Pour la première fois depuis 1976 où il avait soutenu la candidature de Jimmy Carter, le Washignton Post a annoncé qu’il ne soutiendrait aucun candidat. En fait, ce n’est pas le journal, à savoir son rédacteur en chef ou son comité de rédaction, mais Jeff Bezos, le propriétaire du quotidien qui a imposé sa décision. L’annonce a été faite onze jours avant l’élection par William Lewis, directeur général du Washington Post, sous les instructions de Jeff Bezos alors même qu’un éditorial était prêt à être publié pour soutenir Kamala Harris.
Sewell Chan, executive editor de la Columbia Journalism Review, donne quelques détails sur cette affaire que l’on pourra qualifier de Postgate (The Washington Post opinion editor approved a Harris endorsement. A week later, Jeff Bezos killed it).
Rappelons qu’en 2013 le patron d’Amazon avait racheté, à titre personnel, le Washington Post, alors en grande difficulté, pour une bouchée de pain. Pour un montant relativement modeste de 250 millions de dollars, Jeff Bezos prenait un instrument d’influence qui avait à son actif quelques actions d’éclat dont la plus connue est celle de Bod Woordward et de Carl Berstein, dont l’opiniâtreté avait eu raison de Richard Nixon, empêtré dans l’affaire du Watergate.
Robert Kagan, editor at large du quotidien et conservateur patenté, a qualifié cette décision de “preemptive capitulation for business purpose”. Il a eu le courage de démissionner. Dix-neuf de ces collègues ont publié un communiqué déclarant : ”The Washington Post’s decision not to make an endorsement in the presidential campaign is a terrible mistake. It represents an abandonment of the fundamental editorial convictions of the newspaper that we love. This is a moment for the institution to be making clear its commitment to democratic values, the rule of law and international alliances, and the threat that Donald Trump poses to them — the precise points The Post made in endorsing Trump’s opponents in 2016 and 2020 (…) An independent newspaper might someday choose to back away from making presidential endorsements. But this isn’t the right moment, when one candidate is advocating positions that directly threaten freedom of the press and the values of the Constitution”.
Devraient-ils démissionner ? Cette décision leur appartient a répondu le senior fellow at the Brookings Institution. La nouvelle a fuité que le même jour de la décision de Jeff Bezos de cette pseudo-neutralité, Donald Trump a rencontré des dirigeants de Blue Origin, la société de fusées appartenant à Jeff Bezos.
Lorsque Bezos a décrété que le journal qu’il possédait ne pouvait pas soutenir l’adversaire de Donald Trump, on peut analyser cette décision comme un acte de soumission né d’une compréhension intuitive des différences entre les candidats. Jeff Bezos a compris que même s’il se mettait à dos Kamala Harris et que celle-ci devenait présidente, il n’y aurait aucune conséquence directe pour ses entreprises. Ce qui n’empêche pas l’administration Biden d’être très offensive dans des actions antitrust et de pratiques anticoncurrentielles. Mais cela n’est en rien directement lié aux positions politiques de leurs propriétaires, mais seulement sur des dimensions économiques et juridiques.
Jeff Bezos a également compris que s’il continuait à s’opposer à Donald Trump, ses entreprises pourraient en subir des conséquences très significatives. Ce faisant, il donne un terrible exemple aux médias qui ont été régulièrement qualifiés d’ennemi du peuple par Donald Trump pendant qu’il était président et depuis. Plus récemment, il a déclaré qu’il faudrait peut-être supprimer les licences d’exploitation à certains networks qui auraient eu l’audace de s’opposer à lui, d’émettre des critiques ou seulement faire du “facts checking”.
Stephen Miller, conseiller de Donald Trump, a publié sur son compte X : « Vous savez que la campagne de Kamala est en train de couler alors que même le Washington Post refuse de l’approuver. » Prenant cette décision de censurer, le soutien de son journal à Kamala Harris n’a fait que montrer sa pusillanimité.
De son côté, le L.A. Times qui est détenu par le milliardaire a Patrick Soon-Shiong, avait lui aussi bloqué le projet du comité de rédaction de soutenir Harris. Le L.A. Times n’a pas approuvé la présidence de 1976 à 2004, mais a repris la pratique en 2008 et a approuvé les démocrates lors des quatre dernières élections.
(Source : The Hill)
Cette idée de “pre-emptive capitulation” a été aussi défendue par l’historien Timothy Snyder qui a lancé un appel aux Américains à obéir en avance : “And the fact that people are obeying in advance is just a sign of how great the threat really is. So let’s all do what we can”.
Le magazine The Bullwark a publié une citation de Kristofer Harrison, expert de la Russie qui fait vivre lethe Dekleptocracy Project. “America’s oligarch moment makes us more like 1990s Russia than we want to believe. Political scientists can and will debate what comes first: oligarchs or flaccid politicians. 1990s Russia had that in spades. So do we. That combination corroded the rule of law there, and it’s doing so here.
Russian democracy died because their institutions and politicians were not strong enough to enforce the law. Sound familiar? I could identify half a dozen laws that Elon Musk has already broken without enforcement. Bezos censored the Post because he knows that nobody will enforce the law and keep Trump from seeking political retribution. And on and on. The corrosive effect on the rule of law is cumulative.
The Bezos surrender is our warning bell about entering early-stage 1990s Russia. No legal system is able to survive when it there’s a class not subject to it because politicians are too cowardly to enforce the law”.