On y est.
On attendait le moment depuis que Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche : Qu’il défierait directement la Cour Suprême et ne respecterait pas un jugement de la plus haute autorité judiciaire du pays.
Le 10 avril dernier, la Cour Suprême publiait un arrêt non signé sans opinion dissidente consignée (donc a priori prise à 9 juges contre 0) dans laquelle elle confirme une ordonnance d’un juge fédéral du Maryland demandant au gouvernement de ramener aux États-Unis un résident du Maryland à la suite de ce que l’administration Trump reconnaît comme une « erreur administrative (Justices direct government to facilitate return of Maryland man mistakenly deported to El Salvador).

En recevant de manière ostensible Nayib Bukele, le président du Salvador – actuellement très en cour aux États-Unis et sous-traitant dans l’incarcération de personnes expulsées des États-Unis -, Donald a montré clairement qu’il défait l’arrêt de la Cour Suprême et ne souhaitait en aucun cas se soumettre.
Dans un échange filmé à dessein des deux hommes entrant dans le bureau ovale, Donald Trump et Nayib Bukele ont échangé les propos suivants :
– Donald Trump: “We want to do homegrown criminals next…. The homegrowns. You gotta build about five more places.”
– Nayib Bukele: “Yeah, we’ve got space.”
– Donald Trump : “All right”.
Éclat de rire des présents dans le Bureau ovale, Marco Rubio, J.D. Vance et Pam Bondi.
Une scène tout aussi choquante que celle à laquelle nous avions assisté entre Volydymyr Zelensky et Donald Trump en février, mais qui fera moins le buzz dans la mesure où il s’agit d’une question de politique intérieure. L’avantage avec Donald Trump est qu’il ne se cache pas, au contraire il a tendance à montrer les horreurs dont il est responsable en défiant ceux qui auraient l’audace de s’opposer à lui (Trump: “Home-growns are next” – Foreign gulags for US citizens).
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Le passage cité plus haut commence à 7’20’’
“John Marshall has made his decision; now let him enforce it!”. C’est la citation que l’on attribue à tort au président Andrew Jackson. Mais peu importe, on arrive à ce moment où le président des États-Unis défie ouvertement la Cour Suprême.
Petit retour en arrière (Source : SCOTUSblog)
Né en juillet 1995 à San Salvador, Kilmar Abrego García a fui le Salvador à l’âge de 16 ans pour échapper aux menaces de gangs. Il est entré illégalement aux États-Unis en 2011. En 2016, il a rencontré Jennifer Stefania Vasquez Sura, une citoyenne américaine, qu’il a épousée en 2019. Le couple a un enfant ensemble, et Abrego García élève également les deux enfants de sa femme issus d’une relation précédente. Tous trois sont citoyens américains et ont des besoins spéciaux. Depuis 2019, Abrego García bénéficie d’un permis de travail aux États-Unis (Source : Wikipédia).
En 2019, les autorités migratoires ont entamé une procédure d’expulsion à son encontre. Lorsqu’il a demandé à être libéré sous caution, le gouvernement a soutenu qu’il appartenait au MS-13, un gang criminel international.
Un juge de l’immigration a rejeté la demande de libération d’Abrego Garcia, estimant que « les preuves démontrent qu’il est un membre avéré du MS-13 ». Bien que la juge ait reconnu qu’elle était « réticente à accorder une valeur probante » à la tenue vestimentaire d’Abrego Garcia comme indication d’une affiliation à un gang, elle a jugé suffisant le fait qu’« une source d’information passée, fiable et éprouvée » ait confirmé « son appartenance au gang, son rang et son surnom ». Cette décision a été confirmée par le Bureau des recours en matière d’immigration. Quelques mois plus tard, Abrego Garcia a obtenu le bénéfice du maintien sur le territoire, une protection contre l’expulsion vers le Salvador.
