Parmi les refrains que les candidats ne se privent pas de répéter à l’envi, Romney a saisi toutes les occasions pour rappeler son long passé de businessman, se comparant sur ce point très favorablement à Barack Obama qui, lui, n’a jamais travaillé dans une entreprise et ne connaît pas l’économie, ses ressorts, son fonctionnement…
Mais diriger une entreprise peut-il se comparer à présider un pays ? En quoi l’expérience en tant que dirigeant d’un cabinet de consulting spécialisé en fusions & acquisitions et en management d’entreprise est-il plus apte qu’un homme politique « professionnel » ?
La question mérite d’être posée et la réponse a été donnée sans détour par Paul Krugman, dans sa chronique du 12 janvier dernier publiée par le New York Times : « America Isn’t a Corporation ». Et l’économiste commence son article par une citation de Gordon Gekko, le héros du film Wall Street : “And greed – you mark my words – will not only save Teldar Paper, but that other malfunctioning corporation called the U.S.A.”(… Et la cupidité – rappelez-vous de ce que je dis – ne sauvera pas seulement Teldar Paper, mais aussi l’autre entreprise en plein dysfonctionnement appellée U.S.A.).
Un pays, que ce soit les Etats-Unis ou la France, n’est pas une entreprise contrairement à ce qui est communément admis aujourd’hui. Et cela pour deux raisons explique le prix Nobel. D’abord, un pays n’a pas de simple résultat net (bottom line).Ensuite, le fonctionnement de l’économie d’un pays est largement plus complexe que la plus grande entreprise existante.
Mais, pour être honnête dans le raisonnement, si l’expérience de Mitt Romney en gestion d’entreprise ne lui confère pas un avantage particulier par rapport à ses opposants, de son parti ou du parti adverse, il ne constitue pas un handicap.
Le dernier entrepreneur installé à la présidence, rappelle Paul Krugman, était Herbert Hoover !! (« A moins que l’on classe George W. Bush dans la catégorie des entrepreneurs », ajoute-t-il avec une certaine malice – L’ancien président des Etats-Unis a été manager du club de Base-Ball des Texas Rangers). Faut-il rappeler qu’Herbert Hoover a été président des Etats-Unis de mars 1929 à mars 1933 ? (Jusqu’en 1932, le président d’Etats-Unis s’installait à la maison blanche le 4 mars près de quatre mois après son élection). Au moment de son élection, l’économie américaine était considérée prospère et Hoover lui-même avait déclaré : « La seule affaire fondamentale du pays, c’est-à-dire la production et la distribution des marchandises, est sur une base saine et prospère » (Histoire Parallèle, André Maurois, Presse de la Cité – 1962). Et la présidence d’Hoover fut catastrophique, non pas parce qu’il a fait, mais plutôt parce qu’il n’a rien fait. « … Non qu’il manquât de sympathie pour ceux qui ruinait la crise, mais ses principes rigides lui commandaient d’intervenir aussi peu que possible, poursuit André Maurois. Il pensait qu’une action directe du gouvernement sur l’économie découragerait l’esprit d’initiative qui avait fait l’Amérique. »
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Compte-tenu de son expérience de dirigeant d’entreprise (sa principale expérience avec la gestion du projet des J.O. d’hiver de Salt Lake City en 1992, le danger avec Mitt Romney n’est pas qu’il ne fasse rien mais plutôt qu’il applique les mêmes méthodes que celles qu’il a appliquées lorsqu’il était à la tête de Bain Capital, une société d’investissement qu’il a créée).
Dans le cadre d’une stratégie du TSR (Tout sauf Romney), les opposants républicains menés par Newt Gingrich ont d’ailleurs lancé une offensive contre le gagnant des deux premières primaires qui s’installe désormais comme le favori. Le contenu est simple et certainement pas complètement faux : Mitt Romney s’est enrichi (on estime sa fortune à 200 M$) en rachetant des entreprises, en « dégraissant » le personne et en les revendant. Formulé d’une autre manière, Mitt Romney aura une politique en faveur des 1% et au détriment des 99% restants. De son côté le site Thinkprogress (publié par le Think Tank liberal Center For American Progress) présente une autre facette de l’expérience d’entrepreneur de Mitt Romney et beaucoup moins flatteuse.
Le message est-il excessif ? Peut-être, mais le soutien de Rudi Guilliani, l’ancien de New York ne l’est-il pas tout autant qui, de proche en proche, fait un raccourci entre la politique de Barack Obama et l’Union Soviétique. On n’est pas à un excès près. Alors Mitt Romney, Job Creator ou Job Killer ? (lire aussi Romney Gekko 2012)
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Pour en revenir à l’argumentation de Paul Krugman, alors qu’une entreprise vend ses produits à des clients qui, pour la grande majorité, ne sont pas employés par elle-même, « clients » et « salariés » des Etats-Unis constituent une seule et même personne. Lorsqu’un pays réduit les dépenses publiques pendant une dépression, le chômage augmente parce que cela touche principalement les producteurs domestiques. Et dans presque tous les cas, la baisse de déficit est nettement moindre que prévu parce que les rentrées fiscales s’effondrent. Les pays qui mènent une telle politique s’inscrivent dans cercle vicieux dont ils ont le plus grand mal à sortir. Il n’y a qu’à observer la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande poursuit Paul Krugman.
Mitt Romney qui comprend l’économie n’aurait sans doute pas soutenu financièrement General Motors. Il aurait ainsi pris le risque de tirer un trait sur l’industrie automobile américaine.
Mitt Romney connaît-il très bien le fonctionnement de l’économie ? Peut-être, mais d’une certaine économie.