Nombreux sont ceux dans l’équipe de Lincoln qui ne comprennent pas ou ne partagent pas l’enjeu.

La difficulté pour voter le 13e amendement est qu’il lui manque 20 voix à la Chambre des Représentants (A l’époque, il n’y avait que 186 députés contre 437 aujourd’hui). C’est alors que Lincoln (ou son secrétaire d’Etat : le film n’est pas clair ce sujet) imagine l’impensable : acheter les voix d’élus démocrates lame duck (ceux qui sont en fin de mandat et n’ont pas été réélus) et qui sont  aussi parmi les plus indécis en leur proposant des postes dans la vie civile. C’est son secrétaire d’Etat William H. Seward qui se chargera de recruter les lobbyistes qui seront chargés de proposer le marché à leur cible : un poste dans l’administration contre une voix. Et alors qu’il n’est en aucune manière censé de s‘impliquer dans ce tripatouillage, Lincoln prend le risque de rencontrer personnellement les intermédiaires qui rachètent une à une les voix des hésitants (Toutefois, il n’y a pas de preuve sur cette rencontre). Cet  aspect du film montre bien combien la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif est grande obligeant la président à une culture du compromis. Une qualité qui a peut-être manqué à Obama lors de son premier mandat.

Avoir les voix des démocrates n’est pas suffisant car il faut aussi convaincre les Républicains radicaux qui souhaitent une égalité entre les races alors que Lincoln ne propose seulement qu’une égalité des races devant la loi, deux notions bien différentes.

Alors que le grand jour arrive et que les militaires et les Républicains qui poussent mettre un terme à cette boucherie de guerre de Sécession, Lincoln prend le risque de faire retarder les émissaires sudistes afin qu’ils n’arrivent pas avant le jour du vote à Washington. Première imprudence. Mais la rumeur enfle à Washington, de telle sorte que le jour du vote, l’un des représentants démocrate demande explicitement de reporter le scrutin afin de se donner le temps d’engager la négociation pour finir la guerre. Mis au  courant de cette tentative, Lincoln fait porter un pli écrit de sa main, rédigé à la manière d’un juriste que, à sa connaissance, les émissaires ne sont ou ne viendront pas à Washington. Deuxième imprudence. Imagine-t-on aujourd’hui que le président des Etats-Unis prenne un tel risque ?

Finalement, le 13e amendement sera voté avec 2 voix de majorité faisant faire un grand pas aux Etats-Unis sur le chemin de l’égalité. Evidemment la cause de l’abolition de l’esclavage n’est plus un sujet aujourd’hui, mais cela en était un à l’époque. Dans son premier discours d’investiture alors que la menace de guerre gronde, Lincoln déclarait : “I have no purpose, directly or indirectly, to interfere with the institution of slavery in the States where it exists. I believe I have no lawful right to do so, and I have no inclination to do so”. Il ne voulait alerter ni inquiéter les Etats du Sund qu’il mettrait un terme à leur prérogative. On sait combien l’économie de ces Etats dépendait de l’esclavage, seul moyen pour eux de concurrence les Etats du Nord.

Au début de l’année 1861, abolir l’esclavage ne semble donc pas un sujet majeur pour Abraham Lincoln, en tous cas aussi important qu’éviter la sécession des Etats-Unis du Sud. Quelques mois tard, cela devient une évidence, une urgence.

Aujourd’hui, les historiens considèrent Lincoln comme le plus grand président (Qui est le plus grand président des Etats-Unis ?) . Il est vrai que la grandeur se juge à la capacité à juger des événements exceptionnels et sur ce plan, Lincoln a été sans aucun doute le plus exposé avec la guerre de Sécession et la fin de l’esclavage. Mais ce film confirme l’idée pourtant discutable selon laquelle « la fin justifie les moyens ». Dans le climat de polarisation actuel, de tels actes pourraient peut-être conduire l’opposition à conduire une démarche d’impeachment. Il faut ensuite, le poids de l’histoire pour juger de la justesse d’une cause.

Même si elle omniprésente dans le film et joue un rôle important – avec des scènes courtes mais brutales ou une scène  près d’un hôpital où l’on voit un infirmier transporter dans une brouette des membres fraichement sectionnés de soldats qu’il a fallu amputés – la guerre de Sécession n’est pas le sujet du  film mais constitue une sorte d’arrière plan permanent. A l’inverse, l’histoire familiale de Lincoln y est  plus présente. Spielberg montre clairement combien le couple Lincoln a été affecté par la mort de leur fils aîné, mais de manière différente, lui en intériorisant terriblement sa souffrance et en reportant son affection sur son dernier fils, elle en devenant très fragile psychologiquement.

Parmi les autres  aspects mis en lumière par ce film : la vie simple qui régnait à la Maison Blanche qui donne l’impression d’une ambiance monacale quand on la compare à ce que nous montre la série West Wing,  avec un président qui cire lui-même ses bottes, met une bûche dans l’âtre ou se promène seule en calèche en plein Washington, un protocole qui semble réduit à sa plus simple expression, un ordre du jour plutôt flexible là où l’agenda de l’actuel président est rythmé à la minute près. Bref, la vie de Lincoln devait être bien différente que celle de Barack Obama. Etait-elle plus facile ? Certainement pas d’autant que la période était une des plus difficiles de l’histoire des Etats-Unis. Aussi, Lincoln était un bourreau de travail, 14 heures par jour, 365 jours par an où le mot vacances était totalement inconnu.

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