Le 12 mars 2025, les agents de l’ICE ont arrêté Abrego Garcia. Il a été transféré au Texas puis, le 24 mars, envoyé dans le centre de confinement pour terroristes du Salvador. Celui où Kristi Noem s’est mise en scène. Les détenus arrivant des États-Unis y sont déshabillés, enchaînés, et leur tête rasée. Ni son épouse ni ses avocats n’ont pu entrer en contact avec lui depuis.
Les avocats d’Abrego Garcia ont déposé un recours devant un tribunal fédéral du Maryland, demandant à la juge Xinis d’ordonner aux responsables de l’administration Trump de « prendre toutes les mesures raisonnablement à leur disposition, proportionnée à la gravité du préjudice en cours, pour ramener M. Abrego Garcia aux États-Unis ».
Le juge a ordonné au gouvernement fédéral de ramener Abrego Garcia avant 23h59 le lundi 7 avril. Elle a souligné que le gouvernement « n’avait aucune autorité légale pour l’arrêter, aucune justification pour le détenir, et aucun fondement pour l’expulser vers le Salvador – encore moins pour le livrer à l’une des prisons les plus dangereuses de l’hémisphère occidental ».
Ni le juge Xinis, ni la Cour d’appel fédérale du 4e circuit n’ont accepté de suspendre cette ordonnance pendant l’appel du gouvernement. Dans une opinion concordante, la juge Stephanie Thacker, rejointe par le juge Robert King, a écrit que le gouvernement fédéral « n’a aucune autorité légale pour saisir dans la rue une personne se trouvant légalement aux États-Unis et l’expulser du pays sans procédure régulière. L’affirmation du gouvernement selon laquelle les tribunaux fédéraux seraient impuissants à intervenir », a-t-elle conclu, « est inacceptable ».
Le nouveau solliciteur général du président Trump, D. John Sauer, a saisi la Cour suprême dès le lundi matin, sans attendre la décision du 4e circuit concernant sa demande de suspension. Il y a eu ensuite quelques échanges entre les juges et l’administration Trump.
La juge Sonia Sotomayor, rejointe par les juges Elena Kagan et Ketanji Brown Jackson, a rédigé une opinion à propos de la décision de la Cour de jeudi. Elle a déclaré qu’elle aurait entièrement rejeté la demande du gouvernement. Elle a néanmoins convenu avec ses collègues que « le recours approprié consiste à offrir à Abrego Garcia toutes les garanties procédurales auxquelles il aurait eu droit s’il n’avait pas été expulsé illégalement vers le Salvador ». Cela inclut, a-t-elle souligné, « une notification et la possibilité d’être entendu » dans les procédures futures, les conventions internationales interdisant la torture, et les lois fédérales régissant la détention et l’expulsion des non-citoyens. De plus, elle a ajouté que dans d’autres types de procédures d’immigration, le gouvernement fédéral a une « politique bien établie » consistant à faciliter le retour d’un non-citoyen aux États-Unis.
En résumé, le 10 avril 2025, la Cour suprême des États-Unis a ordonné au gouvernement de “faciliter” son retour. L’administration Trump a interprété cette directive comme une obligation d’assistance, et non de rapatriement effectif (Source : Diario Digital Nuestro País+4The Washington Post+4Upi+4)
Le Département de la Justice a reconnu que sa déportation résultait d’une “erreur administrative”, mais a déclaré qu’il ne pouvait pas être rapatrié immédiatement en raison de la complexité des relations diplomatiques (Source : Axios)
Au 15 avril 2025, Kilmar Abrego García reste incarcéré au Salvador. Le Département d’État américain a confirmé qu’il est “vivant et en sécurité” au CECOT[i], mais aucune mesure concrète pour son retour n’a été annoncée. Le président salvadorien Nayib Bukele a déclaré qu’il ne demanderait pas son retour aux États-Unis, affirmant que le Salvador exerce sa souveraineté sur les détenus.
[i] Le CECOT (Centro de Confinamiento del Terrorismo) est une prison de haute sécurité située à Tecoluca, au Salvador. Inaugurée en janvier 2023, elle est conçue pour incarcérer jusqu’à 40 000 détenus, ce qui en fait la plus grande prison d’Amérique latine.